
L’intelligence artificielle, qui a fait irruption dans nos vies assez récemment, est d’ores et déjà au cœur des transformations économiques et technologiques de notre époque. Loin d’être une simple évolution numérique, elle redessine en profondeur notre rapport au travail, à l’information, à la production, aux décisions automatisées, et même parfois à notre manière de vivre. Conscients de son importance stratégique, les États et les entreprises du monde entier investissent massivement dans ce domaine.
Lors du Sommet International sur l’Intelligence Artificielle des 10 et 11 février 2025 à Paris, Emmanuel Macron a annoncé plusieurs dizaines de milliards d’euros d’investissements pour faire de la France un acteur clé du secteur. Dans le même temps, Ursula von der Leyen, la Présidente de la Commission européenne, a présenté les ambitions européennes pour garantir la compétitivité du continent face aux géants américains et chinois. Ces annonces témoignent d’une véritable course à l’intelligence artificielle (IA) au niveau mondial, où l’indépendance technologique est en plus un enjeu central.
On peut alors se demander pourquoi l’IA suscite de tels investissements partout dans le monde. Afin de bien comprendre, il est essentiel de définir ce qu’est réellement l’intelligence artificielle. Il ne s’agit pas seulement de robots ou d’assistants virtuels, mais d’un ensemble de technologies capables d’apprendre, d’analyser et de prendre des décisions de manière autonome. Cette capacité à traiter des volumes colossaux de données en un temps record est en train de la rendre indispensable dans de nombreux secteurs, tels que la médecine, la finance, l’industrie, ou même encore la sécurité.
Toutefois, cette course mondiale ne se fait pas de manière équitable. En effet, les États-Unis, et dans une moindre mesure la Chine, disposent d’une avance considérable, portée par des géants comme Google, Microsoft, OpenAI, Tencent ou Huawei. L’Europe cherche à combler ce retard et à garantir sa souveraineté technologique afin de ne pas dépendre exclusivement d’outils développés à l’étranger. Cette compétition acharnée pose des questions sur la place de l’Europe dans l’économie mondiale, sur son aptitude à développer ses propres outils, et sur sa capacité à imposer ses propres standards en matière d’intelligence artificielle.
Au-delà des aspects géopolitiques, l’intelligence artificielle entraîne des transformations économiques profondes. Elle modifie le marché du travail en automatisant certaines tâches, tout en créant de nouveaux métiers spécialisés. Elle bouleverse aussi les chaînes de valeur industrielles et impacte la création et la répartition des richesses. Tout cela soulève la question de la mise en place d’une régulation adaptée pour éviter qu’elle ne profite qu’à une minorité.
Plus largement, l’IA n’est pas qu’un enjeu économique. Effectivement, elle redéfinit aussi notre rapport à la société. De la médecine aux transports, en passant par l’éducation et la gestion des villes, elle promet d’améliorer nos conditions de vie, mais impose aussi une réflexion sur son encadrement. L’Europe doit veiller à préserver son modèle démocratique et ses valeurs en garantissant un développement éthique et responsable de l’intelligence artificielle.
Enfin, cette révolution pose des défis environnementaux et philosophiques majeurs. L’empreinte écologique des centres de données, la consommation énergétique des modèles d’IA et l’exploitation des ressources nécessaires à leur fabrication sont autant de problématiques qui doivent être prises en compte. L’intelligence artificielle ne peut pas être pensée uniquement en termes de performance et de rentabilité, elle doit s’intégrer dans un cadre durable et respectueux des équilibres sociaux et écologiques.
Dans une lettre adressée à Emmanuel Macron, le Pape François a estimé que “l’amour vaut plus que l’intelligence”. À travers cette phrase, il a voulu souligner le fait que l’IA ne doit pas être un objectif en soi, mais un outil au service de l’humain. Face à cette révolution inévitable, l’Europe a une occasion unique de tracer une voie qui concilie innovation, souveraineté et éthique. Mais le reste du monde est déjà en marche, il faut donc agir sans tarder.
Qu’est-ce que l’intelligence artificielle ?
L’intelligence artificielle (IA) est un concept qui fascine autant qu’il inquiète. Souvent associée à des robots humanoïdes ou à des supercalculateurs capables de surpasser l’intelligence humaine, l’IA rassemble en réalité un ensemble de technologies qui permettent aux machines d’effectuer des tâches de manière automatisée.
