Informations principales
Jean-Charles-Léonard Simonde de Sismondi est un économiste, historien et essayiste politique suisse, né le 9 mai 1773 à Genève et mort le 25 juin 1842 dans la même ville.
Il a d’abord été influencé par les économistes Adam Smith et David Ricardo en adoptant leurs idées sur le libéralisme. Il dénoncera ensuite plus tard ces idées en 1819 dans son ouvrage « Nouveaux principes d'économie politique » dans lequel il considère que les économistes libéraux classiques commettent une erreur en prônant avant tout la richesse. Selon lui, le libéralisme économique n’assure pas le bien-être de tous, mais au contraire, accroît la misère des travailleurs. Il évoque alors une redistribution nécessaire des richesses et défend l’intervention de l’État dans les mécanismes économiques, dans le but de protéger les travailleurs contre les conséquences négatives du laisser-faire absolu. Ses idées ont en partie influencé l’économiste Karl Marx.
Son positionnement économique est difficile à établir dans la mesure où il a changé au cours de sa vie. Il a eu des idées à la fois libérales, mais il a été en même temps situé par d’autres économistes comme faisant partie d’un mouvement plutôt social-démocrate.
Ses ouvrages économiques principaux sont les « Nouveaux principaux d'économie politique » de 1819 et les « Études sur l'économie politique » de 1837.
Jean de Sismondi a articulé ses analyses autour de plusieurs concepts majeurs. Quand il est distribué entre plusieurs classes sociales, le revenu national génère un circuit de la production des richesses dont l’équilibre dans le temps est remis en cause constamment. L’arrivée des progrès techniques et l’introduction des machines dans les processus de production créent des déséquilibres et des crises économiques, à cause du mode d’organisation sociale en vigueur.
Ce mode d’organisation sociale crée à chaque crise un nombre toujours plus important de prolétaires qui sont les exclus des bénéfices de la croissance des richesses. Cette situation rend légitime pour Sismondi l’intervention du Gouvernement dans l’économie, car c’est son rôle de protéger les pauvres pour sauvegarder l’ordre social. L’objectif politique du Gouvernement consiste donc à promouvoir le plus grand bonheur possible pour le plus grand nombre. Cependant, l’une des manifestations possible de ce style de politique tient dans la garantie de vie décente qu’il faudrait accorder aux plus défavorisés.
Le revenu d’équilibre
Jean de Sismondi dans son ouvrage « De la richesse commerciale » donne une définition de l’équilibre qui serait, selon lui, une situation sans tendance au changement endogène (c’est-à-dire dû à des causes internes). L’équilibre serait aussi une situation qui tend à se rétablir après des perturbations. Par exemple, quand le salaire nécessaire dépasse le salaire courant, la mortalité joue alors un rôle de contrepoids. Néanmoins, en raison de ses conséquences sociales, Sismondi critiquera ce qu’il appelle la dangereuse théorie de cet équilibre qui se rétablit de lui-même.
Il va alors présenter en 1803 un système d’équations qui permet de formaliser un véritable modèle d’équilibre du revenu national. Ce modèle a été conçu pour contrer la doctrine mercantiliste, car il testait les effets produits sur le circuit économique par différents états de la balance commerciale. Il a démontré qu’au final, cette variable avait un impact très secondaire par rapport aux variations du fonds des salaires.
Le circuit du revenu national sera l’objet central de son œuvre économique.
Les différents progrès mis en relief par Sismondi
Jean de Sismondi a mis en relief trois niveaux de progrès.
Le progrès technique qui correspond à l’application des connaissances scientifiques à la production de richesses dans l’agriculture et dans les « arts mécaniques ». Pour lui, cela prend la forme d’une nouvelle division des tâches, de nouveaux procédés, de nouvelles machines, ou encore d’économies d’échelle.
Le progrès économique qui se traduit par une augmentation de la force productive du travail. Cela prend la forme d’une économie de main-d’œuvre, soit de manière directe, soit à travers une économie sur l'emploi des matériaux.
Le progrès social qui se manifeste à travers ce que Sismondi appelle une mieux-value. Les différents acteurs de la production se disputent cette mieux-value. Cette notion se rapporte à celle du mieux-être. Cela prend la forme d’une redistribution entre le revenu brut et le revenu net.
La situation des prolétaires
Jean de Sismondi décrit les prolétaires comme une classe du peuple qui est chargée de tout le travail de la société, qui est privée de toute propriété et qui est déshéritée de tous les bienfaits de la civilisation. Pour lui, les prolétaires n’ont aucune part à la richesse et peuvent même se voir privés des moyens de subsistance à tout moment. C’est donc une classe d’Hommes sans passé et sans avenir, qui n’ont rien et qui ne peuvent compter sur rien.
