Informations principales
Joan Violet Robinson est une économiste britannique, née le 31 octobre 1903 à Camberley, proche de Londres, au Royaume-Uni et morte le 5 août 1983 à Cambridge, dans le même pays.
Joan Robinson a été l’une des personnalités les plus importantes de l’École de Cambridge et du courant post-keynésien. En tant que disciple de John Maynard Keynes, elle a apporté une contribution significative à la théorie économique.
Joan Robinson était, autant dans sa vie privée que dans son travail d’écriture et d’enseignement, une personne non-conformiste. En effet, elle n’avait pas peur de créer la controverse et s’est même mise à dos des auteurs de tous les bords économiques, tels que les marxistes, les keynésiens ou encore les néoclassiques.
Durant sa carrière qui a duré environ une cinquantaine d’années, Joan Robinson a publié vingt-quatre livres et des centaines d’articles. Plusieurs de ses publications ont été reconnues comme des contributions majeures à la science économique.
Elle a obtenu en 1931 un poste d’assistant junior à l’université de Cambridge, avant d’obtenir un statut permanent vingt ans après. Elle est ensuite nommée professeur d’économie à l’âge de 62 ans, reprenant alors le poste laissé vacant par son mari, Austin Robinson, travaillant lui-même dans le domaine de l’économie et ayant publié des livres et des articles.
Une reformulation, puis une critique de la théorie néoclassique
Dans l’ouvrage intitulé L’économie de la concurrence imparfaite, publié en 1933, Joan Robinson se donne pour ambition de réaliser une reformulation de la théorie néoclassique de la valeur en prenant en compte le fait qu’il existe des monopoles. Afin d’y arriver, elle introduit de nouveaux concepts, tels que celui de revenu marginal, qui correspond à l’augmentation des revenus d’une entreprise quand elle vend une unité supplémentaire d’un produit. Malgré le fait que ce livre soit le plus connu et le mieux accepté par les économistes orthodoxes (c’est-à-dire ceux qui font consensus), Robinson, au fil de sa vie s’en éloignera de plus en plus, au point d’y intégrer au début une sévère autocritique lors de sa réédition de 1969.
Au début des années 1930, Joan Robinson a cherché à corriger la théorie néoclassique, pour finalement la rejeter complètement ultérieurement. Une des principales attaques qu’elle a émise, l’a été dans un article intitulé La fonction de production et la théorie du capital, publié en 1953. Dans celui-ci, elle remet en cause la cohérence de la théorie néoclassique de la répartition des revenus en stipulant qu’elle comporte une faille logique qui la rend incohérente. Cet article a provoqué une importante polémique entre d’une part, les théoriciens néoclassiques (qui viennent de Cambridge aux États-Unis), et d’autre part, les keynésiens radicaux (qui viennent de Cambridge en Angleterre). Cette controverse est plus connue sous le nom de “guerre des Cambridge”.
Joan Robinson considère que la théorie économique orthodoxe (c’est-à-dire celle qui fait consensus) se concentre sur les problèmes d’allocation des ressources, alors qu’en réalité, les questions importantes sont celles qui concernent le développement des économies industrielles. De plus, elle considère que cette théorie est trop statique, en ne prenant pas en compte par exemple le temps et l’histoire. Elle ajoute qu’elle oublie aussi que les décisions économiques sont prises en prenant en compte un futur incertain et un passé irrévocable. Enfin, elle estime qu’elle est remplie d’idéologie, en étant utilisée comme un instrument qui sert à défendre un statu quo, qui maintient une répartition très inégalitaire des revenus.
