
La question des retraites demeure l’un des sujets les plus sensibles et débattus en France, entre équilibre financier et contestations sociales. Alors que le vieillissement de la population et les déséquilibres financiers menacent la pérennité du système actuel, les récentes réformes censées répondre à ces problèmes, comme le report de l’âge légal à 64 ans, ont suscité de vives contestations sociales. Ce dossier complexe repose sur des enjeux multiples, à savoir garantir un équilibre budgétaire tout en préservant la justice sociale et répondre aux attentes des citoyens tout en anticipant les défis démographiques à venir.
Avant de se lancer sur le sujet des réformes ou des options qui s’offrent pour résoudre toutes les difficultés, il est essentiel de comprendre les fondements du système actuel. En effet, le système de retraite actuel est basé sur le principe de la répartition, ce qui signifie qu’il est fondé sur la solidarité entre les générations. Cependant, il est désormais confronté à des limites structurelles, amplifiées par l’évolution démographique et économique actuelle. En effet, le vieillissement de la population, la baisse de la natalité, la diminution du nombre d’actifs par rapport au nombre de retraités, la croissance économique faible, l’accumulation des déficits et l’augmentation de la dette publique sont autant de facteurs qui ont un impact direct sur le système de retraite par répartition. Ces limites rendent nécessaires des ajustements, voire même des transformations profondes.
Face à ces nombreux défis, les réformes engagées ou envisagées suscitent des débats houleux. Si certaines mesures, comme l’allongement de la durée de cotisation ou l’incitation à l’emploi des seniors, visent à rétablir l’équilibre, elles divisent sur leur impact social. D’autres propositions, comme une taxation accrue des hauts revenus ou une meilleure prise en compte des métiers pénibles, cherchent à réconcilier finances et équité, mais restent sources de tension.
Cependant, la réflexion sur les retraites peut être élargie et prendre en exemple ce qui se fait dans le reste du monde. En effet, d’autres systèmes existent à travers la planète, chacun avec ses spécificités, ses atouts et ses faiblesses. Le système par capitalisation, par exemple, repose sur l’épargne individuelle et les rendements financiers, tandis que le système mixte allie répartition et capitalisation, afin de diversifier les sources de financement.
Par ailleurs, au sein même d’un système, différents modes de calculs sont possibles. Le système de retraite français actuel, c’est-à-dire par répartition, est basé sur les annuités. Mais il existe aussi par exemple le système par points, où chaque individu accumule des points qui sont ensuite multipliés par la valeur qu’on leur donne. Cela permet d’aboutir à un montant de pension de retraite.
Il existe aussi le régime en comptes notionnels qui permet à chaque actif de cumuler un capital virtuel dans un compte individuel.
Ces différentes approches permettent d’envisager des alternatives ou des compléments au modèle qui existe déjà.
Face aux nombreuses protestations concernant la réforme des retraites de 2023 qui a reculé l’âge de départ à la retraite de 62 à 64 ans, le nouveau Premier ministre François Bayrou a affiché sa volonté de rouvrir le débat sur ce sujet. Les choix à venir devront forcément concilier des impératifs financiers et économiques incontournables avec des attentes sociales légitimes. Ce qui se fait à l’étranger peut être une source d’inspiration afin d’améliorer le système actuel et permettre de répondre aux revendications des différentes composantes de la société (représentées au Parlement par les partis politiques). L’objectif est bien évidemment d’avoir un système le plus viable possible sur le long terme d’un point de vue financier et de répondre aux attentes sociales des Français.
Le but de cet article est de voir plus en profondeur les enjeux de ces sujets, de comprendre le système actuel, les objectifs des réformes précédentes (notamment en ce qui concerne le recul de l’âge de la retraite) et de voir les modèles qui existent et qui pourraient fournir des pistes d’amélioration ou de réforme.
La situation actuelle du système des retraites français
Avant de s’attaquer à la question des débats et des réformes (notamment le recul de l’âge de départ à la retraite), il est essentiel de revenir sur les bases et les défis structurels du système actuel des retraites en France. Ce système est celui de la répartition, c’est-à-dire basé sur la solidarité entre les générations. En période de faible croissance économique, de vieillissement de la population et de baisse de la natalité, ce modèle repose dorénavant sur des équilibres fragiles.
