Informations principales
Arai Hakuseki (Kinmi ou Kimiyoshi de son vrai nom) est un fonctionnaire, universitaire, écrivain polygraphe, administrateur, conseiller et homme politique japonais, né le 24 mars 1657 à Edo (ancien nom de Tokyo) au Japon et mort le 29 juin 1725 à Sendagaya, dans le même pays. Il a vécu durant l’époque d’Edo (ou période Tokugawa), caractérisée par une dictature militaire féodale au Japon, menée par la dynastie Shogunat Tokugawa.
Arai Hakuseki a été notamment le conseiller du shogun (c’est-à-dire du dirigeant de facto du pays, contrairement à l’empereur, dirigeant de jure) Tokugawa Ienobu.
À travers son rôle de savant et de conseiller des dirigeants du pays, il va favoriser l’assainissement du système monétaire du Japon, qui était très dégradé, et va prôner l’encadrement du commerce extérieur. Son approche est rigoriste en ce qui concerne la monnaie et autarcique en ce qui concerne l’économie.
De plus, il a été très influencé par le confucianisme, qui est une école de pensée philosophique, morale, politique et religieuse basée sur les travaux du philosophe Kongfuzi (connu en Occident sous le nom de Confucius).
Hakuseki est considéré comme une des figures majeures de l’histoire intellectuelle du Japon, dans la mesure où il a étudié pratiquement tous les domaines de connaissance, à savoir la philosophie, l’histoire, la géographie, l’économie, l’administration, la religion, la botanique, la stratégie militaire, le contrôle des incendies, etc.
La situation du Japon et l’ouverture d’Hakuseki
Durant sa vie, Arai Hakuseki a conseillé plusieurs dirigeants japonais. Il a donné des cours chaque jour pendant environ une dizaine d’années au futur shogun Tokugawa Ienobu, qui le prendra ensuite à son service durant son court règne, entre 1709 et 1713. Hakuseki va ensuite exercer concrètement le pouvoir lorsque le fils de Ienobu, Ietsugu, va lui succéder à l’âge de 3 ans, avant de mourir à 6 ans. C’est pendant cette période qu’il a conçu ses principales recommandations économiques et administratives.
À ce moment-là, le Japon est en train d’émerger du féodalisme et vit une période de transition assez complexe. En effet, le 17ème siècle a vu débuter, et s’accélérer la commercialisation et la monétisation de l’économie, qui était avant essentiellement une économie de subsistance. Ce mouvement a engendré l’apparition de l’inflation, ce qui a eu pour conséquence de ruiner les paysans et les samouraïs, en les réduisant au chômage. Ces guerriers, qui se retrouvent sans maître, sont alors généralement devenus des fonctionnaires.
À cette époque, le développement urbain amène de nouveaux problèmes, ce qui crée des ennuis budgétaires aux pouvoirs régionaux et centraux. Le commerce extérieur, et notamment celui avec la Chine et la Corée, prend une place de plus en plus importante. Grâce à cela, les marchands s’enrichissent et montent au plus haut niveau de l’échelle sociale.
D’un point de vue politique, le Japon connaît un pouvoir bicéphale, c’est-à-dire avec deux directions différentes. En effet, d’une part, il y a l’empereur qui détient le pouvoir religieux et qui est basé à Kyoto, capitale impériale du Japon à l’époque. D’autre part, le shogun, le chef militaire suprême qui détient le pouvoir civil et qui dirige le bakufu (“gouvernement sous la tente”, ce qui correspond au gouvernement militaire de cette époque). Entre 1603 et 1868, date du début de l’ère Meiji, c’est la dynastie des Tokugawa qui gouverne le pays et installe son bakufu dans la ville d’Edo (ce qui signifie “porte de la rivière”), qui deviendra la future Tokyo. Hakuseki a été un partisan convaincu et déterminé du pouvoir shogunal.
En tant que disciple résolu de Confucius, Arai Hakuseki juge que le pouvoir du dirigeant suprême doit être fondé sur la rigueur morale, la sagesse et la bienveillance. Il fustige et condamne alors la vénalité, les goûts de luxe, ainsi que la dépravation morale. Selon lui, ces trois derniers éléments, ainsi que l’accroissement de la richesse se propagent dans la population et ses dirigeants. Cela va de pair avec l’augmentation de la cruauté des juges et de la stupidité des bureaucrates, qui se répand également. Il sera par exemple amené à interroger un jésuite italien, Battista Sidotti, venu au Japon de manière clandestine.
