Informations principales
Michal Kalecki est un économiste polonais, né le 22 juin 1899 à Lodz, en Pologne et mort le 18 avril 1970, à Varsovie, dans le même pays.
Ses travaux ont principalement porté sur la théorie des cycles économiques, connue sous le nom de Modèle de Kalecki, et sur son analyse de la détermination des profits, à partir de la demande globale, ce qui a abouti à l’Équation de Kalecki. En plus de ces travaux de recherche, il a réalisé d’importantes avancées dans l’application des mathématiques et des statistiques à la dynamique économique, qui étudie l’économie en mouvement et qui accorde une grande place aux questions du temps. Au-delà de ces domaines, il a mené des recherches sur le sujet du développement des pays les plus pauvres, sur la théorie monétaires, etc.
Michal Kalecki est considéré comme un économiste original pour avoir construit ses raisonnements sur la base de concepts marxistes, et en même temps, en les reliant à des concepts du keynésianisme. C’est à ce titre qu’il est considéré comme un économiste néo-marxiste. Par exemple, sa théorie des cycles économiques intègre les conflits de classe, concept marxiste et des concepts beaucoup plus keynésiens comme la concurrence imparfaite ou le sujet de la redistribution des revenus.
Se considérant comme un économiste politique et une personne aux convictions de gauche, Kalecki a souligné, lors de ses travaux, les aspects sociaux et les conséquences des politiques économiques.
En tant que professeur, il a exercé à la London School of Economics, à l’Université de Cambridge, à l’Université d’Oxford et à la Varsovie School of Economics. En plus de ses activités de professeur, il a exercé de nombreuses responsabilités comme celles de conseiller économique auprès de plusieurs gouvernements dans le monde (notamment de Pologne, de France, du Mexique et de l’Inde) et de directeur adjoint du Département économique des Nations Unies à New York, aux États-Unis.
La théorie monétaire de Kalecki
La théorie monétaire de Michal Kalecki a une importance particulière. En effet, contrairement à Keynes, il considérait le crédit comme un système fondamental de calcul financier dans l’économie capitaliste, et non pas comme une simple compensation des paiements entre les banques commerciales et une banque centrale. Il considérait donc la politique monétaire comme endogène (c’est-à-dire interne) au cycle économique, dépendante de l’investissement des entreprises, plutôt que de la politique de taux d’intérêt et de crédit des banquiers centraux. Contrairement à Keynes qui suivait l’approche de l’équilibre partiel, pour Kalecki, la dynamique économique était synonyme de cycle économique, dans lequel le flux circulaire des revenus génère des changements cumulatifs d’une période à l’autre.
Michal Kalecki a aussi souligné la nécessité d’analyser le capitalisme réellement opérationnel dans les pays avancés, comme dans les pays en développement, avant de pouvoir élaborer des théories économiques ou proposer des actions à mettre en place. Les études de Kalecki sur les entreprises capitalistes incluaient leurs finances, leurs modèles d’investissement et les facteurs qui influencent l’investissement, tels que le développement des marchés financiers, les conditions microéconomiques et les interventions fiscales gouvernementales.
Le flux circulaire des revenus
Selon Michal Kalecki, les modèles de croissance économique prédominants reposent sur l’hypothèse d’un capitalisme de laissez-faire idéalisé et ne prennent pas correctement en compte le rôle crucial et empiriquement démontrable (c’est-à-dire prouvé par les faits et l’expérience) du secteur public, de l’intervention de l’État et de l’interaction entre l’État et le secteur privé.
En 1943, il a écrit que la discipline dans les usines et la stabilité politique sont plus appréciées par les chefs d’entreprise que les profits. Leur instinct de classe les amène à considérer que le plein-emploi durable n’est pas viable et que le chômage est une des caractéristiques du système capitaliste normal. Kalecki estime donc que les capitalistes veulent limiter les interventions et les dépenses gouvernementales, qu’ils considèrent comme des perturbations du laissez-faire. Ces perturbations réduisent leur “état de confiance” dans les performances économiques globales, à l’exception notable des dépenses d’armement et des politiques qui conduisent à une augmentation des dépenses d’armement.