L’IA repose sur des algorithmes, c’est-à-dire des suites d’instructions qui permettent d’analyser des données, de reconnaître des modèles et de prendre des décisions. Ces algorithmes peuvent être programmés de manière classique, avec des règles préétablies, ou apprendre par eux-mêmes grâce à des techniques comme le machine learning (c’est-à-dire l’apprentissage automatique). Ce dernier permet à une IA d’améliorer ses performances au fil du temps, en assimilant de nouveaux exemples et en ajustant ses réponses. L’apprentissage profond (c’est-à-dire le deep learning), une sous-branche du machine learning, va encore plus loin en s’inspirant du fonctionnement du cerveau humain à travers des réseaux de neurones artificiels capables de traiter des volumes gigantesques de données.
L’intelligence artificielle est déjà présente dans de nombreux aspects de notre quotidien, parfois sans que l’on s’en rende compte. Certains moteurs de recherche, les recommandations sur les plateformes de streaming, ou encore les assistants vocaux comme Siri ou Alexa reposent sur des modèles d’IA. Dans les entreprises, elle est utilisée pour optimiser les chaînes de production, améliorer la relation client ou encore analyser les risques financiers. Et dans des secteurs aussi sensibles que la santé, elle assiste parfois les médecins en aidant à poser des diagnostics plus précis grâce à l’analyse d’images médicales.
Il existe plusieurs catégories d’intelligence artificielle. On distingue l’IA faible, qui est spécialisée dans une tâche précise, comme reconnaître un visage sur une photo ou répondre à une requête vocale, de l’IA forte, une intelligence encore hypothétique qui serait capable de raisonner, d’apprendre et de s’adapter comme un être humain. Pour l’instant, toutes les IA développées sont des IA faibles, même si certaines, comme les modèles de langage avancés, donnent parfois l’illusion d’une réflexion autonome. Ce n’est pas le cas puisque les applications comme ChatGPT par exemple sont basées sur une quantité très importante de données, issue de tout l’Internet et qui leur permettent de fournir leurs réponses.
Les avancées en matière d’IA suscitent un débat autour de la souveraineté technologique. Aujourd’hui, les principales entreprises qui développent les IA les plus puissantes sont pour la plupart américaines, et parfois chinoises, ce qui place l’Europe dans une position de dépendance. C’est précisément cette réalité qui pousse la France et l’Union européenne à investir massivement pour combler leur retard et bâtir une industrie de l’IA capable de rivaliser avec les géants du secteur.
C’est pour cette raison qu’Emmanuel Macron a, lors du Sommet International sur l’IA à Paris dernièrement, vivement incité les Français et les Européens à télécharger et à utiliser l’IA intitulée Le Chat, développée par Mistral AI, plutôt que ChatGPT. Cette intelligence artificielle semble pour le moment être la seule en capacité de rivaliser avec ses grands concurrents internationaux. Car au-delà des prouesses technologiques, l’IA est aussi un enjeu stratégique, celui qui contrôle ces technologies contrôle une partie essentielle de l’économie et de la sécurité du futur.
Des investissements massifs en France et en Europe
Le sommet international sur l’intelligence artificielle qui s’est tenu à Paris les 10 et 11 février 2025 a marqué une étape clé dans la stratégie européenne pour rattraper son retard face aux États-Unis et à la Chine. Conscientes que l’IA sera au cœur des transformations économiques et industrielles des prochaines décennies, la France, et d’une manière plus globale l’Union européenne, ont décidé d’engager des investissements conséquents pour renforcer leur position dans ce domaine.
En France, Emmanuel Macron a annoncé un plan d’investissement global de 109 milliards d’euros, qui combine des financements publics et privés d’entreprises françaises et étrangères. Parmi les plus grands investisseurs, le fonds canadien Brookfield va par exemple injecter 20 milliards d’euros d’ici 2030, dont 15 milliards seront consacrés à la construction de nouveaux centres de données (appelés des data centers) via sa filiale Data4, dont le siège est à Paris. Les data centers sont l’un des éléments clés pour développer les capacités de calcul et de stockage indispensables aux avancées de l’IA. Un autre acteur majeur, le groupe américain Digital Realty, a prévu de construire 13 nouveaux data centers en France, notamment en région parisienne et à Marseille, avec un budget estimé à 6 milliards d’euros.
