Informations principales
Elinor Ostrom est une politologue et économiste américaine, née le 7 août 1933 à Los Angeles, dans l’État de Californie aux États-Unis et morte le 12 juin 2012 à Bloomington, dans l’État de l’Indiana, dans le même pays.
Durant toute sa carrière, elle a enseigné dans plusieurs universités, mais plus particulièrement dans celle de l’Indiana, où elle est restée professeure pendant plus de 45 ans.
Elle est la première femme à recevoir, en 2009, le prix Nobel d’économie (avec Oliver Williamson) pour son analyse de la gouvernance économique, et plus particulièrement des biens communs en démontrant comment ces derniers peuvent être efficacement gérés par des associations d’usagers.
Ses travaux portent principalement sur la théorie de l'action collective et la gestion des biens communs, ainsi que sur le sujet des biens publics, tant matériels, qu’immatériels. Tous ses raisonnements se placent dans le cadre de la Nouvelle économie institutionnelle, courant de pensée qui a contribué à renouveler, dans les années 1970, l’analyse économique des institutions. En effet, l’économie institutionnelle cherche à comprendre le rôle des institutions et son impact sur le comportement économique et social des individus.
Elle a par exemple appliqué le sujet de la gouvernance des biens communs au domaine des ressources communes, comme les forêts, les pêcheries, les ressources hydrauliques, etc. Avant les travaux d’Elinor Ostrom, uniquement deux solutions étaient envisagées dans ces situations, à savoir l’État qui assure la gestion du bien public, ou une libre gestion à travers le marché, ce qui implique des droits de propriété individuelle. Avec ses recherches, Ostrom montre qu’il existe d’autres types de solutions, comme par exemple l’autogouvernement, dont elle apporte la définition et les caractéristiques.
Elinor Ostrom a aussi travaillé sur la notion de dilemme social, qui correspond aux cas où la quête de l'intérêt personnel amène à un résultat, au final, plus mauvais pour tous, que celui qui aurait été le résultat d’un autre type de comportement.
Afin d’analyser les dilemmes sociaux, Elinor Ostrom a élaboré un cadre d’analyse, l’IAD, initiales de Institutional Analysis and Development, qui est ensuite devenu une recommandation des institutions internationales. Le modèle IAD a pour objectif de poser un cadre d’analyse qui permette de trouver des solutions dans les cas de dilemme sociaux, sachant qu’il est souvent perçu comme une vision différente de la théorie des choix publics.
Les notions de règles, de normes et de droit occupent une place centrale dans la pensée d’Elinor Ostrom, avec globalement une vision décentralisée de la prise de décision. Elle développera à ce titre le concept de polycentricité qui correspond à une interaction de multiples autorités qui ne sont pas hiérarchisées.
D’une manière générale, Ostrom soutient que les individus ont une rationalité limitée et refuse de penser que la maximisation de l’utilité est la seule forme valable de comportement rationnel. Avec ce raisonnement, elle s’attire la sympathie des opposants au courant néoclassique. Par ailleurs, dans les cas de dilemmes sociaux, elle refuse de s’en remettre systématiquement à l’État ou au marché, préférant les associations d’usagers. Même si ses travaux n’ont pas été critiqués de son vivant, ils le seront après, autant par les partisans de solutions qui intègrent l’État, qui l’accusent de ne pas correctement prendre en considération les problèmes politiques, que par les auteurs plus libéraux qui l’accusent de ne pas avoir bien compris la notion de droit de propriété.
La gouvernance des biens communs, sujet majeur pour Elinor Ostrom
Les recherches d’Elinor Ostrom constituent un modèle pour comprendre comment des communautés d’individus arrivent à s’auto-organiser pour gérer des ressources communes, et parfois même le faire de manière plus efficace que l’État ou le marché. L’autogestion n’est pas toujours la solution la plus efficace pour gérer les biens communs, mais cela peut l’être sous certaines conditions. Ses réflexions seront publiées dans son ouvrage majeur intitulé La Gouvernance des biens communs : pour une nouvelle approche des ressources naturelles, publié initialement en 1990 (et en français en 2010).
