Informations principales
Robert Emerson Lucas Junior est un économiste et professeur américain, né le 15 septembre 1937 à Yakima, dans l'État de Washington, aux États-Unis et mort le 15 mai 2023, à Chicago, dans le même pays.
Il est membre de l’École de Chicago. Il est l’un des fondateurs de la Nouvelle économie classique qui se base sur des théories néoclassiques, mais en les actualisant, et qui lutte contre John Maynard Keynes et ses doctrines. À ce titre, il défend une vision minimale de l’État dans la sphère économique et il s’est vivement opposé aux théories keynésiennes qu’il juge trop rigides et inefficaces sur le long terme.
Il a eu un impact important sur le domaine économique grâce à ses travaux sur les anticipations rationnelles.
Il a aussi réalisé des apports significatifs aux sciences économiques avec ses travaux sur l’investissement et ses coûts d'ajustement marginaux, la croissance endogène avec son concept de capital humain, la théorie de l’argent, et enfin, sur l’évaluation des actifs.
En 1995, il a obtenu le Prix Nobel d’économie pour son travail sur les anticipations rationnelles, ainsi que pour sa « Critique de Lucas ».
Robert Lucas a été influencé par les travaux de Milton Friedman et de Paul Samuelson.
La théorie de l’équilibre général selon Lucas
Robert Lucas est un fervent défenseur du libéralisme, qu’il a repris de la pensée économique classique. Sur cette base, il a fondé la Nouvelle économie classique qui base ses modèles sur les comportements individuels. Ces derniers sont les seuls, selon lui, à ne pas être affectés par les politiques économiques mises en place par les dirigeants, au moins sur le court terme. À ce titre, Lucas défend la théorie de l’équilibre général. Néanmoins, au vu de la complexité des interactions entre les choix des individus, cette théorie n’apporte pas, selon lui, des lois claires qui peuvent servir de base aux modèles macroéconomiques.
C’est à partir de cela que Robert Lucas, et les nouveaux économistes classiques d’une manière générale, apportent une solution radicale. En effet, ils réduisent l’équilibre général aux choix d’un nombre très réduit d’individus, et même généralement d’un seul. Cet individu (ou ces individus le cas échéant) est qualifié de “représentatif”. De plus, il connaît les conséquences de ses choix parce qu’il comprend très bien les mécanismes économiques, c’est ce qui correspond à la théorie des anticipations rationnelles.
Sur la base de ce raisonnement, Robert Lucas considère que, seul le modèle d’équilibre général, notamment défendu par la théorie néoclassique, correspond au modèle de concurrence pure et parfaite. Cela implique pour lui, que l’économie se trouve dans un état d’équilibre (avec une concurrence parfaite), excepté en cas d’aléas temporaires causés par des chocs exogènes (c’est-à-dire extérieurs).
L’opposition de Robert Lucas à John Maynard Keynes
Dans les années 1970, Robert Lucas a émis de nombreuses critiques, à la fois sur les méthodologies et sur les concepts de John Maynard Keynes. Selon Lucas, il faut surtout retenir des idées de Keynes le rôle qu’elles ont joué pour lutter contre l’expansion du socialisme, plutôt que pour sa contribution à la science économique.
Les principales critiques se résument aux principaux défauts du raisonnement keynésien.
Tout d’abord, pour Robert Lucas, Keynes a commis une faute majeure en sortant la question du chômage de son analyse des cycles. Keynes avait pourtant esquissé le sujet dans son ouvrage Un traité sur la monnaie.
Ensuite, Lucas commente et réalise des observations concernant la vision à court terme de Keynes, c’est-à-dire concernant son analyse statique.
Robert Lucas a même qualifié John Maynard Keynes de traître, parce que, selon lui, il s’éloigne de la discipline de l’équilibre comme il l’appelle, qui implique l’équilibre général (c’est-à-dire l’équilibre sur tous les marchés grâce au jeu de l’offre et de la demande), les agents économiques qui agissent de manière optimale, une concurrence parfaite, etc. La théorie de l’équilibre général est vivement défendue par l’École néoclassique.
Dans son ouvrage Les salaires réels, l’emploi et l’inflation, Lucas désapprouve la macroéconomie de Keynes, et l’idée que ce dernier fait de la notion de substitution intertemporelle (c’est-à-dire l’influence de la variation du taux d’intérêt réel sur le taux de croissance de l’inflation).
Enfin, il estime que Keynes a des difficultés à comprendre ses propres concepts, tels que celui du chômage involontaire et celui du plein-emploi.
Au titre de toutes ces critiques, Robert Lucas propose tout simplement d’abandonner le cadre d’analyse de John Maynard Keynes, qu’il juge rempli d’imperfections et de confusions. Lucas considère que Keynes (qui était mathématicien et économiste) et ses sympathisants sont responsables d’avoir détourné la théorie économique pour l’emmener dans l’élaboration de modèles purement mathématico-économétriques.