À travers ses échanges avec lui, il sera impressionné par ses connaissances, son tempérament et sa culture. Normalement, le sort réservé aux missionnaires chrétiens venant de force dans le pays était d’être torturé et exécuté, mais il a réussi à obtenir que cela ne soit pas le cas pour ce jésuite italien. Des entrevues qu’il a eues avec lui, Hakuseki en a tiré deux ouvrages, Seiyo Kibun et Sairan Igen, qui traduisent une grande ouverture sur la civilisation occidentale, à une époque où le Japon était un pays très fermé.
Néanmoins, il a porté un jugement beaucoup plus critique en ce qui concerne la métaphysique et la religion de l’Occident. En effet, le christianisme lui paraît irrationnel et le fait de croire en un Dieu qui aurait créé le monde lui semble illogique et inutile. De plus, la vigueur avec laquelle les missionnaires chrétiens veulent convertir les individus l’inquiète également. Ces éléments vont jouer dans la prudence qu’aura le Japon envers l’Europe.
Dans les études historiques qu’il a réalisées, Hakuseki a cherché à analyser les processus du changement politique et à expliquer comment se produit le passage du pouvoir impérial à celui des militaires.
La question de la monnaie et de l’inflation
Lorsqu’Arai Hakuseki est né, le Japon commençait déjà à avoir d’importants problèmes de liquidité monétaire, liés à la forte diminution de la production d’or et d’argent. Pour faire face à la situation, il a été nécessaire de transformer les réserves de métaux précieux du shogunat en monnaie et de puiser dans les ressources qui avaient été conservées à des fins militaires. Cependant, une première dépréciation de la monnaie a quand même lieu en 1695, puis trois autres jusqu’à la fin du règne de Ienobu en 1712. Ces mesures ont été décidées et menées par Ogiwara Shigehide, qui était le responsable des affaires financières du bakufu et également le rival d’Hakuseki.
L’une des conséquences de ces dévaluations est que le contenu en argent des pièces, qui était de 80 % de leur valeur nominale en 1695, passe à seulement 20 % en 1713. Hakuseki va s’opposer vivement à cette politique en considérant qu’elle complique les transactions financières, à cause de la valeur différente des différentes émissions monétaires. De plus, elle encourage, selon lui, la thésaurisation (c’est-à-dire le fait de garder de l’argent liquide de côté, sans l’utiliser pour investir ou consommer par exemple).
Il va d’ailleurs, à ce sujet, reformuler la loi qui avait été énoncée par le marchand et financier anglais Thomas Gresham en 1558 selon laquelle “la mauvaise monnaie chasse la bonne”. Cette loi stipule que s’il y a la circulation, à la fois de pièces dépréciées et non dépréciées, les agents économiques vont vouloir conserver les pièces non dépréciées pour se débarrasser des autres, ce qui a pour conséquence de réduire nettement le nombre de pièces non dépréciées en circulation, au profit donc, des pièces dépréciées.
L’inflation apparue perturbe les relations économiques entre les différents groupes sociaux, en appauvrissant ceux dont le revenu était fixe d’un point de vue monétaire, comme c’était le cas d’Arai Hakuseki, qui s’est ainsi retrouvé dans une situation financière très compliquée. Il va donc critiquer la politique mise en place par Shigehide, en considérant même qu’il l’a faite par cupidité personnelle, dans la mesure où cela lui a permis de s’enrichir et d’avantager les marchands.
Arai Hakuseki va finalement réussir à obtenir la démission d’Ogiwara Shigehide à l’automne 1712. C’est lui qui va ensuite rédiger le testament du shogun Ienobu, à ce moment-là très malade, qui ordonne la restauration de la valeur du numéraire.
