Informations principales
Thorstein Bunde Veblen est un économiste et sociologue américain, né le 30 juin 1857 à Cato, aux États-Unis, et mort le 3 août 1929 à Menlo Park, dans le même pays.
Il était membre de l’Alliance technique qui a été fondée par Howard Scott, dans les années 1918-1919. Cette alliance a donné naissance au mouvement technocratique, qui défend la mise en place d’un ordre social technocratique, c’est-à-dire dont le gouvernement est principalement composé d’experts techniques appliquant leurs méthodes.
Dans son ouvrage le plus connu intitulé Théorie de la classe de loisir publié en 1899, il y développe un certain nombre de concepts tels que celui de la consommation ostentatoire et du loisir ostentatoire.
Veblen est considéré comme le père fondateur de l’École d’économie institutionnelle (ou courant institutionnaliste) qui se concentre sur la compréhension du rôle des institutions et de leurs évolutions dans la formation du comportement économique des agents économiques.
Par ailleurs, Thorstein Veblen s’est montré critique envers le capitalisme. En tant qu’intellectuel progressiste majeur aux États-Unis, il s’est attaqué à la production qui a des fins lucratives. Il a également ouvert la voie à une opposition hétérodoxe et variée à la domination de la pensée néoclassique. Il a été l’un des inspirateurs du New Deal du président américain Franklin D. Roosevelt qui correspond à la politique mise en place aux États-Unis pour lutter contre les effets de la Grande Dépression suite à la crise économique de 1929.
Durant toute sa vie, Thorstein Veblen adoptera, tant au niveau de sa vie, que de son œuvre, des positions anti-conformistes et décalées. En effet, ses comportements parfois insolites, sa manière de s’habiller, sa vie sentimentale tumultueuse, ses méthodes d’enseignement peu orthodoxes, ou encore son hostilité envers la religion ont compliqué sa carrière académique (contrats non-renouvelés ou périodes de chômage entre autres). Toutefois, son œuvre a été reconnue pour son originalité et par sa capacité à allier l’économie, la sociologie et l’histoire.
Thorstein Veblen : de nombreuses critiques de la théorie économique, de l’économie néoclassique et du marxisme
Thorstein Veblen a vivement critiqué la société de son temps, mais également les théories qui prétendent expliquer cette société en question, et donc par prolongement, la théorie économique elle-même. C’est d’ailleurs lui qui crée l’expression “économie néoclassique”, dans le but de mettre en évidence la continuité, plutôt que la rupture, entre l’économie politique classique et la nouvelle école marginaliste.
Veblen tient ce discours, car il considère que, comme souvent dans le domaine des sciences sociales, la théorie néoclassique est en retard par rapport à la réalité qu’elle pense décrire. En effet, il la juge trop abstraite, statistique et déductive, et donc qu’elle n’est pas capable d’expliquer la croissance économique et les crises. Il souligne aussi qu’elle est fermée aux autres disciplines, comme par exemple celles de l’histoire et de la sociologie. Lui considère, au contraire, qu’il est nécessaire d’avoir une approche multi-disciplinaire, c’est-à-dire qui prend en compte plusieurs disciplines à la fois, afin de comprendre l’évolution sociale et la transformation des institutions.
De plus, il estime qu’elle a une vision trop étriquée de l’être humain, cette vision étant infirmée par les enseignements qu’il y a eus en psychologie, biologie et ethnologie.
De la même manière qu’avec l’économie néoclassique, Thorstein Veblen a également critiqué le marxisme, même si ses idées en sont plus proches. Il reproche, autant à Marx, que celui qui l’a inspiré, Hegel, leur conception déterministe de l’histoire, selon laquelle chaque événement est causé par des facteurs qui ont eu lieu précédemment.
Il considère également que la théorie de la valeur travail et de la plus-value est inadaptée à la société industrielle moderne qui est de plus en plus complexe et qui est dominée par le machinisme (c’est-à-dire par l’utilisation des machines).
Par ailleurs, il ne partage pas l’idée de Marx selon laquelle il y a une lutte des classes. En effet, il estime que le prolétariat ne cherche pas particulièrement à se révolter. Il pense qu’il est plutôt perverti par les classes supérieures, dans la mesure où il cherche à intégrer ses valeurs et à les imiter.
L’évolution des individus et leurs instincts
Pour Thorstein Veblen, la société n’est pas du tout un monde équilibré et harmonieux. Il considère que, depuis l’origine, la société est un lieu de conflits et de dominations. En effet, selon lui, l’être humain n’est pas un calculateur rationnel qui ne cherche que le plaisir, il est, au contraire, guidé par des pulsions et des instincts irrationnels.
Veblen estime que les instincts en question évoluent avec les transformations et les modifications qui débutent tout d’abord à l’époque des communautés primitives, pour finalement aboutir aux sociétés industrielles modernes. Pour lui, l’un des instincts primitifs les plus importants est l’instinct prédateur, qui amène une minorité oisive à s’approprier le surplus économique. Cet instinct s’exprime en premier lieu dans les relations entre les hommes et les femmes. Ensuite, il a évolué pour opposer la “classe de loisir” d’un côté, qui réalise les activités de la guerre, gouvernementales, religieuses et sportives, et la classe des travailleurs d’un autre côté.