Avec la réforme de 2023, il est prévu que l’âge de départ soit progressivement repoussé de 62 ans à 64 ans en 2030. Il faudra avoir cotisé 43 ans minimum pour avoir la retraite à taux plein en 2027. Pour ceux qui ne réussiraient pas à cotiser toutes ces années, l’âge de la retraite à taux plein automatique reste à 67 ans. Ces chiffres correspondent au cadre général, hors cas particuliers.
Les bases du système par répartition
Le système de retraite français est le système par répartition. Il repose sur un principe fondamental qui est celui de la solidarité intergénérationnelle, c’est-à-dire de la solidarité entre les générations. Dans ce modèle, les cotisations sociales prélevées sur les salaires des actifs servent à financer directement les pensions des retraités. Plus concrètement, ceux qui travaillent actuellement paient des cotisations sociales pour payer les retraites des retraités actuels. Ce mécanisme, qui garantit une solidarité entre les générations, constitue l’un des piliers du modèle social français.
Cependant, ce système dépend d’un équilibre délicat entre le nombre de cotisants et celui des bénéficiaires. Historiquement, cet équilibre a été relativement stable grâce à une forte natalité et une croissance économique soutenue (ce qui permet une hausse des salaires et donc des cotisations sociales prélevées). En effet, selon le Conseil d’orientation des retraites (COR), il y avait par exemple, dans les années 1960, environ 4 actifs pour 1 retraité. En 2022, selon l’Insee, l’un des instituts de statistiques les plus sérieux du pays, ce ratio est tombé à 1,77 actif pour 1 retraité, ce qui signifie que moins de deux travailleurs paient la retraite d’un retraité. Avec le vieillissement de la population, cette tendance a de très grandes probabilités de se poursuivre.
Deux facteurs majeurs qui aggravent cette situation ont été identifiés. Il y a d’une part l’allongement de l’espérance de vie. En effet, les progrès de la médecine et l’amélioration des conditions de vie permettent aux Français de vivre plus longtemps, ce qui est une avancée majeure. Mais en même temps, cela signifie aussi que les retraités perçoivent leur pension pendant une période plus longue, ce qui augmente mécaniquement la charge financière sur le système.
Il y a d’autre part le vieillissement démographique, causé par l’arrivée à la retraite des générations nombreuses du baby-boom et par la diminution de la natalité. Cela a pour conséquence d’accroître la part de la population qui est âgée de plus de 60 ans.
Face à ces défis structurels, le modèle par répartition montre des signes d’essoufflement. Et pourtant, il reste largement préféré au système par capitalisation, celui-ci étant jugé plus incertain et risqué en raison notamment de la volatilité des marchés financiers. Pour autant, le financement de ce modèle par répartition nécessite des ajustements réguliers afin de rester viable à long terme.
Le déficit actuel : chiffres et causes principales
Le système de retraite français par répartition traverse une crise financière marquée par un déséquilibre croissant entre les ressources disponibles et les dépenses nécessaires pour couvrir les pensions. C’est ce déficit, qui s’élève à plusieurs milliards d’euros selon les projections du Conseil d’orientation des retraites (COR), qui est au centre des débats.
D’après les estimations de juin 2024 présentes dans le rapport du Conseil d’orientation des retraites (COR), le système de retraite pourrait enregistrer un déficit annuel d’environ 14 milliards d’euros d’ici 2030 si aucune mesure n’est prise. Ce chiffre représente une part significative du budget national et illustre l’urgence d’agir pour rétablir l’équilibre. Le COR souligne également que la situation pourrait s’aggraver à moyen et long terme en l’absence de réformes structurelles, notamment en raison de l’allongement de l’espérance de vie et du vieillissement de la population.