Arai Hakuseki a une vision très métalliste de la monnaie qui l’amène à défendre un retour à la pureté métallique du numéraire, ce qui signifie que, concrètement, son contenu en or ou en argent doit être équivalent à sa valeur nominale. Cette conception de la monnaie vient des écrits économiques chinois (dont vont aussi s’inspirer, entre autres, les physiocrates français) qui affirment notamment que perturber l’ordre naturel mène à des désastres. Pour Hakuseki, interférer avec la pureté de la monnaie correspond justement à une perturbation de cet ordre. Par ailleurs, il met également l’accent sur les côtés psychologiques liés à cette situation. En effet, il estime qu’il est important de maintenir la confiance de la population envers la monnaie. Il considère aussi que l’administration doit assumer le coût de la fabrication et de la mise en place de la nouvelle monnaie, et ne pas en profiter pour s’enrichir.
Le départ de Shigehide du pouvoir et l’influence renforcée d’Hakuseki vont provoquer un brusque changement de politique monétaire au Japon, sous les shogunats de Ietsugu (qui n’a duré que 3 ans, puisqu’il est mort à l’âge de 6 ans) et de son successeur Yoshimune. En effet, en 1714, une nouvelle monnaie va être émise, ce qui va notamment entraîner une baisse du prix du blé. Néanmoins, cette baisse sera vite intolérable, dans la mesure où l’économie était basée sur ce produit. La contraction de la masse monétaire va avoir pour effet de provoquer une dépression. Cette situation économique négative va engendrer l’éviction d’Arai Hakuseki par un de ses rivaux, malgré le fait qu’il n’était déjà plus aux affaires depuis 1716. À partir de 1730, le Japon connaît un retour à une politique d’expansion monétaire au travers de nouvelles dépréciations.
Le sujet du commerce extérieur et des métaux précieux
Le sujet du commerce extérieur est lié de manière très étroite à celui des mouvements de métaux précieux (notamment l’or et l’argent). C’était également le cas en France et en Europe pendant la période du mercantilisme.
Le Japon sous la dynastie Tokugawa faisait du commerce avec la Compagnie hollandaise des Indes orientales, et avec les commerçants chinois grâce au port de Nagasaki. Il avait également des relations commerciales avec la Corée à travers le domaine de Tsushima (qui était un domaine féodal contrôlant la province de Tsushima et une partie de la province de Hizen) et avec les îles Ryūkyū, à travers le domaine de Satsuma. Cependant, il n’exerçait pas un contrôle sur les gouvernements de ces domaines.
Les Japonais importaient de Chine de nombreux produits tels que du tissu, de la soie, des livres, ou encore des médicaments, et de Corée, notamment du sucre et du ginseng. Ils payaient leurs achats avec des métaux précieux, c’est-à-dire avec de l’or, de l’argent et du cuivre. Autant les marchands Chinois, que les marchands européens, cherchaient, quant à eux, à minimiser les sorties d’or de leur pays. En effet, avec la diminution de la quantité d’or et d’argent au Japon à partir du milieu du 17ème siècle, le problème qui s’est posé a été de savoir comment réduire les sorties de métaux précieux (notamment celui de l’or), mais tout en maintenant l’importation des produits qui étaient considérés comme essentiels.
Face à cette situation et à cette interrogation, Arai Hakuseki préconise d’encadrer et de réglementer strictement le commerce extérieur. En tant que nationaliste, il défend, pour l’économie japonaise, une politique autarcique de l’économie. Il fait une comparaison avec le corps humain en considérant que les produits du sol tels que le blé correspondent à la chair, au sang et aux cheveux, qui se renouvellent constamment, alors que l’or et l’argent correspondent aux “os de la terre” qui ne sont donc pas renouvelables. Afin d’en éviter la perte, Hakuseki estime qu’il faut décupler les efforts dans le but de produire les biens qui étaient jusqu’alors importés. En effet, il juge que rien n’empêche de penser que le Japon ne puisse pas, lui aussi, produire le sucre qui vient encore, à ce moment-là, de l’étranger. Cela nécessite simplement d’en connaître la technique et les méthodes.