Concrètement, elle critique le courant néo-classique à travers trois points principaux. Premièrement, contrairement à ce que pensent les économistes néo-classiques, la concurrence n’est ni pure, ni parfaite. En réalité, la détermination des prix se fait essentiellement par les entreprises elles-mêmes (à travers des produits différents ou grâce à l’utilisation de la publicité par exemple, ce qui leur donne des avantages concurrentiels) et donc pas par un simple rapport entre l’offre et la demande. De plus, elle estime que la concurrence parfaite n’est pas compatible avec le progrès social à cause du progrès technologique qui créait une exigence supplémentaire pour les travailleurs industriels du point de vue des qualifications. Cela implique pour elle que, dans ce fonctionnement, les travailleurs les plus pauvres et les moins qualifiés sont mis à l’écart.
Deuxièmement, le dirigeant d’entreprise ne se base pas sur le prix des facteurs capital et travail pour décider de leur proportion. Joan Robinson explique qu’en réalité, il hérite d’un “stock d’équipements” qui provient de processus de production antérieurs et qui détermine donc la structure productive de l’entreprise au moment où l’entrepreneur va faire son choix. Cela implique que le système productif évolue par le biais de tâtonnements successifs, ponctués d’erreurs et de réussites, et non pas par les calculs rationnels des agents économiques.
Enfin, troisièmement, Joan Robinson considère que la répartition des revenus n’est pas déterminée par la productivité marginale de chaque facteur. Ces derniers dépendent davantage des habitudes acquises dans le passé, que de conflits sociaux.
Joan Robinson : un rôle important dans l’éclaircissement de l’œuvre de Keynes
Au début des années 1930, Joan Robinson a fait partie, à Cambridge en Angleterre, d’un petit groupe nommé le « Circus« . Ce groupe était composé de plusieurs jeunes amis de John Maynard Keynes qui se réunissaient afin d’échanger et de discuter de son ouvrage Un traité sur la monnaie, paru en 1930. Selon elle, cela signifie donc que les membres de ce groupe ont contribué à élaborer l’œuvre majeure de Keynes intitulée la Théorie générale, publiée en 1936. En effet, ils ont eu un rôle majeur en clarifiant diverses questions à travers des articles et des discussions avec Keynes, dont par exemple le sujet de la relation entre l’investissement et l’épargne. De ce fait, deux livres publiés en 1937 développent les idées que Keynes a formulées dans son œuvre.
D’une vision keynésienne à une vision marxiste
Lorsque Joan Robinson a commencé sa carrière, Keynes qui est né vingt avant elle, était déjà célèbre, ce qui ne l’a pas empêché de le critiquer, parfois avec virulence, comme le prouve leur correspondance. Toutefois, Keynes la respectait et acceptait même ses critiques.
Dans un article qu’elle a publié en 1949, elle explique notamment que l’expression “théorie générale” désigne en réalité une œuvre collective, qui a été élaborée par plusieurs personnes à Cambridge, en Angleterre, depuis le début des années 1930.
Elle ajoute que de cette œuvre collective, tous les participants n’avaient pas la même interprétation. Au fur et à mesure des années, Joan Robinson estimait même que le teneur révolutionnaire du message de Keynes s’était affaibli, et par conséquent, que cela impliquait que la révolution keynésienne avait avorté. Elle a donné le nom de « keynésiens bâtards » aux auteurs qui ont réalisé la synthèse entre le keynésianisme et la théorie néoclassique, à travers un nouveau courant économique intitulé la Synthèse néoclassique, qui s’est imposé et devenu dominant dans l’après-guerre. Joan Robinson, quant à elle, défend plutôt un keynésianisme radical, autant sur le plan théorique que politique. C’est à ce titre qu’elle s’est imposée comme chef de file d’un nouveau courant de pensée, appelé maintenant le post-keynésianisme.
Dans un de ses travaux publié en 1953, intitulé Lettre ouverte d’une keynésienne à un marxiste, elle se décrit elle-même comme une keynésienne de gauche, en estimant que cette catégorie comporte que peu de membres.