Néanmoins, le COR est critiqué par certains pour sous-estimer les déficits réels et prévoir des estimations, notamment de croissance économique et de chômage pour les années à venir, trop optimistes. Ainsi, le Haut-Commissariat au Plan dénonçait en 2022 le fait que l’équilibre était assuré par des transferts d’organismes sociaux, par des subventions de l’État, par des subventions d’équilibre des régimes spéciaux et enfin par des recettes fiscales affectées comme la CSG, et cela pour 46,3 milliards d’euros, soit 13 % des ressources.
Le COR a admis, dans une note parue le 10 janvier 2025, que les trois régimes de la fonction publique ne s’équilibrent que grâce à une subvention publique supplémentaire d’environ 42 milliards d’euros en 2023 (soit 1,4 % du PIB). Cela signifie que l’État verse chaque année des dizaines de milliards d’euros pour combler en partie les déficits du système de retraite, montants financés par de la dette publique et qui ne sont, du coup, pas investis dans d’autres secteurs comme ceux de l’hôpital ou de l’école.
Plusieurs facteurs permettent d’expliquer ce déséquilibre. Il y a comme cause majeure le déséquilibre démographique avec la diminution du ratio entre les actifs et les retraités. Avec une population qui vieillit et un taux de natalité assez faible qui ne permet pas de renouveler suffisamment les générations, le nombre de cotisants ne suffit plus à couvrir les pensions.
Une autre raison vient de la faible croissance économique. Cela engendre une stagnation des salaires et du taux de cotisation. Alors que les pensions de retraite augmentent mécaniquement avec l’inflation, les salaires, qui constituent la base des cotisations, progressent moins rapidement. Par ailleurs, le taux de cotisation a peu évolué ces dernières décennies, ce qui limite les ressources supplémentaires pour le système.
De plus, même si l’âge de départ a été relevé à 64 ans, de nombreux dispositifs (comme les carrières longues, les métiers pénibles, ou l’invalidité), bien que nécessaires, permettent encore des départs anticipés, avant l’âge prévu. Cela réduit le temps de cotisation et augmente la durée de perception des pensions.
Par ailleurs, les effets des crises économiques se font encore ressentir. En effet, les effets des crises économiques, notamment celle liée à la pandémie du Covid-19 et les périodes de ralentissement économique de ces dernières années ont fragilisé le marché de l’emploi, ce qui a entraîné une baisse des recettes pour les caisses de retraite.
Si le système n’est pas (à nouveau) réformé, les générations futures pourraient faire face à des choix difficiles comme réduire les pensions, augmenter les cotisations ou allonger la durée de cotisation. Selon les scénarios du COR, maintenir un équilibre à long terme nécessiterait des ajustements équivalents à 0,8 % du PIB, soit environ 20 milliards d’euros par an.
La réforme à 64 ans : une mesure controversée
La réforme qui a porté l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans a été adoptée dans un contexte de fortes tensions sociales et économiques et a profondément divisé la société française. Le gouvernement de l’époque l’a présenté comme une réforme indispensable pour faire face aux défis financiers et démographiques qui s’imposaient. Mais elle a suscité beaucoup de critiques et de contestations, autant de la part des autres partis politiques, que de la société, qui l’ont jugé injuste et brutale, ou dans certains cas, insuffisante.
Les arguments en faveur de la réforme
La décision de relever l’âge légal de départ à la retraite de 62 à 64 ans a été présentée par le gouvernement comme une nécessité absolue pour assurer la pérennité du système des retraites.
L’un des principaux objectifs de la réforme a été de combler le déficit chronique du système de retraite. Selon les projections du gouvernement et du Conseil d’orientation des retraites (COR), repousser l’âge légal à 64 ans pourrait générer jusqu’à 17 milliards d’euros d’économies annuelles d’ici 2030. Ces économies proviendraient principalement d’une augmentation des recettes grâce à un prolongement de l’activité professionnelle, couplée à une réduction du nombre d’années pendant lesquelles les pensions sont versées.
Avec une espérance de vie en constante progression (environ 85 ans pour les femmes et 80 ans pour les hommes), la durée moyenne durant laquelle les pensions sont perçues s’est considérablement allongée. Passer à 64 ans vise à ajuster le système à cette nouvelle réalité, en réduisant la période pendant laquelle les retraités bénéficient de leurs pensions, tout en augmentant la durée de cotisation.