Afin de répondre à ces critiques, les économistes de sensibilité keynésienne ont décidé de proposer un nouveau cadre d’analyse avec la Nouvelle économie keynésienne.
Par ailleurs, Robert Lucas a aussi reçu des critiques. En effet, il lui a été reproché de ne pas faire de distinction entre la macroéconomie et la microéconomie.
De plus, il est classé dans la catégorie des économistes qui estiment que tout passe, au préalable, par le fictif, c’est-à-dire par l’imagination des savants. À ce sujet, Lucas lui-même réduira la théorie économique à des raisonnements dispersés, plus ou moins élaborés et aboutis, ainsi que basés sur une économie artificielle.
La théorie des anticipations rationnelles
Robert Lucas commence son analyse en critiquant la Courbe de Phillips de William Phillips qui relie l’inflation et le taux de chômage d’une économie. Selon cette courbe, plus les prix augmentent, et moins il y a de chômeurs, et vice-versa. Il critique également les politiques keynésiennes qui visent la régulation de la demande. Lucas remet donc en question la viabilité de ces raisonnements qui impliquent de faire un arbitrage entre le chômage et l’inflation. Pour cela, il reprend les concepts déjà avancés par Milton Friedman, à savoir le chômage naturel (l’existence d’un chômage normal dans l’économie) et les anticipations adaptatives (qui veut que les agents économiques apprennent du passé pour anticiper l’avenir et mieux s’adapter).
Robert Lucas va plus loin avec le concept d’anticipations rationnelles. En effet, sauf à prendre les individus par surprise, il estime que toute politique économique est vouée à l’échec. Il tient ce raisonnement, car pour lui, les agents économiques sont rationnels. Cela signifie qu’ils apprennent de leur passé et de leurs erreurs afin de ne plus les reproduire, comme le stipule la théorie des anticipations adaptatives. Mais cela va bien plus loin puisque Lucas considère qu’ils ont également une parfaite connaissance des mécanismes économiques et politiques, grâce à la théorie qui leur a été enseignée. Par conséquent, cela signifie, selon lui, qu’ils possèdent une aptitude à anticiper, de manière rationnelle, les effets et les conséquences d’une politique économique, ainsi que les manières de la neutraliser dès le début.
À l’inverse de l’anticipation adaptative dans laquelle, après un certain tâtonnement, Milton Friedman explique que la politique de relance keynésienne n’a pour seul effet qu’une augmentation des prix qui laissent le niveau de chômage inchangé. Robert Lucas considère, quant à lui, qu’il n’y a même pas de tâtonnement de la part des agents économiques, puisqu’ils ont des anticipations rationnelles. Les anticipations, justement parce qu’elles sont rationnelles, se trouvent finalement réalisées.
Sur la base de ce raisonnement, Lucas remet en cause l’efficacité des politiques économiques et met en avant leur incapacité à réduire le chômage. Cela signifie alors, pour lui, que le chômage est volontaire. Il considère à ce titre que la politique économique n’a qu’un rôle contextuel, c’est-à-dire qu’elle doit avoir pour objectif de fixer un cadre monétaire et fiscal stable. Elle ne doit donc absolument pas être interventionniste.
Robert Lucas a également adapté son raisonnement à la variation des prix et des salaires. Milton Friedman considérait, à travers la théorie des anticipations adaptatives, que les agents économiques s’adaptaient progressivement en fonction de ces variations des prix et des salaires. Lucas, quant à lui, est allé beaucoup plus loin puisqu’il a affirmé que les agents ajustent leurs comportements aux politiques économiques immédiatement, et non pas progressivement. Cela signifie qu’ils anticipent l’impact de ces politiques sur les variations de la monnaie et des prix. Cela sous-entend donc que la monnaie est neutre pour lui.
C’est ce raisonnement des anticipations rationnelles qui a conduit Robert Lucas à critiquer les modèles économétriques, ce qui aboutira à la “Critique de Lucas”. En effet, le biais qui est introduit par les anticipations des agents économiques sur les effets des politiques économiques mises en place, les rend vaines.
Après la période du keynésianisme, la généralisation des anticipations rationnelles à tous les marchés et à l’économie d’une manière générale remet au goût du jour le principe du laissez-faire.
La Critique de Lucas
Robert Lucas critique les modèles macroéconomiques qui existent déjà d’être élaborés avec des équations qui ne reflètent uniquement les comportements passés des différents agents économiques, et notamment leurs réactions, suite à la mise en place par les gouvernements des politiques économiques. Toutefois, sauf si les gouvernements concernés gardent exactement la même politique que celle qui avait été mise en place au moment où les modèles ont été estimés, cela signifie que les prévisions fournies par ces modèles en question seront alors forcément erronées. Les prévisions seront biaisées étant donné que les agents économiques vont modifier leurs réactions face à la mise en place d’une nouvelle politique économique.