Vers la fin de sa vie, Sismondi a estimé que le nombre de prolétaires s’était énormément accru depuis ses premiers avertissements en 1819, et que leur situation s’était aggravée à cause des crises successives et de l’insécurité que cela leur a causé.
Il s’insurge contre les individus qui voudraient rendre les pauvres responsables de leur situation qui est causée pour lui, par une démographie incontrôlée et liée aux politiques erronées d’assistance publique. En effet, pour lui, la misère est le résultat d’un certain type d’organisation sociale. En réduisant constamment les coûts (et donc les salaires), le système de concurrence universelle produit une concentration des capitaux et des propriétés, ce qui a pour conséquence de supprimer progressivement tous les degrés intermédiaires de la société. L’industrialisation a exacerbé ce phénomène, car une partie des ouvriers se trouve alors remplacée par des machines qui les rendent superflus. Ces individus tombent dans la pauvreté qui est l’état dans lequel sont réduits les ouvriers quand le travail leur manque. Cela se définit aussi par un manquement permanent des objets nécessaires à la vie.
Pour Sismondi, les différents acteurs de la lutte des classes se confrontent de manière très explicite à propos des modalités d’appropriation des richesses. Les formes de lutte sont par exemple des manifestations qui lui semblent être de plus en plus violentes, ce sont des coalitions, des soulèvements, des grèves ouvrières, voire des révoltes. Même s’il comprend le sentiment de frustration dans lequel se trouvent toutes ces personnes déshéritées, Sismondi s’inquiète que pour les ouvriers désespérés, l’ordre social devienne pour eux un ennemi à détruire. Mais pour Sismondi, leur combat est vain parce que l’autorité souveraine, sous couvert d’impartialité, se mettra toujours au service des plus forts. Il regrette qu’aucun moyen politique puisse être trouvé pour modérer la lutte des classes.
Le rôle du Gouvernement selon Jean de Sismondi
La souveraineté est la manifestation du principe d’autorité dans le corps politique, une autorité qui n’appartient qu’à lui et qui n’est subordonnée à personne. Cette souveraineté s’exprime par des actes de volonté et chez Sismondi, elle est nationale (contrairement à Rousseau pour qui elle est populaire).
Le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif
Dans une nation, le droit à la décision politique n’est pas conféré de manière abstraite à chaque individu, il s’organise de manière concrète à travers des formes institutionnelles qui permettent de le rendre effectif. Il y a donc le pouvoir législatif qui donne le but et le pouvoir exécutif qui en donne la pratique. En fonction des moments et des lieux, les formes de ces pouvoirs varient, ainsi que l’harmonie ou l’équilibre qui existe entre eux. Le mieux pour cela est qu’il y ait le moins de règles écrites possible.
Les défenseurs de la démocratie se trompent en prônant un principe abstrait d’égalité, dans la mesure où il y a une inégalité inéluctable dans les facultés humaines et dans l’instruction. La démocratie pure serait donc l’ennemie de la vraie démocratie, car le pouvoir de la partie intellectuelle de la nation serait noyée dans celui de la « masse ignorante et passionnée ». Ce sont donc la passion collective et les instincts désordonnés qui menacent à chaque instant le corps politique dans son être. Pour Sismondi, trois mesures élémentaires devraient permettre d’en prévenir les débordements. Il faudrait limiter le suffrage, promouvoir les délibérés et tempérer l’élément démocratique.
Premièrement, pour que les votes expriment la volonté nationale, il faut priver de citoyenneté, y compris par des règles arbitraires, ceux dont les connaissances et/ou les volontés ne sont pas suffisantes. Il faudrait prendre donc en compte les opinions et les intérêts plutôt que le nombre de personnes.
La deuxième mesure doit faire en sorte que l’opinion collective fasse place à une opinion éclairée par la raison. Le pluralisme social serait préservé en préférant la délibération à la votation.
Enfin, tempérer l’élément démocratique passe par une bonne représentation nationale, par exemple 2/5 d’élus, 2/5 d’urbains possédants et 1/5 d’intellectuels. Le pouvoir constituant devrait toujours avoir deux Assemblées, une pour représenter l’élément populaire de la souveraineté et l’autre pour représenter l’élément aristocratique (de talents, pas de sang) de la souveraineté.
Les deux objectifs principaux du législateur
Le législateur doit organiser la société avec deux objectifs principaux. D’une part, assurer à la totalité des membres une protection, une instruction, un développement moral et une aisance physique et d’autre part, de permettre à « quelques individus distingués » de s’élever au-dessus de leurs semblables. Sismondi explique cela par le fait que développer son esprit nécessite une certaine disponibilité matérielle, et par le fait que seuls les riches oisifs sont en mesure de faire avancer la science et les arts, pour l’avantage de tous.