Le gouvernement a également justifié la réforme en comparant l’âge légal de départ en France avec celui de ses voisins européens. Par exemple, l’âge légal est de 66 ans au Royaume-Uni, 67 ans en Allemagne, en Italie, aux Pays-Bas ou en Espagne. Cette réforme est ainsi perçue comme un alignement sur les pratiques européennes, tout en conservant certaines spécificités du modèle français, comme les dispositifs de solidarité.
Par ailleurs, le déficit des retraites alourdit les finances publiques et inquiète les investisseurs internationaux dont la France a besoin pour financer son déficit public. Une réforme ambitieuse est vue comme un moyen de rassurer les marchés financiers et d’éviter une dégradation de la note souveraine du pays qui pourrait entraîner une hausse des coûts d’emprunt pour l’État.
Enfin, la réforme est présentée comme un levier pour repenser certaines inégalités au sein du système, notamment en revalorisant les carrières longues ou en prenant davantage en compte les métiers pénibles.
Les critiques et contestations sociales
Bien que la réforme à 64 ans ait été présentée comme une nécessité économique, elle a suscité une opposition massive de la part de nombreux citoyens, syndicats et partis politiques. Ces critiques sont le reflet de préoccupations sociales, économiques et éthiques qui alimentent un profond sentiment d’injustice et d’incompréhension.
L’un des principaux reproches fait concerne le manque d’égalité qu’entraîne la réforme. En effet, de nombreux travailleurs qui ont commencé à travailler tôt ou qui exercent des métiers physiques estiment être pénalisés. Même s’il existe des dispositifs spécifiques, beaucoup les jugent insuffisants pour compenser la pénibilité de certaines professions. La suppression, par exemple, de nombreux régimes spéciaux a engendré beaucoup de colère dans les professions concernées.
Il a aussi été mis en avant le fait que certaines catégories socio-professionnelles, comme les ouvriers, ont une espérance de vie nettement inférieure à celle des cadres. Cette différence rend la réforme particulièrement défavorable aux plus modestes, qui en plus d’avoir des pensions plus faibles, auront moins de temps pour profiter des années qu’il leur reste.
De nombreuses critiques ont été formulées sur le fait que les plus aisés ou les riches seraient avantagés et ne paieraient pas suffisamment. L’une des solutions avancées a été d’augmenter les cotisations sociales des plus gros salaires afin de dégager de nouvelles recettes et de ne pas pénaliser les plus pauvres.
Allonger la durée d’activité pourrait aggraver la précarité des seniors sur le marché du travail, où ils font déjà face à des discriminations à l’embauche. En effet, une partie des séniors sont déjà au chômage au moment où ils arrivent à l’âge de la retraite. Si cet âge recule encore, cela ne fait que déplacer le problème et reste un coût pour les finances publiques.
Le report de l’âge légal pourrait contraindre certains travailleurs à poursuivre des emplois épuisants ou à accepter des conditions de travail dégradées, avec un impact direct sur leur santé et leur qualité de vie.
Par ailleurs, le gouvernement et le chef de l’État avaient laissé entendre qu’il y aurait la garantie d’un montant de retraite minimum de 1 200 euros brut pour les nouveaux retraités qui auraient travaillé durant une carrière complète au SMIC. Cela a été présenté comme un minimum garanti qui s’appliquerait à tous. En réalité, il s’agissait d’une augmentation du minimum contributif pouvant aller jusqu’à 100 € brut par mois. Que ce soit une maladresse de communication ou de la publicité mensongère, cela a créé beaucoup de déception et d’incompréhension dans la population, et même parfois de la rancœur envers les responsables politiques.
De nombreux experts ont critiqué cette réforme des retraites en estimant que, même s’ils l’estimaient urgente, elle ne répondait pas aux enjeux structurels à long terme du système de retraite. En effet, selon eux, elle se concentre sur des économies à court terme sans repenser profondément le financement global du système. De plus, elle ne s’attaque pas aux inégalités de revenus ni à la contribution des hauts revenus et du capital, ce qui alimente le sentiment que l’effort demandé est injustement réparti.
