Courant préclassique : La pensée économique antique

 

Philosophes de la Pensée économique antique
Philosophes de la Pensée économique antique

 

Les auteurs préclassiques ont existé avant les auteurs classiques

La science économique est réellement devenue un savoir autonome avec la publication en 1776 de la Richesse des Nations d’Adam Smith. Avant cette date, l’économie est sous la tutelle des sciences humaines et sociales, y compris durant la pensée économique antique. En effet, elle est sous la subordination de la philosophie et plus particulièrement de la morale à travers notamment les religions et la politique. L’économie est donc utilisée à travers d’autres domaines et non pas en tant que telle. Seul Adam Smith parvient à l’émanciper de cette tutelle, mais en plus à l’imposer aux autres savoirs. Aucun auteur avant lui n’a réussi à faire cela. Pour lui, le marché donne sa place à chacun, cela implique donc que le contrat économique s’impose au contrat social. Le mérite prend la place, et même remplace le privilège hérité.

C’est pour cela qu’Adam Smith est considéré comme le père fondateur de l’économie d’une manière générale et le créateur du courant classique. Cela signifie que les auteurs qui l’ont précédé ont le statut de préclassiques. Dans ce mouvement préclassique, plusieurs phases peuvent être distinguées dont la première d’entre elles est la pensée économique antique. Celle-ci croit à un ordre naturel qui serait la base sur laquelle se fondent les principes moraux. L’économie n’est pas dans les préoccupations principales, car elle se fonde sur l’égoïsme, et donc sur l’amoralité (c’est-à-dire qui ne prend pas en compte la morale). D’ailleurs, il n’y a pas à proprement parler d’économistes, ce sont des philosophes tels que Socrate, Platon et Aristote qui réfléchissent à certaines questions économiques.

 

Parmi les préclassiques de la pensée économique antique, Platon et Aristote apparaissent comme les premiers et les principaux auteurs qui ont traité des questions économiques. Les auteurs latins ne s’intéresseront pas vraiment à ces questions. Les seules considérations latines, d’un point de vue économique, ont concerné la culture de la terre et la valorisation de l’agriculture.

 

L’origine de l’économie

L’origine du mot « économie » vient de deux mots grecs, oïkos qui signifie « demeure » (ou maison) au sens d’unité sociale et économique et nómos qui signifie « l’ordre » (ou la loi, ou encore la norme).

À ce moment-là, l’économie présente déjà deux aspects. Le premier concerne la façon de gérer l'exploitation agricole, et le second la façon de gérer la cité en lui donnant les moyens de vivre, et de bien vivre.

Le rôle de l’économie est abordé par deux philosophes que sont Platon et Aristote. Ces deux auteurs relèguent l’économie à une position secondaire, et même la stigmatisent. En effet, dans l’art de gouverner la cité, la politique et la philosophie prennent le dessus alors que l’économie politique se trouve à un rang inférieur.

 

L’économie selon Socrate et Platon

Socrate et Platon sont des philosophes grecs du 5ème siècle avant Jésus-Christ. Socrate est considéré comme l’un des créateurs de la philosophie morale. Platon a été l’un de ses élèves avant de développer ensuite sa propre pensée.

Les questions économiques sont abordées par Platon dans trois de ses œuvres que sont La République, Le Politique et Les Lois.

Pour lui, ces questions se situent dans son analyse de la cité idéale, dans laquelle la politique est liée intimement à la morale. La justice est le principe qui introduit, règle et harmonise l'action de l’État et de l’individu. Mais pour Platon, l’État est une institution suprême qui absorbe tous les intérêts individuels. En effet, l’État est le garant d’une justice impartiale et son intervention est légitimée par sa fonction qui est admise et recommandée.

 

La recherche d’une cité idéale

Dans sa recherche de la cité idéale, Platon expose les propos de Socrate. L’existence de la cité est expliquée par la dépendance et la complémentarité qu’il existe entre les individus. Il y a donc une spécialisation de chacun de ces individus dans les tâches où ils sont les plus habiles et dans lesquelles ils possèdent les vertus nécessaires.