La tragédie des biens communs
En 1968, l’écologue et biologiste américain Garrett Hardin présente ce qu’il appelle la “tragédie des communs” (ou tragédie des biens communs) qui est un concept permettant de décrire un phénomène collectif de surexploitation d’une ressource commune. Pour illustrer son raisonnement, il prend l’exemple d’un pâturage laissé en libre-accès. D’après lui, un pâturage comme cela est voué à se détériorer, voire à disparaître, car chaque éleveur, d’un point de vue individuel, a tout intérêt à y faire paître le plus grand nombre de bêtes possible, étant donné que la dégradation causée n’est pas supportée par lui seul, mais par toute la collectivité. Selon Hardin, ce schéma qu’il a décrit montre que toute ressource qui présente les propriétés d’un bien commun est menacée.
Pour résoudre le problème, il avance deux solutions possibles. La première est le recours à une autorité publique, par exemple l’État qui met en place une réglementation, afin de déterminer qui a le droit d’exploiter la ressource et selon quelles modalités. La seconde est le recours au marché et à la propriété privée, ce qui implique par exemple, pour le pâturage, de le découper en parcelles individuelles, dont les éleveurs seront seuls propriétaires et gestionnaires. Dans les deux cas, pour que la ressource commune soit correctement gérée, il faut imposer des règles aux individus, ce qui sous-entend qu’ils ne sont pas capables de les faire émerger seuls.
Une observation et une synthèse de cas réels
Cependant, Elinor Ostrom constate, à partir d’observations de cas réels, que dans la pratique, ni l’État, ni le marché ne sont des solutions absolues et universelles, et même que dans certaines situations, les communautés d’individus arrivent à avoir de meilleurs résultats en organisant elles-mêmes l’exploitation des ressources communes qui dépendent d’elles. Elle explique cela par le fait que l’expérience permet d’accumuler une connaissance locale précieuse, ce qui favorise l’élaboration de règles efficaces, sachant que ces dernières n’émergent qu’après un long processus fait d’essais et d’erreurs.
C’est à partir de cette analyse qu’Ostrom cherchera à comprendre dans quelles conditions et par quels moyens ces situations sont possibles. À travers ce travail, elle a voulu fournir un cadre théorique qui remet en cause la théorie selon laquelle les individus ne savent pas s’organiser par eux-mêmes et qu’une intervention publique ou du marché est toujours nécessaire. Cette vision remet donc en cause celle de Garrett Hardin.
Dans les années 1980, Elinor Ostrom entreprend, avec son équipe, de réaliser une synthèse de toutes les études déjà menées sur la gestion des ressources communes. Ils constatent qu’il existe une littérature importante et abondante, mais qu’elle n’avait pas donné lieu à une vue d’ensemble. À partir de toutes ces études, ils ont déduit quatre types d’informations qui permettent de comprendre comment une communauté gère une ressource. Ces types d’informations correspondent à la structure du système de ressources, aux attributs et aux comportements de ce qu’ils appellent les appropriateurs (qui désignent tous les usagers qui bénéficient de la ressource commune ou qui s’organisent pour la gérer), aux règles utilisées par les appropriateurs et enfin, aux effets du comportement des appropriateurs en question.
De nombreux biens communs auto-gérés
Dans un premier temps, la démarche d’Ostrom sera d’extraire ces différentes informations sur un nombre important d’études de cas, pour pouvoir ensuite les traiter de manière quantitative. Dans un second temps, elle a cherché à comprendre quels facteurs favorisaient la réussite, ou à l’inverse, l’échec d’un mode de gouvernance. Parmi tous les cas répertoriés, elle a considéré qu’il y avait eu une réussite quand la ressource a été gérée durablement par la communauté (y compris si les règles de gouvernance ont évolué avec le temps) et un échec quand les institutions mises en place ont finalement mené à la dégradation du commun.
Les communautés qu’a étudiées Elinor Ostrom (et développées dans son ouvrage publié en 1990) sont des groupes de 50 à 15 000 personnes situées dans un seul pays à la fois (sachant qu’elle a étudié de nombreuses régions du monde, telles que les États-Unis, la Suisse, le Japon, les Philippines, l’Espagne, etc). Ces personnes sont réunies autour d’une ressource commune dont elles sont, sur le plan économique, très dépendantes. Ostrom souligne que certaines de ces communautés sont parfois très anciennes, jusqu’à 1000 ans.