Au-delà de la réforme en elle-même, la manière dont elle a été adoptée a beaucoup cristallisé les oppositions. En effet, de nombreux syndicats et partis politiques ont dénoncé l’absence de dialogue réel avec le gouvernement et surtout le recours au 49.3 qui a permis de faire adopter la réforme sans que l’Assemblée nationale n’ait à voter.
Vers un nouveau débat sur les retraites : quelles pistes pour l’avenir ?
Le gouvernement, conscient des tensions créées par la réforme de l’âge de départ, a ouvert la porte à un nouveau débat sur ce sujet. François Bayrou a annoncé, lors de son discours de politique générale du 14 janvier 2025, un conclave de renégociation sur trois mois. Il souhaite également que les syndicats et le patronat discutent et négocient activement pour trouver des solutions. Cependant, il a précisé que si les partenaires sociaux ne s’accordaient pas, c’est la réforme de 2023 qui s’appliquerait.
La réouverture du débat sur les retraites offre une occasion de réfléchir à des solutions alternatives pour garantir la pérennité du système, tout en répondant aux préoccupations sociales. Plusieurs scénarios sont envisagés par les experts et les partenaires sociaux, qui proposent des approches diversifiées.
Une des pistes souvent évoquées consiste à jouer sur la durée de cotisation nécessaire pour obtenir une retraite à taux plein, plutôt que de relever l’âge légal. Allonger la durée de cotisation de quelques trimestres pour les générations futures permettrait de limiter l’impact immédiat sur les travailleurs actuels. Cette solution offre une certaine souplesse en tenant compte des carrières longues ou incomplètes. De plus, contrairement au report de l’âge légal, cette mesure est souvent perçue comme moins brutale, car elle laisse plus de liberté aux individus pour choisir leur âge de départ.
Une autre solution proposée consiste à diversifier les sources de financement des retraites en sollicitant davantage les revenus les plus élevés et les gains du capital. Appliquer un taux de cotisation plus élevé au-delà d’un certain plafond de salaire pourrait renforcer les recettes tout en préservant l’équité. De plus, une partie des partis politiques d’oppositions estiment que taxer davantage les dividendes, les plus-values ou d’autres formes de revenus non salariaux permettrait de répartir l’effort sur une base plus large et serait plus juste. Cela pourrait aussi passer par la création d’un fonds de réserve dédié pour amortir les chocs démographiques futurs, celui-ci étant alimenté par des taxes spécifiques.
La réforme actuelle a souvent été critiquée pour son insuffisance à répondre aux spécificités de certaines professions. Une piste importante pourrait être d’améliorer la prise en compte des parcours professionnels difficiles. Cela pourrait passer par l’abaissement de l’âge de départ pour les métiers pénibles, par le fait de revoir les critères de pénibilité et de renforcer les dispositifs spécifiques pour ces professions. Le renforcement de la prévention semble aussi être une piste puisqu’investir dans la santé au travail et dans l’amélioration des conditions de travail permet généralement de limiter l’usure professionnelle.
Pour rendre le système viable, il semble aussi essentiel d’augmenter le taux d’emploi des seniors, qui reste faible en France par rapport à d’autres pays européens comparables. Cela pourrait passer par des avantages fiscaux ou des aides aux employeurs qui recrutent ou maintiennent des salariés âgés, par le développement du temps partiel sénior, de la lutte contre la discrimination de ces personnes, du télétravail ou de l’adaptation des postes aux besoins des travailleurs plus âgés.
Selon le président du COR, le taux d’emploi des séniors de 60 à 64 ans n’est que de 36 % en France, quand il est de 63 % en Allemagne et 65 % aux Pays-Bas. Il estime que si nous avions en France le taux d’emploi des Pays-Bas, les recettes publiques seraient supérieures à ce qu’elles sont d’au moins 140 milliards par an, soit à peu près les budgets réunis de l’Éducation nationale et de la Défense. Cela pourrait permettre de dégager les recettes nécessaires au rétablissement de l’équilibre du système.