Chaque classe sociale a sa vertu. La classe gouvernante doit avoir comme vertu principale la sagesse, les classes des ouvriers et des artisans doivent avoir la tempérance (c’est-à-dire une certaine sobriété) et les militaires (qui sont les gardiens de la cité et de l’État) doivent avoir la vertu du courage.

La tâche la plus noble pour Platon est la charge de la fonction politique, incarnée par les « philosophes rois », car la politique est un art. Celui qui dirige doit détenir la science et la politique, c’est-à-dire connaître le bien et le juste. Celui qui dirige la cité doit donc être un philosophe, qui est le seul pour Platon en mesure de gouverner par le bien.

Les agriculteurs et les artisans s’occupent des fonctions de production et d’échange. Cela implique que les transactions commerciales les amènent à manier de l’argent.

Les esclaves, quant à eux, contribuent à la production avec leur travail.

Néanmoins, en face de la fonction économique, il y a une certaine méfiance, et même un certain mépris. En effet, l’argent a une importante capacité à corrompre et le goût de l’argent pousse à l’enrichissement, ce que fustige Platon. Dans son œuvre Les Lois, il y dit même que c’est l’amour de la richesse qui transforme des braves en brigands.

Le travail a tendance à distraire, à détourner, et même à avilir (c’est-à-dire à rabaisser) l’individu libre et le détourne donc de la seule activité qui est noble pour lui, la politique.

L’argent et le travail risquent à terme de détourner le but de la cité de sa principale vertu, à savoir la recherche de la justice, vers la recherche de l’enrichissement, qui est la source de tous les vices.

 

Une cité idéale face à une cité des pourceaux

Dans son œuvre La République, Platon oppose la cité idéale à la cité des pourceaux (qui sont des cochons). Il y décrit sa vision de la cité idéale. Pour lui, les Hommes y vivront ensemble joyeusement, en réglant, en fonction des ressources disponibles, le nombre de leurs enfants par crainte de la pauvreté et de la guerre.

La « cité des pourceaux » comme il l’appelle est bien évidemment une image. Cela correspond pour lui à la dérive d’une cité qui est corrompue par l’argent et où la recherche de l’enrichissement, la satisfaction des besoins artificiels et superflus, le développement de la paresse, de l’oisiveté, de la méchanceté, de la bassesse qui relèguent le citoyen libre et vertueux au statut d’un animal, d’un cochon qui s’engraisse à travers sa passion de l’argent et de l’accumulation des richesses.

Cette passion pour l’argent avilit finalement les corps et les caractères. Cela a pour conséquence de remplacer un gouvernement constitué de l’élite intellectuelle et désintéressée des citoyens par une ploutocratie, c’est-à-dire un gouvernement constitué des plus fortunés. En effet, la richesse permet à une classe ploutocratique d’accéder au pouvoir grâce à la corruption du corps politique de la « cité saine » et d’exercer le pouvoir en question. Pour Platon, si le gouvernement de la cité échappe aux sages, cela provoquera forcément le désordre, et même la dégénérescence du corps politique.

Il est alors nécessaire de se prémunir de cette corruption par l’argent et la richesse, en veillant notamment à ce que chacun puisse accéder à la place qui correspond à ses aptitudes et à ses qualités morales, intellectuelles et physiques. Cela signifie qu’il n’y a pas de transmission héréditaire d’une position. L’accès à chaque classe sociale se fait à travers une sélection basée sur les aptitudes.

Les meilleurs, qui correspondent à l’élite des citoyens, exercent alors leur fonction politique et militaire de manière complètement désintéressée, c’est-à-dire non pas pour satisfaire leur intérêt privé et personnel, mais pour réaliser l'intérêt général. En fonction de cela, Platon propose que chaque membre d’un corps social de l’élite reçoive un revenu en fonction de sa place dans la cité. La place détermine la rémunération, qui doit donc être identique pour tous ceux qui occupent la même place.

Pour éviter la corruption de l’élite, il faut, pour Platon, supprimer la propriété privée. Cela passe également par la mise en place d’une communauté de biens et par l’application d’une justice redistributive et égalitariste. Cette vision peut être qualifiée par le terme de « communisme aristocratique« .