Afin d’éviter ce problème, il faut, selon Lucas, construire des modèles qui ont pour point de départ les “fondamentaux” de l’économie, c’est-à-dire des paramètres qui ne vont pas être affectés par les aléas et les variations liés à la conjoncture (ce qui comprend l’action des gouvernements). Ces “fondamentaux” correspondent par exemple aux techniques disponibles, aux formes institutionnelles (comme l’organisation des marchés, etc), les goûts des consommateurs, etc. Ces différents paramètres sont ramenés à celui d’un agent représentatif, qui va ensuite être assimilé à l’économie dans sa globalité.
La Critique de Lucas a eu un certain impact d’un point de vue académique, mais d’un point de vue pratique, sa portée a été limitée. En effet, cette critique a amené à élaborer des modèles, au final, très réduits concernant leur dimension, c’est-à-dire basés sur des hypothèses qui vont à rebours du bon sens (comme dans le cas de l’agent représentatif par exemple). Ces modèles apportent, en fin de compte, des prédictions et des prévisions beaucoup moins bonnes que les modèles classiques qu’ils sont censés remplacer, et pourtant considérés comme biaisés par ses détracteurs.
Dans la pratique, les Banques Centrales, les gouvernements, et toutes les institutions qui se livrent à des prévisions macroéconomiques d’une manière générale, ont continué à utiliser les mêmes modèles classiques, sans vraiment prendre en compte les critiques émises par Robert Lucas.
La critique de l’interventionnisme
En prenant en compte sa théorie des anticipations rationnelles, Robert Lucas considère que la mise en œuvre des politiques économiques n’a plus d’intérêt, puisque les agents économiques anticipent, de manière instantanée, les variations des prix et des salaires en fonction de la politique économique mise en œuvre. Cela a pour conséquence d’annuler automatiquement les effets de cette dernière. Par exemple, si un Gouvernement décide de mettre en place une politique monétaire expansionniste afin de relancer l’économie, comme le préconise notamment John Maynard Keynes, les agents économiques vont anticiper l’inflation à venir et ils vont donc augmenter leur taux d’épargne, ce qui va mécaniquement annuler l’effet de la relance.
Toutefois, Robert Lucas estime qu’une politique économique peut être efficace, mais seulement à la condition d’arriver à contourner les phénomènes d’anticipation des agents économiques. Cela nécessite que la politique mise en place soit acceptée par tous les agents en question, et cela, sans réserves.
Lucas a admis, dans certaines circonstances l’action publique, notamment pour favoriser la croissance endogène, c’est-à-dire basée sur des éléments internes. En effet, il a montré, à ce titre, que le capital humain était un facteur essentiel et déterminant du progrès technique.
Le paradoxe de Lucas
Le paradoxe de Lucas est un paradoxe économique qui stipule que, à l’inverse du raisonnement néoclassique, les flux d’investissement (c’est-à-dire le capital) ne vont pas des pays riches vers des pays pauvres, là où leur rémunération est la plus élevée, du fait de leur abondance moindre. En réalité, les flux d’investissement vont des pays riches et pauvres vers les pays riches.
Plusieurs explications ont été apportées au paradoxe de Lucas. En effet, il a été mis en avant notamment l’asymétrie d’information, c’est-à-dire une situation dans laquelle les différents acteurs d’un marché ne disposent pas tous de la même information.
Une autre explication vient de la fragilité des institutions dans les pays pauvres. Cette fragilité n’incite pas, et peut même refroidir les investissements. Cela peut venir par exemple de la corruption, du manque d’infrastructures, de l’insécurité, etc. Tous ces éléments réduisent la rentabilité anticipée des capitaux investis.
Le sujet du chômage et la théorie des fluctuations cycliques
À l’inverse des économistes classiques qui considèrent que le système économique est toujours équilibré, les théoriciens des cycles reconnaissent l’existence de fluctuations cycliques, ce qui signifie que la crise économique équivaut au retournement du cycle.
La théorie de Robert Lucas concernant les cycles suggère que c’est un choc qui est l’élément déclencheur des cycles économiques. Cela signifie que, pour lui, il y a des fluctuations parce qu’il y a un choc de nature monétaire (c’est-à-dire en lien avec la monnaie), tout en sachant que les agents économiques prennent des décisions optimales.
Lucas aborde le sujet du cycle économique avec la perspective qu’il y a un équilibre général dans l’économie. Cela signifie que, pour lui, le problème du chômage involontaire passe au second plan, puisqu’il ne peut être pris en considération que dans le cadre des cycles économiques, et pas en dehors.
Par ailleurs, en fervent défenseur du libéralisme, il considère que l’État n’a aucun rôle correcteur à jouer en ce qui concerne les cycles économiques. En effet, ces derniers ne sont pas considérés comme des dysfonctionnements de l’économie, mais comme des phénomènes tout à fait normaux.
La théorie des fluctuations des cycles de Robert Lucas a constitué un important changement dans les années 1970. Toutefois, sa durée de vie sera courte, puisqu’elle sera rapidement balayée par la théorie d’Edward Prescott et Finn Kydland.