D’autres systèmes de retraite existent
Au-delà des ajustements immédiats vus précédemment, certains plaident pour une réforme globale du système des retraites. En effet, le calcul par annuité n’est pas la seule option possible. Tout en gardant le système par répartition basé sur la solidarité entre les générations, il est possible de mettre en place un système par points ou encore par comptes notionnels.
Par ailleurs, le système de retraite par répartition n’est qu’un système parmi d’autres. Certains pays en Europe ont des systèmes par capitalisation ou mixtes, qui mélangent la répartition et la capitalisation.
Ces différents systèmes et modes de calcul peuvent servir de base de travail pour réformer en profondeur notre système de retraite français et le rendre plus juste, équitable et durable, notamment d’un point de vue financier.
Le système actuel est le système par répartition
Le système de retraite français, instauré après la Seconde Guerre mondiale, repose sur le principe de la répartition, c’est-à-dire un modèle fondé sur la solidarité entre les générations. Cela signifie que les cotisations sociales des actifs actuels, prélevées sur leurs salaires, servent directement à financer les pensions des retraités actuels. Ces cotisations sont donc immédiatement redistribuées pour payer les pensions des retraités actuels, selon le principe du « chacun cotise selon ses moyens et reçoit selon ses droits ».
Ce modèle repose donc sur un contrat social implicite entre générations, à savoir que les actifs d’aujourd’hui soutiennent les retraités, avec l’assurance que la génération suivante fera de même pour eux.
Ce modèle reflète un idéal de solidarité nationale, en répartissant les ressources en fonction des besoins. Contrairement à un système basé sur l’épargne individuelle, la répartition protège les retraités des aléas économiques, tels que l’inflation ou les fluctuations des marchés financiers. Le système peut être ajusté via des modifications des taux de cotisation, des âges de départ ou des montants de pension, ce qui permet de s’adapter aux évolutions démographiques ou économiques.
Malgré ses atouts, le système par répartition fait face à plusieurs défis. Celui du vieillissement de la population, notamment quand le nombre de cotisants diminue par rapport au nombre de retraités. La viabilité du système repose sur un taux d’emploi élevé et des salaires stables ou en croissance. Les périodes de chômage ou de crise économique réduisent les recettes, ce qui accentue les déficits. Par ailleurs, le système actuel reflète en partie les inégalités du marché du travail, comme les écarts salariaux entre les hommes et les femmes ou les différences de parcours professionnels.
En France, le modèle par répartition est largement majoritaire, mais il coexiste avec des régimes complémentaires obligatoires (comme l’Agirc-Arrco pour les salariés du secteur privé) qui fonctionnent également par répartition. Ces régimes viennent compléter les pensions de base.
Le système par capitalisation
Contrairement au système par répartition, le système par capitalisation repose sur une logique d’épargne individuelle. Dans ce modèle, chaque actif cotise tout au long de sa carrière sur un compte personnel ou collectif, généralement géré par des fonds de pension ou des institutions financières. Ces cotisations sont investies sur les marchés financiers et génèrent des rendements qui s’accumulent au fil du temps. Une fois à la retraite, l’épargne accumulée permet de financer les pensions sous forme de capital ou de rente viagère.
Ce modèle se distingue par son indépendance vis-à-vis des générations futures. Chaque individu finance sa propre retraite, ce qui limite la dépendance à la démographie ou au taux d’emploi, des facteurs essentiels dans un système par répartition. En théorie, la capitalisation permet également de profiter de la croissance économique, grâce aux rendements générés par les investissements, ce qui peut offrir des pensions plus élevées. Cependant, cette promesse est conditionnée à la stabilité et à la performance des marchés financiers.
Le système par capitalisation présente des avantages indéniables, notamment une plus grande autonomie individuelle et une relative résilience face aux chocs démographiques. Toutefois, il comporte aussi des risques importants. Les pensions sont directement liées aux fluctuations des marchés financiers, ce qui peut engendrer une grande précarité en cas de crises économiques ou de mauvais choix d’investissement. De plus, ce système tend à accentuer les inégalités sociales, car le niveau des pensions dépend largement de la capacité d’épargne des individus. Les personnes à faibles revenus ou celles qui connaissent des carrières hachées risquent de se retrouver avec des pensions insuffisantes.
