Informations principales
Amartya Kumar Sen est un économiste et philosophe indien, né le 3 novembre 1933 à Santiniketan, en Inde. Il a aussi été Professeur dans les universités de Delhi en Inde (entre 1963 et 1971), de Harvard aux États-Unis (entre 1987 et 1998) et de Cambridge en Angleterre (entre 1998 et 2004).
Il a reçu le Prix Nobel d’économie en 1998 pour ses contributions à l'économie du bien-être. Sen soutient l’hétérodoxie économique, c’est-à-dire qu’il soutient des théories qui s’écartent des modèles dominants. Il est parfois qualifié d’altermondialiste. Il peut être également considéré comme un spécialiste des choix collectifs. Amartya Kumar Sen est généralement mis dans la catégorie des économistes néoclassiques.
Durant sa vie, il a beaucoup étudié les problématiques de la pauvreté, du développement (notamment le sous-développement) et du concept de répartition des revenus.
Sa contribution centrale concerne le théorème d’impossibilité d’Arrow. Ce dernier a montré que les règles de construction d’un choix collectif ne peuvent pas satisfaire des critères simplement raisonnables et qu’il est, par conséquent, impossible de définir l'intérêt général, sans arbitre et sans autoritarisme. Trouver les bases rationnelles des choix collectifs serait alors impossible. La collectivité ne pourrait pas, de manière rationnelle, choisir une solution plutôt qu’une autre. Sen a développé des stratégies qui permettent de contourner le théorème d’Arrow, notamment en prenant en compte d’autres conditions que l’utilité des individus, comme la justice sociale ou la redistribution.
Il est aussi passé à la pratique en analysant la famine, la pauvreté, le sous-développement et l’inégalité des sexes. Il a mis au point des indicateurs de développement humain en se basant sur une conception extensive, qui permet d’avoir une vision plus réaliste du bien-être. C’est par exemple lui qui a conçu l’Indice de développement humain (IDH) en 1990, qui est depuis mesuré chaque année par le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD).
La théorie des choix collectifs et la théorie du choix social
Les premiers théoriciens des choix collectifs étaient motivés par le souci d’éviter à la fois l’arbitraire et l’instabilité dans l’agencement des choix collectifs. Ils focalisaient leur attention sur la construction d’un cadre de décisions rationnelles et démocratiques au sein d’un groupe, tout en prenant en compte les intérêts et préférences de chacun de ses membres. Néanmoins, les recherches théoriques aboutissaient systématiquement à des résultats pessimistes. Ils ont observé que la règle majoritaire pouvait se révéler incohérente. Le premier groupe l’emportait sur le deuxième à la majorité, le deuxième sur le troisième à la majorité, et au final, le troisième sur le premier à la majorité.
L’économiste Kenneth Arrow a repris cette réflexion en se préoccupant aussi des difficultés propres aux décisions collectives et des incohérences auxquelles elles pouvaient mener. Il a alors formaté la discipline des choix collectifs dans un cadre structuré pour obtenir la théorie des choix collectifs sous une forme moderne. Arrow en a déduit le théorème d’impossibilité (ou théorème général de possibilité) selon lequel les procédures de choix collectifs (tels que le vote ou le marché) ne peuvent pas satisfaire les critères de la démocratie. Cela signifie que l'intérêt général ne peut pas être défini à partir d’une simple accumulation et réunion des préférences des individus, la décision doit alors être imposée au niveau collectif.
Pour lui, seule la dictature pourrait éviter les incohérences, mais cela implique un coût important. Ces coûts correspondent au sacrifice politique des décisions concertées, et du point de vue de l'économie du bien-être, à l’incapacité de prendre en compte les intérêts divergents de populations hétérogènes.
Amartya Sen a prolongé les travaux d’Arrow dans les années 1960. Il a essayé de montrer que le problème posé par le théorème d’impossibilité se trouve dans le cadre d’analyse qu’Arrow a utilisé. Pour Sen, ce cadre est très étroit. En effet, la seule information utilisée pour prendre une décision au niveau collectif est le classement individuel des différentes propositions d’options possibles.
À la suite de cela, il a proposé une théorie du choix social qui prend en considération d’autres éléments qu’uniquement l’utilité des individus. Cela doit permettre de prendre en compte les enjeux de justice sociale et de redistribution.