L’État est le garant d’une justice impartiale. Par conséquent, l’économie dans la pensée de Socrate et de Platon se confond avec la politique, car elle permet de procurer les richesses nécessaires pour assurer le bien-être de la population. Dans le pire des cas, l’économie est suspectée de corrompre le corps politique et social.

Avec ces raisonnements, il n’y a pas de discours économiques autonomes, qui seraient indépendants des considérations morales.

 

L’économie selon Aristote

Aristote est un philosophe grec qui a vécu au 4ème siècle avant Jésus-Christ. Il est notamment connu pour avoir établi les premiers fondements de la philosophie de la nature en réunissant les disciplines de la physique et de la biologie. En ce sens, il a fondé la métaphysique. Il a également été un des élèves de Platon avant de rapidement prendre ses distances et de critiquer certaines de ses conceptions. En effet, pour Platon, l’objectif de la science est de parvenir à la justice idéale, alors qu’Aristote considère que la science doit s’attacher à définir la nature des choses et les caractériser.

Pour Aristote, l’Homme est un « animal » doué de raison qui vit en famille et dans la cité. Il est donc sociable et politique.

Trois centres d'intérêt sont traités par la science, ce sont l’Homme, la famille et la cité.

La science qui étudie l’activité individuelle est l’éthique. La science de la famille correspond à « l’économique » et la science de la cité à celle de la politique. Pour lui, la politique est la science souveraine qui s’impose à toutes les autres sciences, parce qu’elle vise un bien qui est le plus haut de tous et qui assure le « bien vivre » de ses membres.

Étant donné que toutes les autres sciences se définissent par rapport à cette notion de bien vivre, l’individu ne peut avoir d’existence que dans la cité, avant tout autre chose, il est donc un « animal politique« .

Pour Aristote, la politique est ce qui prédomine sur tout le reste. Si l’économie acquiert avec la politique une certaine autonomie, affirmer cette distinction a pour but de renforcer la suprématie de la politique sur l’économique.

Aristote aborde les questions économiques dans trois ouvrages qui sont l’Éthique à Nicomaque, La politique et L’économique.

 

Le travail n’est pas valorisé, mais au contraire condamné

Pour lui, les tâches les plus nobles, qui permettent d’assurer le bien vivre de tous, se trouvent dans la politique et la philosophie. Ces activités de la pensée constituent les occupations et les tâches des Hommes libres et égaux, c’est-à-dire des citoyens. En effet, gérer les affaires de la cité implique que les citoyens se consacrent entièrement à ces tâches qu’il considère comme nobles. Pour cela, il faut qu’ils ne soient pas obligés de participer à la production des biens nécessaires au bien vivre, qui exige un effort et un travail pénible. Ce travail empêcherait le plein exercice du travail intellectuel. C’est pour cela qu’Aristote interdit le travail de la terre aux Hommes libres et le confie plutôt aux esclaves. Le travail empêche l’esprit d’être entièrement disposé à l’effort intellectuel et détourne le citoyen de sa mission principale pour la cité.

À travers ce raisonnement, le travail n’est pas valorisé, mais au contraire condamné par Aristote en le considérant comme une activité subalterne. D’ailleurs, l’économie dans sa globalité est concernée par cette place secondaire.

 

L’économie domestique et la chrématistique

Parmi les activités économiques qui sont au service de la cité, Aristote distingue l’économie domestique (oïkonomia) et la chrématistique (mélange de chrémato qui signifie richesse et de chrématistikos qui signifie que cela concerne les affaires).

L’économie domestique correspond à la gestion de la maison, du domaine agricole, mais aussi à l'administration des terres, des dépendances, des divers biens ainsi que des êtres vivants.

La chrématistique, quant à elle, correspond à l’acquisition des richesses à travers l’échange monétaire. Au sein de la chrématistique, Aristote en distingue deux formes. La première est exercée dans le cadre de l’économie domestique et correspond aux formes naturelles et légitimes d’acquisition des richesses.