L’économie de Kalecki reposait, plus explicitement et systématiquement que celle de Keynes, sur le principe du flux circulaire des revenus. Selon ce principe, les revenus sont déterminés par les décisions de dépenses et non par l’échange de ressources (de capital ou de travail). Kalecki et Keynes affirmaient que dans l’économie capitaliste, les niveaux de production et d’emploi (c’est-à-dire l’équilibre économique) sont déterminés avant tout par l’ampleur des investissements des entreprises (ce que Kalecki qualifie de moteur crucial du cycle économique), et non par la flexibilité des prix et des salaires. Cela implique que l’épargne est déterminée par les investissements, et non l’inverse. Michal Kalecki affirmait que des salaires plus élevés conduisaient au plein-emploi. Cependant, il était sceptique quant à la capacité du gouvernement à maintenir des politiques de relance budgétaire et monétaire ou quant au soutien des entreprises à l’objectif du plein-emploi.
Comme Keynes, Kalecki se préoccupait de la gestion de la demande. C’est dans ce cadre qu’il distingue trois moyens de stimuler la demande. En effet, cela passe par l’amélioration des conditions de l’investissement privé par le gouvernement (un processus long et fastidieux pour la population dont il était sceptique), par la redistribution des revenus des profits vers les salaires, et par l’investissement public pour augmenter l’emploi, et donc la demande.
La théorie des cycles économiques : le Modèle de Kalecki
Le Modèle de Kalecki est un modèle économique paru en 1933 qui apporte des explications aux cycles économiques, en se basant sur les variations de l’investissement. Ce modèle n’est pas seulement macroéconomique, dans la mesure où il se fonde sur des postulats microéconomiques qui se veulent réalistes, telles que la compétition imparfaite ou la distribution de revenue imparfaite. Certains postulats sont aussi irréalistes, tels que le fait que ce soit en économie fermée ou l’absence de dépenses publiques.
Le Modèle de Kalecki cherche à expliquer le fonctionnement de l’économie et plus précisément les cycles économiques, mais sans toutefois utiliser l’hypothèse de l’équilibre général, qui veut que tous les marchés sont à l’équilibre. Kalecki estime que les cycles en question sont endogènes au système économique, ce qui signifie qu’ils ne sont pas causés par des chocs extérieurs, mais dus à des causes internes. Il fonde alors son modèle sur un mécanisme qui s’auto-entretient avec l’investissement et l’épargne prévue, et dans lequel la production (c’est-à-dire le PIB) est considérée comme une variable d’ajustement.
Dans ce modèle, l’investissement est l’élément le plus important. En effet, les entreprises prennent la décision d’investir quand le niveau d’investissement actuel se retrouve inférieur au niveau d’investissement idéal, à savoir celui qui est nécessaire pour conserver la capacité de production constante. Cela signifie donc, selon Kalecki, que les récessions se produisent lorsque les entreprises n’ont pas à investir pour garder constante leur capacité de production. Cela implique que l’investissement va dépendre de l’écart entre les profits anticipés d’un côté et la valeur du capital accumulé de l’autre.
Dans la mesure où l’investissement favorise l’investissement (puisqu’il s’agit en même temps d’une forme de consommation), l’investissement brut à un moment précis engendre, en principe, un investissement brut supérieur sur la période suivante. Dès lors que le coefficient de réinvestissement est supérieur à 1, cela signifie qu’un cercle vertueux de croissance est enclenché. Dans ce schéma, l’innovation à un rôle majeur et moteur, car les investisseurs vont anticiper que l’entrepreneur qui possède des innovations va pouvoir générer plus de profits, et donc pouvoir investir davantage. Même si le progrès technique est intégré dans le modèle, il n’est pas non plus à sa base, à l’inverse par exemple du modèle de la destruction créatrice.
Pour un niveau de bénéfice donné, la hausse de la quantité globale de capital réduit la rentabilité de chaque unité de production. Cela entraîne une réduction des profits, et donc, par prolongement, des investissements. Durant une récession, le mécanisme s’inverse avec la réduction du stock de capital qui permet de restaurer le taux de profit, ce qui incite les entrepreneurs à investir à nouveau.
Selon Michal Kalecki, l’évolution de l’investissement, autant à la hausse qu’à la baisse, fait du système économique capitaliste un système instable, et même contradictoire. Il reconnaît cependant qu’il comprend des éléments de stabilité. En effet, même si dans son raisonnement la consommation n’est pas le moteur de l’économie et de ses cycles, il soutient quand même que la propension à consommer des agents économiques dépend de leur rémunération dans le partage de la valeur ajoutée. Il estime que cette proportion reste stable dans le temps.
L’analyse de la détermination des profits à partir de la demande globale : l’Équation de Kalecki
L’un des aspects les plus importants de l’œuvre de Michal Kalecki a été, à partir de la demande globale, d’analyser la détermination des profits. Cela l’a amené à élaborer une équation qui aura ensuite une influence importante sur le courant post-keynésien.