La théorie des capabilités d’Amartya Sen
Pour Amartya Sen, les inégalités entre les différents individus ne se jugent pas en fonction de leurs seules dotations en ressources, mais plutôt en fonction de leur capacité à les transformer en libertés réelles. Il a alors introduit le concept de capabilités (ou libertés substantielles) selon lequel il faut considérer la pauvreté au-delà des seules dimensions monétaires et à la penser également du point de vue des libertés d'action et de capacités à faire. Une capabilité pour lui correspond à la possibilité effective qu’une personne a de choisir différentes combinaisons de mode de fonctionnement. Ces modes de fonctionnement peuvent être, par exemple se déplacer, se nourrir, participer à la vie politique, avoir une éducation, etc. De manière concrète, cela désigne la possibilité pour les divers individus de faire des choix entre les différents biens qu’ils considèrent estimables, ainsi que de les atteindre de manière effective.
Pour Sen, le développement ne se fait que par et pour la liberté. Cependant, la liberté est entravée par la tyrannie, l’intolérance, par l’absence d’opportunités économiques, ou encore par l’inexistence des services publics. Pour lui, le marché est nécessaire, car son absence correspondrait au déni d’une liberté qu’il juge fondamentale, celle de l’échange des biens.
Sen considère que les gouvernements doivent faire attention à la capabilité concrète des citoyens. Ils ne doivent pas seulement assurer l’égalité des moyens, mais assurer l’égalité des possibilités effectives d’exécuter des actes. Par exemple, pour lui, l'assurance du droit de vote n’est pas satisfaisant. Sen s’est intéressé à la capacité effective des citoyens d’un pays à voter, et cela nécessite qu’ils doivent tout d’abord avoir accès à l’éducation (c’est-à-dire aux fonctionnements larges), et ensuite qu’ils puissent se déplacer jusqu’au bureau de vote (c’est-à-dire les fonctionnements spécifiques).
Sa théorie a été critiquée à cause du fait qu’elle ne propose aucune liste précise des capabilités de base.
La pauvreté
La variété de l’information sur laquelle l’analyse du bien-être collectif peut s’appuyer trouve une bonne illustration dans l’étude de la pauvreté. Elle est typiquement perçue comme un défaut de revenu et généralement, sa mesure passe simplement par un recensement des personnes en dessous du seuil de pauvreté. Des limites peuvent être apportées à ce modèle dans le sens où la pauvreté ne se manifeste pas forcément uniquement par un faible revenu. Et même si c’était le cas, l’indice de pauvreté construit à partir des seuils de pauvreté ne mesure pas forcément la pauvreté globale d’une société.
Pour Sen, mesurer la pauvreté à partir du revenu n’est pas suffisant, il faut prendre en compte une multitude d’autres considérations qui comprend le revenu individuel, mais également des caractéristiques physiques et environnementales, ainsi que d’autres variables (comme par exemple la disponibilité et le coût des médicaments et d’autres équipements). La pauvreté peut donc être conçue comme une privation sévère de capacités de base. Cette approche alternative conduit à un diagnostic différent de la pauvreté.
Pour Sen, la faiblesse du revenu est souvent un élément important. Cependant, des éléments affectent la convertibilité du revenu en capacités de vivre une existence acceptable. Il faut donc regarder au-delà de l’insuffisance du revenu. Quatre sources différentes d’inflexion peuvent être observées. Ce sont des hétérogénéités personnelles (c’est-à-dire une propension à la maladie), des diversités environnementales (c’est-à-dire vivre dans une zone exposée aux tempêtes ou aux inondations), des différences de climat social (c’est-à-dire la prévalence criminelle ou épidémique), et enfin, des différences dans la privation relative en liaison avec les normes de consommation d’une société donnée (c’est-à-dire être relativement appauvri dans une société riche peut conduire à l’incapacité absolue de participer à la vie sociale).
La pauvreté n’est donc pas qu’une question de revenu, mais également une privation de capacité. Cela nécessite aussi une certaine disponibilité de l’information.
L’étude de la famine
Amartya Sen a eu une expérience personnelle de la famine. En effet, en 1943, à l’âge d’environ 10 ans, il a été témoin de la famine au Bengale (territoire partagé entre l’Inde et le Bangladesh) durant laquelle plus de trois millions de personnes sont mortes. Les observateurs et les décideurs de l’époque l’ont alors expliquée par une baisse de la production alimentaire.
En étudiant plus tard cet événement, Sen en a conclu que le désastre aurait pu être évité. Pour lui, à l’époque de cette famine, il y avait un approvisionnement alimentaire suffisant en Inde. La production était même plus élevée que durant les années précédentes pendant lesquelles il n’y avait pas eu de famines. Pour lui, ce qui a causé cette famine est le fait que la distribution de nourriture a été entravée. En effet, certaines catégories de la société, en l’occurrence dans ce cas, les travailleurs ruraux ont perdu leur emploi et donc leur capacité à acheter de la nourriture. Pour Sen, un certain nombre de facteurs économiques et sociaux mènent certains groupes de la société à la famine. Ces facteurs sont le chômage, la chute des salaires, la hausse des prix alimentaires et la pauvreté des systèmes de distribution de la nourriture.