Vers le milieu des années 1930, Joan Robinson découvre que l’économiste polonais, Michal Kalecki, avait construit, avant d’arriver à Cambridge, une théorie comparable, et même sur certains points supérieurs à celle de Keynes, en prenant pour base Marx. Elle étudie donc cette théorie et publie en 1942 un livre avec une vision sympathique envers Marx. Elle considère que ce dernier a commis plusieurs erreurs et que sa théorie de la valeur travail n’est pas crédible. Toutefois, et à l’inverse des économistes néoclassiques, Marx a eu le mérite, selon elle, de s’intéresser aux vrais problèmes de l’économie, à savoir ceux de la croissance, du chômage et des crises. Pour Marx, ces problèmes ne sont pas de simples accidents de parcours, mais de réels dysfonctionnements qui sont liés à la nature même du capitalisme.
Joan Robinson considérait que la découverte la plus importante de Marx était celle de faire la distinction entre les forces productives et les rapports de production. Ce livre lui a valu de nombreuses critiques de la part des marxistes orthodoxes.
L’accumulation du capital, ouvrage majeur de Joan Robinson
Joan Robinson a effectué ses contributions théoriques les plus importantes dans les années 1950. L’objectif de son projet était de réaliser une généralisation de la théorie générale élaborée par John Maynard Keynes. Dans la mesure où ce dernier ne s’intéressait qu’au court terme, elle estime qu’il faut alors prolonger son analyse dans le long terme, ce qui passe notamment par la constitution d’une théorie de la croissance. Pour mener à bien cela, elle s’inspire de Keynes et de Marx, mais également de Michal Kalecki et de Knut Wicksell. Elle intitule son œuvre majeure L’accumulation du capital, qu’elle publie en 1956, en hommage à l’autre grande économiste du XXe siècle, Rosa Luxemburg qui avait donné ce nom à sa propre œuvre.
Dans cet ouvrage, L’accumulation du capital, Joan Robinson insiste sur le fait qu’il est, selon elle, nécessaire de prendre en compte les institutions et les règles du jeu du capitalisme contemporain et de son appareil productif, plus ou moins fait de monopoles.
Robinson estime que l’analyse doit se faire dans un temps qui soit historique, mais également irréversible et intégrer l’incertitude qui existe dans la réalité, ainsi que les anticipations. Elle critiquera d’ailleurs les modèles de croissance néoclassiques en jugeant qu’ils n’intègrent pas tous ces facteurs.
C’est sur cette base que Joan Robinson a développé un modèle (non mathématiques) dans lequel la variable fondamentale est le taux d’investissement déterminé par les entrepreneurs. Le niveau de la consommation, le niveau de l’épargne et le niveau des profits sont ensuite déterminés grâce à une chaîne causale, c’est-à-dire qu’ils sont tous liés et s’impactent les uns les autres. En effet, une fois que les profits sont déterminés, ils ont une influence sur les décisions d’investissement pour le futur. Joan Robinson précise que rien ne permet de garantir la stabilité des processus de croissance, comme rien ne permettait de garantir le plein-emploi dans le modèle élaboré par Keynes.
Le principe du reflux
L’un des apports théoriques économiques de Joan Robinson le plus connu est le principe du reflux. En effet, selon elle, le système économique arrive à absorber l’offre de monnaie excédentaire grâce aux banques qui détruisent du crédit quand une dette est remboursée. Cela implique donc que l’inflation ne peut jamais avoir d’origine monétaire.
D’autres contributions importantes de la part de Joan Robinson
Joan Robinson a réalisé d’importantes contributions dans plusieurs autres domaines de recherche, tels que le développement et le commerce international, la philosophie économique et l’histoire de la pensée économique.
Par ailleurs, elle ne s’est pas intéressée qu’à l’économie, dans la mesure où elle a également écrit sur sa vision de la société, sur sa conception de la vie, et même sur la révolution culturelle en Chine sous Mao Zedong entre 1966 et 1976.
De plus, une partie de ses travaux est consacrée à l’épistémologie de l’économie, c’est-à-dire l’étude de la science économique, souvent d’un point de vue critique.