En France, le système par capitalisation est utilisé de manière complémentaire, notamment via des plans d’épargne retraite (PER) ou des fonds de pension dédiés à certaines professions. Cependant, il ne constitue pas le socle principal du système, contrairement à des pays comme les États-Unis ou le Royaume-Uni, où la capitalisation joue un rôle central. Cette différence reflète une approche culturelle distincte vis-à-vis de la solidarité sociale et de la gestion des risques liés à la vieillesse.
Le système mixte (en partie par répartition et en partie par capitalisation)
Le système mixte combine les principes de la répartition et de la capitalisation pour tirer parti des avantages de chaque modèle tout en limitant leurs inconvénients respectifs. Ce modèle repose sur une double logique. Une partie des pensions est financée par les cotisations des actifs qui sont redistribuées aux retraités actuels, tandis qu’une autre partie est constituée par l’épargne individuelle ou collective accumulée et investie sur les marchés financiers.
L’objectif principal d’un système mixte est de diversifier les sources de financement des retraites, afin de renforcer leur résilience face aux chocs économiques ou démographiques. La répartition garantit une solidarité intergénérationnelle et offre une certaine sécurité pour les revenus de base, tandis que la capitalisation permet de compléter ces pensions grâce à des rendements financiers potentiellement plus élevés. Cette approche permet également d’équilibrer les risques, étant donné que les fluctuations démographiques sont compensées par la dimension capitalisée, et les aléas des marchés financiers sont tempérés par la répartition.
Dans les pays où le système mixte est en place, comme la Suède et les Pays-Bas, ce modèle s’appuie souvent sur une base obligatoire par répartition, complétée par des fonds de pension professionnels ou individuels. Ces derniers peuvent être gérés par des entreprises, des branches professionnelles ou des institutions financières, souvent avec une régulation stricte pour protéger les épargnants et garantir une gestion prudente des fonds.
Le système par points s’oppose au régime par annuités et aux comptes notionnels
Le système par points est un modèle alternatif au régime par annuités traditionnel, qui repose sur une approche différente de l’acquisition des droits à la retraite. Dans un système par points, chaque cotisation versée par un actif est convertie en points, en fonction d’un barème défini. Ces points s’accumulent tout au long de la carrière et déterminent, au moment de la retraite, le montant de la pension. Ce dernier est calculé en multipliant le nombre total de points acquis par la valeur du point.
Cette méthode se distingue du régime par annuités, où la pension est calculée en fonction du nombre d’années travaillées et du salaire moyen des meilleures années, comme c’est le cas actuellement en France. Contrairement à ce modèle, le système par points offre une plus grande transparence puisque chaque cotisation est immédiatement traduite en droits, ce qui permet aux individus de suivre précisément l’évolution de leur retraite future. De plus, le système par points est souvent considéré comme plus équitable, car chaque euro cotisé donne lieu à la même acquisition de droits, quelle que soit la période de cotisation.
Le régime par points s’oppose également aux comptes notionnels, un modèle utilisé notamment en Suède. Dans ce dernier, les cotisations sont enregistrées sur un compte virtuel, et le montant de la retraite dépend du total accumulé, ajusté en fonction de l’espérance de vie au moment du départ. Si les comptes notionnels partagent une logique proche de la capitalisation, ils restent financés par répartition.
Cependant, le système par points n’est pas exempt de critiques. L’un des principaux enjeux réside dans la détermination de la valeur du point, qui peut varier en fonction des contraintes économiques ou démographiques. Une dévaluation du point pourrait entraîner une baisse des pensions, ce qui alimente les craintes des actifs et des retraités. De plus, certains considèrent que ce système, en individualisant davantage les droits, peut affaiblir les mécanismes de solidarité présents dans un régime par annuités, notamment pour les carrières hachées ou les métiers faiblement rémunérés.En France, la réforme envisagée en 2019 et soutenue par Emmanuel Macron lors de sa campagne présidentielle de 2017, proposait de passer à un système universel par points. Elle a finalement été abandonnée face à une forte opposition sociale et à l’irruption de la crise du Covid-19 et de ses nombreuses conséquences.