Par ailleurs, Arai Hakuseki propose de mettre en place une mesure similaire à celle présente dans les Actes de navigation d’Olivier Cromwell en Angleterre. En effet, sur ce modèle, il défend la réduction du nombre de navires chinois et hollandais autorisés à aborder au port de Nagasaki, mesure finalement mise en place en 1716. Hakuseki suggère également de payer les achats étrangers avec des produits comme de la porcelaine, de la soie ou du poisson séché, plutôt qu’avec des métaux précieux comme l’or. Il recommande aussi de mettre en place diverses méthodes dans le but d’éliminer le commerce illégal.
Malgré toutes les mesures mises en œuvre, les métaux précieux vont continuer à s’écouler à travers Tsushima et Satsuma, ce qui va pousser Hakuseki à promouvoir l’extension de l’autorité du bakufu sur tout le territoire japonais, et non pas seulement sur une partie.
Les réformes administratives et fiscales soutenues par Hakuseki
Tant grâce à ses écrits, que ses fonctions de conseiller, Arai Hakuseki est intervenu dans plusieurs autres domaines. Il a par exemple favorisé l’amélioration des méthodes comptables et de la présentation des budgets du shogunat. Il a aussi proposé des améliorations et des simplifications du régime fiscal qui était devenu très inefficace. À ce titre, il a défendu le renforcement du contrôle central sur les seigneurs féodaux, les daimyos, car il considérait qu’ils écrasaient les paysans avec leurs taxes.
Toutefois, il s’est, dans le même temps, opposé à la bureaucratisation croissante et à la répression policière. En effet, selon sa vision confucéenne, il considère qu’il est important de confier les responsabilités aux personnes qui ont les qualités intellectuelles et morales nécessaires pour s’en charger.
La politique constitutionnelle et la répartition du pouvoir
Hakuseki a souhaité mettre en application ce qu’il estimait être le mandat du ciel envers l’empereur (dirigeant de jure) et le shogun (dirigeant de facto). Étant donné qu’aucune révolution n’avait changé les institutions de base du Japon, qui étaient donc toujours les mêmes, il a soutenu que le shogun était en réalité subordonné à l’empereur. Il a également stipulé que le shogun pouvait montrer qu’il était de droit divin en ayant un bon gouvernement, et en faisant preuve de courage moral et de respect envers l’empereur.
Afin de soutenir sa vision, il a fait remonter les racines de la famille Tokugawa jusqu’au clan Minamoto, ce qui leur donnait donc une ascendance impériale. Cela prouvait, selon lui, la légitimité et la suprématie politique d’Ieyasu.
Par ailleurs, dans le but de renforcer la puissance du shogun, et ainsi maintenir son prestige national, il a proposé de modifier le titre afin de le transformer en Koku-ō, c’est-à-dire roi-nation.
Les études historiques et philologiques d’Hakuseki
Grâce aux nombreuses et importantes études historiques qu’a réalisées Arai Hakuseki sur le Japon, il a développé une réelle philosophie de l’histoire. Sa démarche est généralement qualifiée de positiviste, selon laquelle seuls les faits qui sont expérimentés possèdent une valeur universelle. Par conséquent, il insiste sur l’importance des faits et applique sa méthode à l’histoire ancienne.
Hakuseki s’est aussi intéressé aux problèmes de filiation et de généalogie. Il a donc procédé à des recherches généalogiques et philologiques (c’est-à-dire étudier une langue et sa littérature à partir de documents écrits) sur la littérature ancienne (Norito, Kojiki, etc). À ce titre, il a effectué des comparaisons entre le japonais, le coréen, le chinois et les langues européennes. Il a constaté que le japonais et le coréen avaient des racines communes, ce qui l’a poussé à en déduire que les Japonais étaient probablement les descendants d’immigrés coréens. Il va aussi être l’un des tout premiers à penser que le nô, qui correspond à un des styles traditionnels du théâtre japonais (qui implique une conception religieuse et aristocratique de la vie), vient du théâtre chinois.
Arai Hakuseki va estimer que la mythologie shinto, qui correspond à un ensemble de croyances qui datent de l’histoire ancienne du Japon, n’est au final que la transposition métaphysique d’un problème humain. Les récits mythologiques ne sont, selon lui, que des faits historiques qui ont été déguisés. Cela implique qu’il étudie et interprète les mythes relatés par la littérature ancienne comme s’ils étaient des faits.