Le géant américain Amazon prévoit d’investir 6 milliards d’euros pour créer des centres de données et développer l’infrastructure cloud en France d’ici 2031. Le fonds Apollo prévoit, quant à lui, presque 5 milliards d’euros consacrés à de nouveaux programmes énergétiques.
Mais ce sont surtout les investissements venus du Golfe qui ont attiré l’attention. Les Émirats arabes unis ont annoncé des investissements de l’ordre de 50 milliards d’euros, avec pour objectif de construire un campus dédié à l’IA en France, qui comprendra un méga-centre de données. Ce campus sera le plus grand d’Europe consacré à l’intelligence artificielle.
Dans le même esprit, la société britannique Fluidstack prévoit d’installer un supercalculateur en France, avec un premier investissement de 10 milliards d’euros, destiné à concurrencer les capacités de calcul des grandes plateformes américaines et chinoises.
Et les entreprises françaises ne sont pas en reste, puisque nombre d’entre-elles ont annoncé des investissements, mais sans toutefois en dévoiler les montants. Emmanuel Macron a cité les noms d’Iliad, d’Orange et de Thales. La société Iliad, fondée par Xavier Niel, prévoit notamment plus de 3 milliards d’euros pour des data centers, mais aussi pour offrir aux abonnés Free Mobile la version pro de l’assistant Le Chat du Français Mistral AI. D’ailleurs, le patron de cette dernière, Arthur Mensch, a annoncé que de prochains investissements de plusieurs milliards d’euros sont prévus en Essonne et dans la Sarthe.
Les investissements dans l’IA se doivent d’être très importants, dans la mesure où son développement dépend de capacités de calcul gigantesques, qui nécessitent de lourdes infrastructures, et donc des investissements à cette hauteur.
L’ambition dans l’IA ne se limite pas à la France. En effet, l’Union européenne entend également se positionner en force sur ce marché. Lors du sommet, Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, a annoncé le lancement du programme InvestAI, qui vise à mobiliser 200 milliards d’euros dans le secteur (50 milliards de l’UE et 150 milliards de grands groupes), à accélérer le développement de l’intelligence artificielle et à favoriser l’émergence de champions européens.
Ce plan d’envergure s’articulera autour de plusieurs axes, dont l’un des plus importants sera l’investissement de 20 milliards d’euros dans les gigafactories. Cela passera aussi par une simplification importante du cadre réglementaire autour de cette nouvelle technologie, afin de favoriser l’innovation et son déploiement. L’objectif est bien sûr d’éviter que l’Union européenne ne devienne dépendante des technologies américaines et chinoises, et de favoriser l’émergence de leaders européens capables de rivaliser avec les géants du secteur.
Une compétition acharnée avec les États-Unis et la Chine
L’intelligence artificielle est aujourd’hui bien plus qu’une simple technologie émergente. En effet, elle est devenue un enjeu stratégique majeur, un levier de puissance pour les nations qui maîtrisent son développement et son déploiement. Dans cette course mondiale, les États-Unis, et la Chine dans une moindre mesure, occupent une position dominante, ce qui oblige l’Europe à accélérer ses investissements pour ne pas devenir dépendante de technologies étrangères.
Depuis plus d’une décennie, les États-Unis ont consolidé leur leadership dans l’intelligence artificielle grâce à leurs géants technologiques. Des entreprises comme Google, Microsoft, Meta, Amazon et Apple investissent massivement dans la recherche et développement, en s’appuyant sur des infrastructures colossales et un accès privilégié aux talents et aux données qu’ils possèdent en grande quantité. Ces dernières années, le rythme s’est même accéléré avec des dizaines de milliards de dollars d’investissements, ce qui a contribué à renforcer leur avance sur le reste du monde.
Cette domination repose aussi sur un écosystème dynamique, où les universités de pointe comme le MIT, Stanford et Berkeley collaborent étroitement avec les entreprises, ce qui favorise l’innovation et le déploiement rapide des avancées réalisées en matière d’IA.
Cela ne semblait pas suffisant pour Donald Trump, puisque le président américain a annoncé Stargate, un projet dans l’intelligence artificielle qui prévoit 500 milliards de dollars (environ 480 milliards d’euros) d’investissements. Cette initiative doit permettre de bâtir les infrastructures physiques et virtuelles pour porter la prochaine génération d’IA et créer plus de 100 000 emplois aux États-Unis.