Pour son raisonnement, il part du principe qu’il y a deux types d’agents, à savoir les travailleurs et les capitalistes, que l’économie est fermée et qu’il est possible de négliger les dépenses du gouvernement.
Après un développement mathématique, l’équation finale (P = I + Cp) amène au constat que les profits correspondent à l’investissement, auquel on ajoute les dépenses de consommation des capitalistes qui sont financées grâce aux profits.
Dans le cadre de son analyse et avec des hypothèses simples, Michal Kalecki arrive donc à la conclusion que les profits sont égaux aux investissements des capitalistes et à leurs dépenses de consommation. Il ajoute également que dans la mesure où les capitalistes ne peuvent pas déterminer directement leur profit, ce sont donc les décisions d’investissements et les dépenses de consommation des capitalistes qui fixent leurs profits. C’est ce qui le pousse à estimer que plus les capitalistes dépenseront et investiront, et plus leurs profits seront grands. Cette vision s’oppose à celle qui veut que ce sont les profits qui déterminent l’investissement et la consommation, ce qui implique que si les capitalistes décident d’accroître leurs profits, alors leur consommation et leur investissement seront plus importants.
Pour justifier son raisonnement, Kalecki explique que les capitalistes peuvent décider de davantage investir ou de davantage consommer lors d’une certaine période par rapport à la précédente, mais ils ne peuvent pas décider de gagner plus. Par conséquent, ce sont leurs décisions d’investissement et de consommation qui déterminent les profits, et non pas l’inverse. Cette proposition a été résumée par l’économiste britannique Nicholas Kaldor par la citation suivante : “Les capitalistes gagnent ce qu’ils dépensent, tandis que les travailleurs dépensent ce qu’ils gagnent”.
L’industrialisation des pays en développement
Kalecki s’est intéressé aux problèmes des pays en développement. Il a soutenu que leur industrialisation dépendait de la réforme agraire et de la fiscalité des propriétaires fonciers et des classes moyennes. Il était sceptique quant au rôle positif des investissements directs étrangers dans la stimulation de la modernisation économique.
C’est dans ce cadre que, dans les années 1950, Michal Kalecki a démontré l’importance, pour le développement économique, du rôle de l’État et de la répartition des revenus. Selon lui, pour favoriser ce développement, il faut investir, trouver les moyens de financer ces investissements et construire un État performant.
L’amélioration des salaires réels
Michal Kalecki met d’abord en avant le rôle fondamental et essentiel de l’investissement. Il insiste aussi parallèlement sur la nécessité de tenir compte de la répartition des revenus et de l’emploi, afin d’arriver à une croissance durable. Il estime que toutes les économies sont confrontées au phénomène du sous-emploi, mais il est d’une nature différente dans les économies en développement, par rapport aux économies développées. Cela implique qu’il ne suffit pas juste de favoriser la demande solvable pour relancer la croissance et l’emploi, puisqu’il n’y a généralement pas de capacités de production non employées qui puissent satisfaire cette demande accrue de biens et de services. Dans ces conditions, accroître la demande solvable abouti à plus d’inflation et donc par prolongement, à plus de pauvreté et d’inégalités, du fait de la baisse des salaires réels que cela engendre.
Selon Michal Kalecki, le maintien ou l’amélioration des salaires réels doit être un objectif, à la fois moralement souhaitable, mais également économiquement et politiquement nécessaire. En effet, il juge que les inégalités créent de l’instabilité et toute baisse du pouvoir d’achat entraîne celle de la demande, ce qui nuit à l’activité. C’est ce qui le pousse à considérer que l’une des priorités du développement doit être la construction de capacités de production qui répondent aux besoins, et plus particulièrement ceux en biens de consommation de première nécessité, comme par exemple les produits alimentaires. Selon lui, le développement de la production alimentaire, en même temps que celui de la production industrielle est capital pour éviter une trop forte hausse de l’inflation.
Cela implique donc que les investissements dans l’industrie, les services publics, les transports, et les projets de développement agricole à long terme doivent s’accompagner de mesures qui augmentent la production agricole à court terme. Les mesures à mettre en place correspondent à une réforme foncière, à un meilleur accès au crédit pour les paysans, à l’amélioration des méthodes culturales à travers notamment la petite irrigation et d’engrais bon marché.