Les cas qu’elle met en avant portent principalement sur des ressources naturelles, à savoir des terres, des pêcheries, des forêts, des nappes phréatiques et des systèmes d’irrigation. Cependant, les biens communs peuvent également être des ressources non-naturelles comme des biens culturels, tel que le patrimoine par exemple. Enfin, il y a aussi les biens communs immatériels, comme par exemple les logiciels libres (même si la problématique dans ce cas-là est différente puisqu’ils peuvent être utilisés par de nombreux individus à la fois et sont arrivés après l’activité humaine et pas avant, comme dans le cas des biens naturels. Cela implique alors plutôt un défi de conservation, plutôt que d’enrichissement, et donc des modes de gouvernance différents).
Les principes de conception
Suite à son important travail de collecte, de synthèse et d’analyse, Elinor Ostrom constate qu’il y a une grande diversité des cas d’auto-gouvernance, ce qui signifie qu’il n’existe pas une seule manière de gouverner efficacement les biens communs. En effet, selon elle, il y a une grande variété de règles mises en place en fonction des époques, des lieux, des normes sociales en vigueur ou encore des cultures. De plus, elle a constaté qu’avant de trouver les bonnes institutions de gouvernance, les communautés sont généralement passées par des processus à la fois longs et conflictuels.
Toutefois, elle a repéré plusieurs points communs entre les systèmes de gouvernance qui se sont révélés, avec le temps, durables et efficaces. Elle a donc identifié huit “principes de conception” (c’est-à-dire des lignes directrices ou conditions essentielles) qui permettent d’établir les droits, mais aussi les devoirs des différents membres de la communauté.
Premièrement, la définition claire de l’objet de la communauté et de ses membres (c’est-à-dire des appropriateurs) et des limites de la ressource.
Deuxièmement, l’adaptation des règles de gouvernance aux conditions locales, étant donné que chaque communauté évolue dans un environnement spécifique (cela comprend les habitudes culturelles, le degré d’incertitude climatique, etc).
Troisièmement, la participation des membres à la définition des règles communes, sachant qu’il peut y avoir des règles de différents niveaux et des degrés différents dans les pouvoirs de décision. Le fait que les utilisateurs participent permet d’assurer l’adaptation dans le temps de l’exploitation de la ressource et donc sa pérennité.
Quatrièmement, la responsabilité des surveillants de l’exploitation de la ressource commune et du comportement de ses exploitants devant ces derniers, c’est-à-dire qu’ils suivent bien les règles mises en place.
Cinquièmement, l’existence de sanctions graduelles en cas de non-respect des règles mises en place. Selon Ostrom, les sanctions ont avant tout pour objet de rappeler qu’il est obligatoire de se conformer aux règles, d’où le fait qu’elles soient d’abord faibles et adaptées à l’intention supposée de celui qui transgresse de s’y conformer à nouveau.
Sixièmement, l’accès facile, rapide et local à des mécanismes ou des instances de résolution des conflits.
Septièmement, la reconnaissance de l’auto-organisation (c’est-à-dire des institutions mises en place par les appropriateurs) par les autorités gouvernementales externes.
Huitièmement, l’organisation des activités de gouvernance sur plusieurs niveaux imbriqués pour les biens communs de grande taille (c’est-à-dire des niveaux différents pour les activités d’appropriation, d’approvisionnement, de surveillance, d’application des lois, de résolution des différents conflits et de gouvernance).
Ces principes sont donc des conditions essentielles pour que les institutions mises en place dans le cadre de l’auto-gestion des biens communs soient un succès. Elinor Ostrom précise qu’ils sont complémentaires, c’est-à-dire que s’ils sont pris isolément les uns des autres, ils ne permettront pas l’émergence d’un système durable de gestion du bien commun concerné.