Cela signifie donc pour Veblen que l’instinct prédateur va, tout d’abord, de pair avec la capacité à faire des prouesses et des exploits, ainsi qu’avec des instincts guerriers et sportifs. Ensuite, dans la société moderne, il évolue pour prendre la forme d’une rivalité pécuniaire qui passe par un excès et une démonstration de consommation, de loisirs, et de gaspillages que Veblen qualifie d’ostentatoires. Il juge que plus un individu est élevé dans l’échelle sociale, moins il consomme pour satisfaire ses besoins.
À l’inverse, il explique que plus un individu consomme, c’est pour exprimer sa supériorité, sa richesse et son pouvoir. Par rapport à ce raisonnement, l’expression “biens Veblen” ou “effet Veblen” est utilisée pour qualifier ceux dont le prix baisse quand la demande baisse également, ou à contrario, ceux dont le prix augmente quand la demande augmente.
Face à ces pulsions néfastes, il oppose l’instinct artisan (ou instinct laborieux) qui se caractérise par la propension à être curieux gratuitement et par l’instinct parental. Pour lui, ce sont ces derniers qui constituent les moteurs principaux du progrès économique, scientifique et social.
Selon Veblen, ces instincts ne concernent pas exclusivement une seule classe sociale. En effet, il estime qu’on les retrouve chez tous les individus, mais à des degrés différents. Il considère que même les plus pauvres se livrent à des loisirs et à des consommations ostentatoires, notamment à cause de l’influence de la publicité.
Les institutions sont importantes pour la société selon Thorstein Veblen
En plus des instincts, Thorstein Veblen met au cœur de sa vision de la société, l’évolution et les institutions. Concernant ces dernières, il ne les définit pas comme des organisations, mais comme des habitudes et des manières répandues de penser, à la fois les rapports particuliers et les fonctions particulières des personnes et d’une manière générale de la société.
Concrètement, cela correspond aux usages, coutumes, règles de comportement et principes juridiques. Cela signifie donc, pour Veblen, que les institutions comportent une dimension culturelle importante. De plus, il ajoute qu’elles évoluent afin de s’adapter à un environnement qui change constamment. Toutefois, il juge que la plupart du temps, elles se manifestent en retard par rapport au progrès scientifique et technologique. Il estime que c’est ce retard qui est l’origine principale des problèmes économiques et sociaux.
De nombreuses critiques de l’économie moderne
Thorstein Veblen a appliqué à l’étude de l’économie moderne, l’analyse duale qu’il a développée. En effet, dans l’économie moderne, l’instinct artisan correspond à l’industrie, tandis que l’instinct prédateur équivaut au monde des affaires. Cela implique donc que le progrès industriel a un lien étroit avec l’avancée des sciences et des techniques. L’industrie moderne est alors caractérisée par le rôle central du machinisme, c’est-à-dire de l’utilisation des machines.
Veblen considère que le but de toute activité industrielle est de fabriquer des produits, avec pour objectif d’améliorer le bien-être de la population. Néanmoins, il constate que dans le capitalisme moderne, les activités productives sont gérées par des entreprises d’affaires qui investissent pour obtenir un gain financier, c’est-à-dire pour faire du profit. Selon lui, l’objectif de ces entreprises n’est donc pas de faire des objets, mais de l’argent.
Veblen juge que rien n’assure une coïncidence des intérêts de l’industrie et de ceux des affaires. Cela est même le contraire pour lui. Par exemple, il peut être rentable pour une entreprise de limiter la production, de gaspiller des ressources, d’augmenter sans raison les prix ou encore de produire des objets inutiles ou dangereux, et tout cela, même si c’est antisocial.
Selon Thorstein Veblen, quand le capitalisme a émergé, l’entreprise était dirigée par un vrai industriel possédant l’instinct artisan. Néanmoins, avec le temps, le pouvoir économique est passé aux mains de ce qu’il appelle les prédateurs modernes, à savoir les financiers et les capitaines d’industrie. Sur la base de ce raisonnement, Veblen a été l’un des premiers économistes à apporter une description des effets de la séparation entre la propriété et la gestion des entreprises d’une part, et l’émergence de ce qu’il appelle la “propriété absentéiste” d’autre part. Cette dernière s’est imposée comme la nouvelle forme dominante du capitalisme dans la période de l’après-guerre (de la Première Guerre mondiale).
Il estime que la propriété du capital a exercé un freinage de l’industrie à travers le système des prix, et c’est cela qui a ensuite causé des crises économiques et engendré du chômage. Il ajoute que la forte croissance du crédit, ainsi que la capitalisation boursière excessive ont créé un décalage de plus en plus important entre le capital réel, productif et tangible d’une part, et le capital monétaire et intangible d’autre part.
Dans le but de sortir de cette impasse, Thorstein Veblen espérait que les véritables porteurs de l’instinct artisan, c’est-à-dire les techniciens et les ingénieurs, alliés aux travailleurs manuels, réalisent une prise de contrôle de l’industrie. Toutefois, il n’a pas donné d’explications sur la manière dont ce nouveau régime de techniciens allait pouvoir être mis en place et ensuite fonctionner.
Vers la fin de sa vie, Veblen était de plus en plus pessimiste et amer face à la collaboration croissante entre le monde des affaires, celui de la guerre et celui de la religion.