Informations principales
Alfred Sauvy est un économiste, démographe et sociologue français, né le 31 octobre 1898 à Villeneuve-de-la-Raho, dans les Pyrénées-Orientales, en France et mort le 30 octobre 1990, à Paris, dans le même pays.
Il a fait ses études à l’École Polytechnique. Après avoir obtenu son diplôme, il travaille à la Statistique Générale de la France (SGF) jusqu’en 1937. À partir de 1938, il est conseiller économique du ministre des Finances Paul Reynaud jusqu’à ce qu’éclate la Seconde Guerre mondiale en 1939.
Après son passage à l’École polytechnique, Alfred Sauvy rejoint et participe aux réflexions du cercle X-Crise (qui sera dissous en 1940), groupe de réflexion et de débats sur l’économie, qui rassemble d’anciens élèves de cette école.
Durant toute sa carrière, il a dénoncé les phénomènes de vieillissement et de dénatalité.
Il a acquis une certaine notoriété pour avoir créé l‘expression « tiers-monde » qui fait référence aux pays qui n’étaient alignés ni sur le bloc occidental ni sur le bloc oriental pendant la guerre froide et qui étaient donc dans une situation de sous-développement.
Il a également développé sa théorie du déversement, selon laquelle des progrès techniques qui améliorent la productivité entraînent un transfert (ce qu’il appelle un déversement) des emplois d’un secteur d’activité vers un autre secteur d’activité (par exemple de l’industrie vers les services).
Alfred Sauvy est l’une des principales personnes qui ont incité à la création de l’Institut national d’études démographiques (INED), établissement public spécialisé dans les recherches qui concernent la démographie et la population d’une manière générale. Après sa création, Alfred Sauvy en est le premier directeur à partir de 1945 et jusqu’à 1962, sur nomination du général de Gaulle. En tant que directeur de l’INED, il représente la France à la commission des Statistiques et de la Population des Nations Unies.
Au-delà de ses activités de recherche, il a été professeur à l’Institut d’études politiques de Paris (aussi appelé Sciences Po) de 1940 à 1959. Il a ensuite été élu professeur au Collège de France en 1959, ce qui lui a permis d’occuper la chaire de démographie sociale pendant 10 ans, jusqu’en 1969. Par ailleurs, jusqu’à sa mort en 1990, il a écrit pour le journal Le Monde. Dans ses écrits, il se montre régulièrement en désaccord avec les décisions des dirigeants politiques français, estimant qu’elles sont trop prises à courte vue, au détriment du long terme.
La dénonciation du malthusianisme par Alfred Sauvy
Lors de la période du Front populaire entre 1936 et 1938, Alfred Sauvy est membre du cabinet de Charles Spinasse, alors Ministre de l’Économie nationale de Léon Blum. Il devient ensuite en 1938, lors du gouvernement Daladier, conseiller du Ministre des Finances Paul Reynaud. Ce dernier, sous ses recommandations, supprimera la semaine de 40 heures qui avait été mise en place par Léon Blum, pour passer la durée de travail à 41,5 heures. S’il reconnaît les bienfaits de la politique de dévaluation de Blum, il juge que réduire la durée de travail hebdomadaire à 40 heures est un contre-sens économique. En effet, il considère même que bloquer une économie en pleine reprise est l’acte le plus dommageable commis depuis la révocation, par Louis XIV, de l’Édit de Nantes. Il estime que cela a été une erreur immense.
Ce raisonnement sur la durée de travail est directement lié à son analyse démographique, puisque toute sa vie, il dénonce le malthusianisme, doctrine politique et économique de l’économiste britannique Thomas Malthus qui prône la restriction démographique, la dénatalité et le partage du travail.
Le démographe nataliste
En 1943, Alfred Sauvy publie son ouvrage intitulé Richesse et population, dans lequel il plaide pour une politique nataliste et se positionne contre toute forme de protectionnisme corporatif ou syndical.
En 1949, Sauvy a décrit la surpopulation potentielle comme un “faux problème”. C’est à ce titre qu’il s’est opposé aux différentes tentatives de contrôle de la population mondiale. Il a suggéré d’examiner les pays au cas par cas pour déterminer s’ils manquent de matières premières et de ressources naturelles pour être capables de subvenir aux besoins d’une population plus nombreuse. Sinon, il pensait que le risque était réel qu’un pays soit sous-peuplé, alors qu’il pourrait supporter une population beaucoup plus importante.
En 1986, Alfred Sauvy s’est alarmé du déséquilibre qui se créait entre les évolutions démographiques de l’Europe et de l’Afrique. À ce moment-là, il a même estimé que la question du terrorisme issu du Proche-Orient était dérisoire à côté du déséquilibre qui était en train de se créer en Méditerranée occidentale. Il estime que l’effondrement de la natalité en Italie et en Espagne, qui est beaucoup plus grave que celle de la France, est souvent oubliée. À côté de ces pays européens qui stagnent ou se dépeuplent, l’Algérie et le Maroc vont doubler leur population en 25 ans.