Avec l’analyse de ces principes, Elinor Ostrom consacre une grande partie de sa réflexion au sujet de la coopération et notamment à la question de savoir si, individuellement, les différents membres de la communauté ne vont pas être tentés de passer outre les règles et de “piller” la ressource commune. À cette interrogation, elle montre que les cas observés montrent que des comportements coopératifs stables et durables sont possibles, mais seulement si chaque individu a confiance dans le système de normes sociales, de surveillance mutuelle et de sanctions. Cela signifie que même si les individus commettent des infractions, ils ne pourront le faire que dans une certaine limite et cela ne portera pas atteinte à la pérennité de la ressource commune.
Le concept de polycentricité développé par le couple Ostrom
Le terme de polycentricité a été utilisé en premier par Vincent Ostrom, l’époux d’Elinor Ostrom, dans un article qu’il a publié en 1961. Pour lui, cela désigne le fait que, dans les zones urbaines des États-Unis, de multiples autorités interagissent entre elles, sans qu’il n’existe une autorité finale qui supervise le tout. Certains économistes ont émis des critiques sur cette vision en considérant que pour comprendre le fonctionnement d’un système polycentrique, cela nécessite d’avoir une approche pluridisciplinaire qui ne se limite pas au droit et à la politique. En effet, selon eux, cela doit aussi inclure l’économie et les structures sociales, qu’elles soient formelles ou informelles.
Pour Elinor et Vincent Ostrom, le terme de polycentrique permet de caractériser une situation dans laquelle de nombreux centres de prise de décision sont, de manière formelle, indépendants les uns des autres. Que ces centres fonctionnent vraiment de façon indépendante, ou à l’inverse, qu’ils forment un système interdépendant de relations, pour eux, il s’agit d’une question empirique qui dépend des cas particuliers. Le principal est qu’ils prennent en considération les uns des autres, que ce soit par le biais des relations de compétition, d’engagements contractuels, ou qu’ils aient recours à des mécanismes centraux de résolution des conflits. L’objectif est que les différentes juridictions politiques d’une aire métropolitaine puissent fonctionner de manière cohérente avec des modèles de comportements prévisibles et consistants. C’est dans ces conditions que l’on peut considérer qu’elles fonctionnent comme un “système”.
Pour le couple Ostrom, dans un ordre polycentrique, les savoir-faire des individus qui sont nécessaires pour participer à la gouvernance autonome viennent des marchés et sont renforcés par les marchés en question, mais aussi par les votes à la majorité, par les pratiques culturelles et par les institutions sociales.
Ostrom et la théorie du choix rationnel
La théorie du choix rationnel (aussi appelée théorie de la décision rationnelle) est un raisonnement qui confère aux différents agents économiques un comportement rationnel, qui les amènent à rechercher le plus grand profit, avec le moins d’efforts possibles.
Elinor Ostrom considère que la théorie du choix rationnel est basée sur deux hypothèses, l’individualisme méthodologique (selon lequel les phénomènes collectifs doivent être décrits et expliqués en partant des propriétés et des actions des individus et de leurs interactions mutuelles) et l’action intentionnelle (c’est-à-dire que les actions résultent d’un choix volontaire). Elinor Ostrom accepte l’hypothèse de la théorie du choix rationnel selon lequel les individus sont égoïstes et cherchent uniquement leur intérêt, mais elle refuse l’idée selon laquelle ce serait leur seule motivation. En effet, elle considère que le modèle de l’individu égoïste est trop simpliste et elle estime également que l’égoïsme et l’opportunisme ne sont pas les seules manières d’exprimer la rationalité d’un individu.
Pour Ostrom, l’économie expérimentale prouve, au contraire, que si certains individus ont un comportement égoïste, d’autres, à l’inverse, font preuve d’altruisme. Selon elle, à la différence de ce que pensent les utilitaristes et les partisans de la théorie du choix rationnel, les individus ne cherchent pas nécessairement à maximiser l’utilité d’un point de vue matériel. Les individus en question prennent aussi en considération les normes liées à des facteurs émotionnels tels que la honte, l’honneur, le sentiment de culpabilité, la dignité, etc. Finalement, selon elle, ce sont davantage les structures du marché, qu’un supposé comportement rationnel qui aboutissent à des décisions efficientes.