Par ailleurs, Sismondi distingue la liberté civile de la liberté politique.
La liberté civile est un droit imprescriptible pour chaque humain qui est le garant de son intégrité et de son indépendance. La liberté politique, quant à elle, est l’affaire du constituant, quand il établit les règles légales de l'association (qu’elle soit républicaine ou monarchique).
Les implications internationales du Gouvernement
Pour Jean de Sismondi, garantir les droits de l’Homme déborde du territoire national. Cela permet de rendre légitime le contrôle de l’exercice de la souveraineté dans les pays étrangers, voire même d’imposer des conduites conformes aux droits des individus. Pour lui, la tyrannie d’un Gouvernement particulier est un crime contre la société humaine, elle ne compromet pas uniquement ses droits sur le pays qu’il occupe, mais elle trouble également les jouissances des autres peuples, elle leur donne le droit de la contrôler.
La garantie d’une vie décente défendue par Sismondi
La garantie d’une vie décente passe, pour Sismondi, par un partage des richesses plus juste, et par les actions que le Gouvernement doit mettre en place.
Le partage injuste des richesses
Jean de Sismondi considère que c’est le partage injuste des richesses qui provoque les crises économiques et donc, que c’est le rôle du législateur d’associer les intérêts de ceux qui font la production, au lieu de les mettre en opposition. Cela passe par une organisation sociale qui rend la vie facile aux pauvres et leur reproduction difficile, et non pas l’inverse.
La division du travail a entraîné celle des statuts et ce n’est pas la classe des pauvres qu’il faut faire disparaître, mais celle des journaliers, en la faisant entrer dans celle des propriétaires. L’idéal serait qu’un nombre suffisant d’artisans d’un côté, et de paysans propriétaires de l’autre puissent constituer une importante classe moyenne à laquelle les ouvriers pourraient accéder.
Sismondi considère qu’il est légitime que le Gouvernement favorise cette orientation, car il a été institué pour protéger chaque individu contre les forces de tous, il oppose l'intérêt public à tous les intérêts privés.
Les actions que le Gouvernement doit mettre en place selon Sismondi
Jean de Sismondi apporte des réponses à la manière dont doit s’y prendre le Gouvernement en matière d’administration économique. Dans la lignée libérale, il préconise un désengagement de l’État à travers la suppression de toutes les mesures qui ont tendance à favoriser de manière artificielle l’esprit d'entreprise, à travers l’industrialisme et les concentrations. Concrètement, il faudrait alors supprimer les brevets d’invention, les exceptions douanières, les subventions à des entreprises décadentes, les privilèges bancaires, les facilités fiscales pour les investissements industriels, les garanties publiques aux compagnies commerciales, etc.
Sismondi préconise aussi qu’il n’y ait aucune intervention directe sur les mécanismes économiques eux-mêmes. Il ne faudrait donc employer que des moyens généraux et indirects. L’objectif final est de faire en sorte que les propriétaires soient conduits, par eux-mêmes, à trouver leur intérêt dans d’autres comportements (tels que préserver la force de travail, proposer des contrats de travail de longue durée, etc). Pour Sismondi, aucun individu particulier ne porte la responsabilité des souffrances et problèmes actuels, qui sont à imputer au système d’organisation sociale. Il soutient par exemple le métayage. Ce dernier est un système dans lequel un propriétaire foncier va accorder à un métayer la mission de cultiver sa terre, mais en contrepartie d’une part de la récolte. Le but est d’avoir un mécanisme gagnant pour les deux parties.
Il soutient aussi le « système des garanties professionnelles » pour soulager les souffrances de la population. Cela sous-entend deux grands principes de morale politique, à savoir la solidarité et la responsabilité.
La notion de plus grand bonheur pour le plus grand nombre, concept important de Sismondi
Pour Jean de Sismondi, la raison d’être de la politique est le bonheur, c’est-à-dire la meilleure satisfaction possible des besoins et des désirs des membres de l'association.
Les besoins et les désirs
Même si cela peut aussi concerner la morale (le perfectionnement de l’âme), seuls les besoins et les désirs matériels relèvent de l’économie politique, parce que leur degré de satisfaction se mesure à la quantité de richesses consommée. Les besoins sont d’ordre naturel, comme la nourriture, le logement ou l’habillement, leur satisfaction amène l’aisance et le confort, mais ils sont soumis à une certaine saturation. Les désirs au contraire sont considérés par Sismondi comme un artifice de la vie en société qui se renouvelle sans cesse, comme les loisirs ou les nouveautés et leur satisfaction procure des jouissances.