La seconde, appelée chrématistique mercantile, ou commerciale, s’inscrit en dehors du cadre de l’économie domestique et correspond à une création de richesse basée sur l’échange. Cette dernière forme est, pour Aristote, contre-nature.

Les formes naturelles, mais aussi légitimes de la production et de l’acquisition de richesses permettent d’obtenir l’autosuffisance de la maison et de la cité. Elles concernent l’économie domestique, mais également certaines activités chrématistiques tel que le commerce extérieur.

La chrématistique mercantile, quant à elle, vise plutôt l’acquisition des richesses par la richesse elle-même, en augmentant la richesse par l’échange monétaire.

 

Aristote fait un classement des branches de l’activité économique, selon un ordre décroissant de légitimité. Le cœur de l’économie domestique est constitué de l’agriculture et de l’élevage, qui sont les formes les plus légitimes pour lui dans l’acquisition des richesses. L'exploitation des ressources, le bois et les mines se placent ensuite. Enfin, les activités concernant le commerce, la finance et le travail salarié s’approchent de la chrématistique mercantile. En effet, certaines de ces activités ont pour but l’accumulation de la richesse sous la forme monétaire, ce qui a pour conséquence de pervertir l’échange monétaire.

Aristote condamne donc moralement la chrématistique mercantile et ses procédés. Pour lui, la monnaie ne crée pas la richesse et n’est pas la richesse, elle n’est que l’expression de la richesse.

Il a défini de manière précise les trois fonctions de la monnaie. Pour lui, elle doit être un étalon de mesure, un instrument des échanges et servir de réserve de valeur. En cela, pour Aristote, la chrématistique mercantile détourne la monnaie de ces fonctions.

En utilisant l’échange monétaire pour s’approprier une richesse monétaire et le prêt monétaire pour acquérir un intérêt monétaire, la transaction commerciale correspond au final à une spéculation monétaire dans laquelle la richesse, qui est le moyen, devient la fin. Aristote condamne ce procédé qui usurpe, pour lui, la nature de la chose échangée pour valoriser l’acte d’échange.

En considérant la position des individus dans une communauté, chacun d’eux occupe une position, un rang en fonction de son mérite et de sa propre valeur. L’individu en question reçoit alors en fonction de son rang, en proportion de son mérite. Pour désigner cela, Aristote utilise l’expression de proportion géométrique.

 

Les différentes situations de l’échange monétaire

Au moment de l’échange monétaire, la rétribution de chacun se conforme à l’ordre des valeurs propres. Il doit aussi respecter les règles de la justice distributive. Il n’y a pas de raison que cette justice soit égalitaire puisque les individus se différencient par leur rang. Chaque individu a une position inégale dans la communauté, par conséquent cela se retrouve dans l’échange. Le rapport entre les personnes et les choses se trouve donc en adéquation.

Dans le cas où il y a une égalité de statut entre les individus, le critère de justice devient celui de la proportion arithmétique. Cela signifie que chacun reçoit pour ce qu’il a donné.

Aristote justifie cette position par le fait que donner à chacun le même revenu alors même que certains ont plus contribué que d’autres ne serait pas juste.

L’échange doit donc se faire selon les règles de la justice commutative, c’est-à-dire que chacun reçoit en fonction de sa contribution. Pour lui, l’intervention d’une justice corrective ne doit se faire que quand il y a une fraude ou une tromperie.

Pour bien illustrer sa conception de l’échange quand il y a une inégalité de positions, Aristote prend l’exemple d’un échange entre un cultivateur et un cordonnier. Ces deux derniers déterminent un rapport d’échange entre leurs produits, selon le principe de proportionnalité arithmétique. Le but de cela est que le travail de l’un n’ait pas plus de valeur que celui de l’autre. Aristote pose donc l’échange monétaire comme un échange entre du travail contre un autre type de travail. Cela peut être surprenant de sa part au vu de sa vision du travail.

 

À travers ses travaux, Aristote a voulu montrer le danger potentiel pour la cohésion sociale d’une recherche de la satisfaction de l’intérêt personnel et de l’accumulation, de manière illimitée, de la richesse.

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