À la différence des théoriciens classiques du choix rationnel, Elinor Ostrom considère que les êtres humains sont dotés d’une rationalité, mais que celle-ci est limitée. Cela implique que pour prendre une décision, ils s’appuient essentiellement sur leur expérience et sur une culture partagée. De plus, selon elle, les individus ne disposent pas d’une information complète, notamment parce que leurs préférences sont complexes et donc qu’elles ne peuvent jamais être totalement exprimées. Cela signifie que, pour elle, une théorie des choix rationnels doit se soucier de la manière dont les participants obtiennent, représentent et utilisent l’information et de la façon dont ils valorisent les résultats d’une action. Selon Ostrom, la théorie doit aussi tenir compte du processus qui est utilisé dans la sélection d’une action, ou des actions, en prenant en compte la contrainte des ressources disponibles limitées.
La notion de dilemme social
Le dilemme social correspond à une situation dans laquelle le comportement qui convient le mieux aux intérêts d’un individu est, au final, désastreux pour le groupe quand chacun l’adopte. Cela signifie aussi que la situation avantageuse pour l’individu à court terme peut produire un résultat néfaste à long terme pour lui-même, mais également pour le groupe dont il fait partie.
En étudiant les situations de concurrence sur le marché des biens privés, Elinor Ostrom estime que dans ces cas, il n’y a pas de dilemme social. Elle décrit ce dernier comme étant la recherche, de la part de l’individu, de son intérêt personnel, ce qui conduit à des résultats plus mauvais pour tous, que ce que permettraient d’autres comportements. Dans ces situations, pour elle, le dilemme du prisonnier, une des composantes de la théorie des jeux, constitue une modélisation intéressante des comportements des différents acteurs.
Le dilemme du prisonnier caractérise une situation où deux joueurs auraient tout intérêt à coopérer, mais où, en l’absence de communication entre les deux joueurs, chacun d’eux choisira de trahir l’autre, sachant que le jeu n’est joué qu’une seule fois. Cela s’explique par le fait que si l’un coopère alors que l’autre trahit, celui qui a coopéré est fortement pénalisé par rapport à l’autre. Pourtant, si les deux joueurs trahissent, le résultat leur est, au final, moins favorable que dans la situation où les deux avaient choisi de coopérer.
Selon Elinor Ostrom, trois hypothèses fondamentales de la théorie du choix rationnel permettent d’expliquer pourquoi les dilemmes sociaux surviennent. La première est la supposition que les individus connaissent, de manière immédiate, toutes les solutions possibles. La deuxième est la supposition que les individus peuvent anticiper ce que feront les autres individus. Enfin, la troisième est la difficulté de classer les préférences individuelles. Elinor Ostrom insiste sur le concept de l’adaptation qui permet, selon elle, de mettre en application des essais et des erreurs qui favorisent la remise en question sur la base des situations passées et la construction de nouvelles connaissances.
Le modèle IAD et l’analyse multi-niveaux
Afin d’analyser les dilemmes sociaux, Elinor Ostrom a élaboré un cadre d’analyse, l’IAD, initiales de Institutional Analysis and Development, qui est ensuite devenu une recommandation des institutions internationales à partir des années 1990. Le modèle IAD a pour objectif de poser un cadre d’analyse qui permette de trouver des solutions dans les cas de dilemme sociaux, sachant qu’il est souvent perçu comme une vision différente de la théorie des choix publics.
Concrètement, pour Elinor Ostrom, il faut d’abord définir ce qu’elle appelle la scène d’action (ou arène d’action) qui permettra de définir le lieu dans lequel le chercheur analyse les interactions des individus, sachant que dans le cadre d’une organisation, il peut y avoir plusieurs arènes d’action. Elle insiste notamment sur l’importance des liens horizontaux (aussi appelés institutionnels) qui correspondent à des rapports de coordination ou de compétition, et des liens verticaux qui correspondent aux liens entre les différents niveaux d’analyse (à savoir le niveau organisationnel, le niveau de la décision et du choix, ainsi que le niveau constitutionnel).
Au sein d’une arène d’action, Elinor Ostrom met en avant les situations d’action d’une part et les acteurs d’autre part.
Selon elle, une situation d’action correspond à une interaction entre des acteurs qui ont certaines positions, des capacités d’action, etc en fonction du degré de contrôle et des informations à leur disposition, mais aussi en fonction des conséquences prévues de leurs actions et des coûts et bénéfices attendus.