Développer l’industrie sans sacrifier l’agriculture
Dans le raisonnement de Michal Kalecki, il y a donc une hiérarchisation des investissements qui sont réalisés différemment dans le temps, en fonction des priorités et des contraintes de chaque pays. Ces investissements doivent tout de même s’accompagner constamment de mesures de politiques économiques et agricoles.
Il estime aussi que la nature de l’investissement va déterminer la trajectoire de l’économie. Il y a alors deux parcours de croissance possibles. D’une part, une croissance intensive grâce à la hausse de la productivité du travail, mais qui s’accompagne de créations d’emplois limitées et d’autre part, et même à l’opposé, une croissance extensive, tirée en grande partie par des augmentations d’emplois. Selon lui, pour répondre aux besoins essentiels et notamment alimentaires, il faut créer des emplois et par la suite faire en sorte que la demande de produits de première nécessité qui en découle soit satisfaite et comblée par l’offre intérieure.
Enfin, Kalecki juge que l’investissement doit prendre en considération les rapports entre les villes et les campagnes, ce qu’il présente comme l’un des aspects essentiels du processus global de développement. C’est cela qui permettra d’éviter des différences trop importantes dans la distribution des richesses, autant entre les différentes couches sociales, qu’entre les régions.
L’intervention de l’État dans l’économie
Pour Michal Kalecki, le développement économique suppose une intervention de l’État. Mais cette dernière ne peut être efficace que si l’État conserve le contrôle des échanges internationaux, des prix des biens de consommation de première nécessité, de l’appareil bancaire et financier et des investissements privés (dans le but d’éviter les investissements inutiles). Selon lui, le but des investissements publics est alors de pallier les carences de l’investissement privé dans les domaines essentiels (tels que ceux de l’éducation, de la santé, des infrastructures, etc.).
Il justifiait cette position en estimant que développer de grands projets d’investissements sans avoir un plan cohérent reviendrait à faire des efforts perdus. Kalecki était toutefois fermement opposé à une planification autoritaire et mettait plutôt l’accent sur la nécessité de bâtir les institutions qui permettent de légitimer l’État. Il ajoute que toutes les forces économiques et sociales doivent être associées au processus de définition des stratégies de développement et des priorités de la planification.
Par ailleurs, il se montre très réservé envers les économistes orthodoxes qui acceptent sans débat la théorie des avantages comparatifs et du libéralisme que cela sous-entend. À l’inverse, il défend une certaine dose de protectionnisme. En effet, selon lui, la capacité de chaque économie à s’insérer et à s’intégrer à l’économie mondiale est spécifique, ce qui implique que l’ouverture n’est donc pas systématiquement favorable à la croissance.
Le financement de développement économique
Afin de financer le développement économique, Michal Kalecki avance trois sources extérieures, à savoir l’aide publique au développement, les investissements directs étrangers et les emprunts bancaires.
Si théoriquement le financement par l’aide semble être la meilleure source, dans la mesure où cela n’entraîne pas de contraintes sur la balance des paiements (comme ce sont des dons ou des prêts à faible taux d’intérêt), il comporte toutefois de sérieux dangers si l’on prend en compte son impact global. En effet, l’aide étrangère peut détourner les ressources internes vers des utilisations qui ne seraient pas productives, comme par exemple des dépenses ostentatoires ou militaires.
À l’époque, il y avait une quasi-unanimité pour dire que l’aide fait le développement. Néanmoins, Kalecki émet des réserves à ce sujet, qui seront reprises plus tard par les courants qui critiquent l’aide et son efficacité, en prenant pour exemple les résultats en Afrique subsaharienne.
Il se montre aussi dubitatif sur l’intérêt de l’investissement direct des firmes multinationales, dans la mesure où il juge qu’elles n’ont que pour objectif d’engendrer des profits, qui sont ensuite rarement réinvestis sur place.
Cette analyse pousse Kalecki à estimer que le meilleur financement est celui des emprunts aux conditions du marché, mais en précisant tout de même que ces emprunts ne doivent pas servir à financer des importations de biens de consommation au profit des classes les plus aisées. Il explique qu’il faut veiller à ce qu’ils aient une utilisation productive, dans le but d’éviter une hausse de l’endettement extérieur.
Au-delà des ressources extérieures, Kalecki estime qu’il faut aussi, pour financer le développement économique, compter sur les ressources internes, notamment en renforçant l’appareil bancaire et financier et en taxant les profits des entreprises. En effet, il juge que le développement ne se fait pas seulement avec des financements extérieurs, mais est aussi favorisé par la mobilisation des ressources propres à chaque pays.
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