En fonction des catégories sociales, les besoins et désirs personnels n’ont pas la même nature. La subsistance du riche ne dépend pas du travail donc sa jouissance est le loisir, alors que celle du pauvre est le repos, qui correspond pour lui à une pause dans les souffrances du travail.
Même s’ils sont personnels, les besoins et les désirs ne sont pas forcément individuels comme l’ordre, l’instruction, la justice et la sécurité. Leur satisfaction justifie l’existence d’institutions et rend légitime qu’une partie de la richesse nationale aille à la classe sociale qui en a la charge.
Pour Sismondi, le législateur peut compter sur des principes psychologiques de portée générale tels que les effets de seuil (c’est-à-dire quand l’accroissement des jouissances n’accompagne plus celle des consommations), l’effet de cliquet (parce qu’une certaine somme d’argent en plus suscite moins de jouissance que la même somme d’argent en moins ne crée de souffrance), et enfin l’effet d’évitement de la souffrance (c’est-à-dire que l’ouvrier préfère un peu de repos que plus d’aisance et le riche est prêt à sacrifier des jouissances pour maintenir son rang).
Pour Sismondi, le plus grand bonheur possible est alors le droit du peuple et la condition de son association. Selon lui, un accroissement des richesses (c’est-à-dire une opulence) n’est jamais synonyme d’un accroissement des jouissances (c’est-à-dire de bonheur).
Le principe politique du plus grand bonheur possible pour le plus d’individus possibles doit se voir alors en intensité et en extension. Cela signifie que l’aisance doit se répandre dans toutes les classes de la nation, et les richesses se distribuer de sorte à ce que tous en profitent. Un bonheur de niveau moyen ne peut pas être une bonne mesure de la prospérité d’une nation. L’augmentation du nombre d’individus ne pourrait pas la remplacer puisque leur pouvoir de production ne s’accompagne pas d’un pouvoir de consommer équivalent.
Il existe dans chaque nation un niveau souhaitable (ou même optimal) de bonheur de la population qui dépend de circonstances historiques telles que l’intensité de la concurrence, les modalités de la division du travail et les formes de progrès techniques. Par exemple, une offre de travail spéculative et sans lendemain engendre alors de futurs travailleurs qui sont destinés à souffrir, il aurait été préférable qu’ils ne naissent pas. Sismondi pointe donc le risque de surpopulation, mais il la mesure par rapport aux capacités d’acheter des biens de subsistance (c’est-à-dire le revenu), et non pas aux capacités de les produire.
Enfin, étant donné que toute action produit des effets involontaires, il faut repérer toutes les souffrances et jouissances que procure chaque activité économique afin de juger de ses effets sur le bonheur national.
L’avantage individuel contre l’avantage collectif
Pour Jean de Sismondi, l’avantage individuel contredit généralement l’avantage collectif. Si un producteur s’enrichit, il ne faut pas oublier la misère du producteur que sa concurrence a ruiné. À partir de cela, Sismondi a énoncé plusieurs règles.
Dans le cas d’une redistribution des richesses, le bonheur national s’accroît si les bénéficiaires peuvent dédommager les perdants, et que tout le monde s’en trouve quand même mieux. C’est le principe de compensation.
En dénonçant les inégalités injustes entre les classes sociales, Sismondi plaide pour un partage équitable des richesses de manière à préserver les inégalités qui bénéficient à la société dans son ensemble. C’est le principe des différences acceptables, c’est-à-dire qu’on peut tolérer certaines inégalités, y compris par les plus défavorisés pour peu qu’on les persuade qu’ils en tirent des avantages supérieurs à ceux que leur procurerait un partage plus égalitaire.
Comme il est impossible de comparer de manière subjective deux états différents de la distribution des richesses, Sismondi met en avant le principe d’autorité, qui est le seul à pouvoir imposer une instance supérieure. Ses caractéristiques de base seraient qu’aucune satisfaction d’un désir ne doit se payer par la privation d’un besoin. Par exemple, l’augmentation de la jouissance du riche n’est pas proportionnée à celle de ses revenus, il y a donc un bénéfice social plus grand à favoriser l’accroissement du revenu du pauvre et il faut taxer les riches en proportion des avantages supérieurs que la société leur garantit.
Tous ces raisonnements relèvent du principe d’utilitarisme étant donné que la richesse ne s’apprécie qu’en fonction de sa capacité à satisfaire les besoins et les désirs (c’est-à-dire sa valeur d’usage).