Quand la situation d’action et les arènes d’action sont définies, Ostrom explique qu’il est possible de passer à l’étape de l’étude pratique des cas, à partir du modèle IAD. Pour cela, les caractéristiques de la communauté, le monde physique environnant, ainsi que les règles et normes qui régissent l’action doivent être analysés.
De nombreuses applications des travaux d’Elinor Ostrom
Les travaux d’Elinor Ostrom ont eu de nombreuses applications dans l’économie réelle, que ce soit dans le domaine de l’économie sociale et solidaire, des services publics ou encore de la prise en compte de l’environnement, ainsi que du changement climatique.
Concernant l’économie sociale et solidaire (ESS), elle se caractérise par un ensemble d’initiatives et de projets économiques fondés sur un principe de solidarité et d’utilité sociale. Les structures concernées adoptent des modes de gestion démocratiques et participatifs et encadrent strictement l’utilisation des bénéfices qu’elles réalisent. L’ESS estime qu’il y a, dans un contexte de participation des citoyens, une complémentarité entre l'action collective et l'action publique. Cette volonté de favoriser une plus forte participation des acteurs aux décisions politiques et économiques rejoint certaines des solutions d’Ostrom pour résoudre les dilemmes sociaux, à savoir les concepts de délibération et d'apprentissage, de confiance, de réciprocité, etc.
Sur le sujet des politiques publiques, Elinor Ostrom s’est intéressée plus particulièrement à la relation entre la taille ou la centralisation d’un service et la performance de celui-ci. Dans les années 1970, les chercheurs critiquaient la fragmentation des services publics qu’ils jugeaient inefficaces. Les partisans d’une réforme avançaient le fait que réduire le nombre d’unités gouvernementales (et notamment de polices), avait toujours un effet positif. Après avoir travaillé sur la question, Ostrom à démontré que la corrélation entre la taille et l’efficacité dépend du type de bien produit. Par exemple, la construction d’infrastructures permet d’obtenir des économies d’échelle, ce qui implique que cela peut donc être géré par de grandes unités gouvernementales, alors que des activités de service seront plus efficaces si elles sont organisées en petites unités.
Concernant le cas plus particulier des services de police, Elinor Ostrom a montré que les petites unités produisaient un meilleur service. En effet, cela s’explique parce qu’elles sont plus proches du terrain et peuvent ainsi favoriser la coproduction du service avec les citoyens dont la participation (telles que la surveillance du voisinage ou le signalement d’activités suspectes par exemple) permet d’améliorer l’efficacité globale.
À la fin de sa vie, Elinor Ostrom a abordé le problème complexe du changement climatique en pointant l’importance d’avoir une approche multi-niveaux et d’éviter de se concentrer uniquement sur le niveau politique mondial. C’est sur la base de cette vision qu’elle estime qu’il est plus urgent de réduire immédiatement les émissions qui créent de la pollution, que de parvenir à un accord international sur le pourcentage précis de réduction des émissions, objectif qu’elle juge par ailleurs peu atteignable à court ou moyen terme.
Elle s’est montrée opposée à attribuer à des pouvoirs publics régionaux, nationaux ou internationaux la compétence exclusive de la fourniture des biens publics locaux et de la gestion des ressources communes. En effet, selon elle, leur attribuer ces responsabilités priverait les citoyens et les responsables locaux de l’autorité nécessaire pour résoudre les problèmes locaux qui les concernent pourtant directement. Par exemple, elle juge que la Convention des Nations unies sur le droit de la mer n’a abouti qu’à une surexploitation des mers, au lieu de favoriser leur protection.
Pour soutenir son analyse, elle soutient que l’extension de la zone économique exclusive à 200 milles nautiques de la côte a, au final, conduit les gouvernements à subventionner la pêche nationale, ce qui a incité à surexploiter les océans. Pour Ostrom, une stratégie mise en place uniquement au plus haut niveau décourage les gens d’agir, mais en plus, cela les empêche de se sentir concernés, ce qui engendre une perte de confiance générale, et in fine, de la tricherie.