Cela implique qu’il va y avoir une dangereuse disproportion entre les nombres, mais également entre les âges. En effet, il explique qu’il y aura d’un côté des vieux qui pensent à leur retraite et à leur vie tranquille, et d’un autre côté des peuples jeunes et exubérants. Cela crée donc un déséquilibre dangereux et une tentation de la part des populations de s’assurer un espace vital.
Le concept de tiers-monde
Alfred Sauvy s’est beaucoup intéressé au lien entre la population et le développement. Dans un article devenu célèbre intitulé “Trois mondes, une planète” et publié dans le journal L’Observateur en 1952, il y définit le concept de tiers-monde. Selon lui, le tiers-monde, qui correspond aux pays du Sud, est coincé entre le monde capitaliste d’une part et le monde socialiste de la guerre froide d’autre part.
Avec ce terme de “tiers-monde” Sauvy fait une référence directe à l’Abbé Sieyès qui, juste avant la Révolution française de 1789, avait décrit la position du tiers-État comme une catégorie qui se retrouve en opposition avec la noblesse et le clergé.
Sauvy explique que le tiers-monde est ignoré, et plus que cela, méprisé et exploité, comme l’était le tiers-État avant lui, alors qu’il veut, lui aussi, être quelque chose.
Au-delà de l’expression en elle-même, Alfred Sauvy souhaitait ouvrir le débat sur la question de l’explosion démographique dans les pays du Sud. À l’époque, en pleine période de décolonisation africaine et asiatique, cette explosion est une source d’inquiétude. S’est alors posée la question de savoir comment mettre fin aux vagues migratoires qui en découlaient et comment lutter contre cette “prolifération de pauvres” que l’on n’arrivera pas à nourrir. Face à ces interrogations et à l’encontre du malthusianisme ambiant de l’époque, Sauvy affirme qu’il ne faut pas craindre la natalité. En effet, il considère qu’une croissance de la population globale représente aussi une croissance de la population active et des forces vives. Mais en même temps, il défend une aide au développement accrue de la part des pays riches envers les pays plus pauvres, ainsi que des investissements massifs dans le but de canaliser cette énergie humaine.
À la fin de sa vie, Alfred Sauvy a désavoué sa propre expression, en considérant qu’elle fait oublier la diversité croissante des pays en développement. De plus, il juge trop restrictif d’englober dans le même terme les pays d’Afrique et d’Asie.
La théorie du déversement d’Alfred Sauvy
Dans le cadre de ses travaux sur la démographie et la population, Alfred Sauvy a développé la théorie du déversement dans le livre intitulé La Machine et le chômage, publié en 1980. Selon cette théorie, il existe un transfert (ce qu’il appelle un déversement) de la population active du secteur primaire, c’est-à-dire l’agriculture, vers le secteur secondaire, c’est-à-dire l’industrie, puis enfin, vers le secteur tertiaire, c’est-à-dire les services. En effet, grâce aux gains de productivité dégagés par le progrès technique (avec la mécanisation agricole par exemple, ou encore avec la généralisation du fordisme dans l’industrie), les volumes produits augmentent, tandis que les prix baissent, ce qui permet de faire croître la demande, ce qui, au final, permet de créer de nouveaux emplois.
Alfred Sauvy reconnaît toutefois que cela peut créer des points négatifs. Par exemple, sur le moment, la machine remplace l’homme, ce qui supprime un emploi, mais il assure qu’à long terme, le solde d’emplois créé est positif.
En observant les faits, ce mécanisme correspond tout à fait à ce qu’a connu la France à partir du début de la Révolution Industrielle. Il y a d’abord eu la “fin des paysans”, caractérisée par un exode massif des ouvriers agricoles vers l’industrie (50 % des actifs l’étaient dans l’agriculture en 1900, contre quelques pourcents à peine aujourd’hui). Le pays a ensuite connu, à partir des années 1970, le déversement des emplois industriels vers les services, ce qui correspond à la tertiarisation de l’économie.
Depuis ce raisonnement, certaines limites ont été apportées. En effet, il a été noté que le transfert (ou déversement selon le terme de Sauvy) n’est ni immédiat, ni systématique. Par exemple, il est très difficile pour un chaudronnier de se reconvertir en informaticien. Ensuite, les emplois qui sont détruits sont parfois recréés à l’intérieur d’un même secteur. Enfin, la classification des actifs en trois branches (à savoir primaire, secondaire et tertiaire) a moins de sens au 21ème siècle qu’au siècle précédent, étant donné que les trois quarts des individus se retrouvent à travailler dans le secteur tertiaire.