Amartya Sen a donc cherché à démontrer grâce à ses travaux que les famines ne sont pas uniquement causées par un manque de nourriture, mais également par des inégalités qui sont provoquées par les mécanismes de distribution de la nourriture. Ces inégalités viennent pour lui de mauvais choix politiques.
Son analyse permet de mettre en évidence les inégalités qui sont engendrées par les mécanismes de distribution et par ce qu’il appelle les droits d’accès à la nourriture. Pour réduire ces inégalités, il faut encourager le contrôle démocratique des gouvernements, car pour lui, les démocraties ne connaissent pas de famines.
Sa théorie de la capabilité met en avant la liberté positive, qui correspond à la capacité d’un individu à être ou à faire quelque chose, à pouvoir vivre sa vie, plutôt que la liberté négative qui se caractérise par une absence d’interférence.
Pendant la famine au Bengale en 1943, la liberté négative des travailleurs ruraux qui consistait à pouvoir acheter de la nourriture n’était pas affectée. Néanmoins, ils sont morts de faim parce qu’ils n’étaient pas positivement libres de faire n’importe quoi. Ils n’ont pas pu se nourrir, ce qui revient au fait qu’ils n’ont pas eu la capabilité d’échapper à la mort.
L’inégalité des sexes
Amartya Sen s’est intéressé aux inégalités qu’il pouvait y avoir entre les sexes. Pour cela, il a notamment analysé l’impact de l’inégalité des droits entre les hommes et les femmes dans les pays en développement (spécialement en Asie) sur la mortalité.
Son analyse lui a permis de mettre en évidence un lien entre le taux de femmes qui travaillent en dehors de leur foyer et leur espérance de vie. En effet, elles travaillent beaucoup plus ce qui peut réduire leur espérance de vie, alors même que leur accès aux soins médicaux est inférieur à celui des hommes.
Par ailleurs, en travaillant sur l'économie du bien-être, il a pu expliquer pourquoi il y avait moins de femmes que d’hommes en Inde et en Chine, alors que c’était le contraire en Occident. Pour lui, cela vient d’un meilleur traitement médical et des meilleures opportunités offerts aux hommes dans les pays concernés. Cela provient aussi, selon lui, de l’avortement plus ou moins pratiqué en fonction du sexe de l’enfant.
La démocratie, un système universel pour Amartya Sen
Amartya Sen s’est également intéressé à la démocratie. Pour lui, le régime démocratique n’est pas uniquement un concept occidental. Il peut aussi être adapté à d’autres civilisations. La vision selon laquelle la démocratie ne conviendrait qu’aux pays occidentaux et serait inadaptée aux autres pays viendrait d’une conception trop réductrice de la démocratie. Cette dernière serait résumée simplement à une forme de Gouvernement qui organise des élections libres et qui aurait une diversité assez importante de partis politiques.
Pour lui, la démocratie doit être prise de manière plus globale. La démocratie est une culture de la délibération publique, ce qui n’est pas exclusif à l’Occident. Pour illustrer son raisonnement, Sen prend pour exemple de nombreuses civilisations africaines, arabes et asiatiques qui permettent de démontrer que la démocratie peut avoir de nombreuses racines et origines. Dans ces civilisations, il existe aussi un débat populaire à différents niveaux qui permettent de gérer leur organisation.
Sur ces bases, Sen défend le système démocratique en le considérant universel, c’est-à-dire qu’il a vocation à être utilisé partout dans le monde entier. Pour lui, il apportera forcément le progrès social.
La création de l’Indice de développement humain (IDH) par Amartya Sen
Amartya Sen a influencé l’économie du développement avec la création, en 1990 de l’Indice de développement humain (IDH) à travers le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD). Cet indicateur permet de faire des comparaisons internationales concernant le développement humain des différents pays dans le monde.
Initialement, cet indice combinait trois capabilités essentielles que sont la santé mesurée par l’espérance de vie, l’éducation mesurée par les taux de scolarisation et d’alphabétisation et les ressources monétaires mesurées par le revenu par tête en parité de pouvoir d’achat. L’IDH est constitué de ces trois composantes.
Le but de la création de l’IDH était d’apporter un indicateur pour évaluer le développement de manière plus précise et pour mettre le développement humain au centre du développement d’une manière générale (et notamment le développement économique). Avant, c’était uniquement le produit intérieur brut (PIB) par habitant qui était utilisé, mais il ne donnait pas d’informations précises sur le bien-être individuel et collectif, il ne mesurait que la production économique.
Pour Amartya Sen, le développement est, plus encore, un processus qui permet d’élargir les choix des individus, plutôt qu’une simple hausse du revenu national.