Face à cette suprématie, la Chine tente de s’imposer comme un concurrent redoutable, en adoptant une stratégie offensive pour devenir la première puissance mondiale en intelligence artificielle d’ici 2030. Le gouvernement chinois a mis en place un plan national ambitieux, soutenant des entreprises comme Baidu, Alibaba, Tencent et Huawei, qui bénéficient d’un accès privilégié aux données de plus d’un milliard d’habitants. Pékin finance également des infrastructures gigantesques, avec la construction de supercalculateurs et de centres de recherche spécialisés. De plus, l’IA chinoise bénéficie d’un avantage stratégique, à savoir une réglementation plus permissive sur l’exploitation des données, qui lui permet d’entraîner des modèles à une échelle inégalée.
Dans ce contexte, l’Europe se trouve dans une position délicate. Elle est assez dépendante des technologies américaines, et peine encore à imposer ses propres champions du secteur. La majorité des modèles d’IA utilisés aujourd’hui, comme ceux d’OpenAI (qui a développé ChatGPT), de Microsoft ou de Google, sont développés hors du continent. Si des initiatives européennes émergent, comme Mistral AI en France, qui vient de lancer Le Chat, ou Aleph Alpha en Allemagne, elles restent encore plus ou moins distancées par leurs concurrents américains et chinois en matière de puissance de calcul et de capitalisation.
Cette situation pose un problème majeur de souveraineté. L’Europe ne peut pas se permettre d’être un simple consommateur de l’IA développée ailleurs, sous peine de perdre le contrôle sur des secteurs stratégiques comme la défense, la santé ou la finance, et d’une manière plus générale, sur l’économie dans sa globalité. Dépendre de technologies étrangères signifie aussi accepter des normes et des standards décidés par d’autres, avec des implications sur la gestion des données, la cybersécurité et la compétitivité des entreprises européennes.
Les investissements annoncés lors du sommet de Paris visent précisément à réduire cette dépendance. La construction de nouveaux data centers, le soutien aux startups locales et le programme européen InvestAI doivent permettre à l’Europe de regagner du terrain face aux États-Unis et à la Chine, voire même de les surpasser. Cependant, le chemin est encore long, la course à l’IA ne fait en réalité que débuter. Il faudra non seulement mobiliser des capitaux, mais aussi retenir et attirer les talents, favoriser la recherche et créer un cadre réglementaire attractif pour encourager l’innovation, sans freiner la compétitivité.
De nombreuses conséquences économiques
Les investissements massifs annoncés lors du sommet de Paris ne sont pas seulement une réponse à la compétition internationale. Ils visent aussi à préparer l’économie française, et par prolongement européenne, à l’impact considérable que l’intelligence artificielle aura sur tous les secteurs d’activité. En bouleversant les modes de production, en redéfinissant les métiers et en modifiant les chaînes de valeur, l’IA constitue un levier économique majeur. Si elle est bien maîtrisée, l’intelligence artificielle peut renforcer la compétitivité des entreprises françaises et européennes, mais si on rate le coche, on risque le déclassement.
L’une des premières conséquences de cette transformation est l’automatisation accrue dans de nombreux secteurs. L’IA permet d’optimiser des processus industriels, de réduire les coûts et d’accroître la productivité. Dans l’industrie manufacturière, par exemple, l’utilisation croissante de l’IA dans la robotique et la maintenance prédictive permet d’améliorer l’efficacité des usines. Le secteur des services n’est pas en reste. Dans la banque et l’assurance par exemple, les algorithmes remplacent de plus en plus les tâches répétitives, comme l’analyse des risques ou la gestion des dossiers. Cette mutation représente une opportunité pour les entreprises qui sauront s’adapter, mais elle pose aussi la question de l’évolution du marché du travail. De nombreux emplois traditionnels seront transformés, voire remplacés, ce qui va obliger les travailleurs à développer de nouvelles compétences pour rester employable sur le marché du travail.
Les économistes sont partagés sur l’impact de l’intelligence artificielle sur le marché du travail. Certains estiment qu’au final, il y aura davantage de créations d’emplois que de destructions, tandis que d’autres pensent qu’il faudra, par exemple, réduire le temps de travail pour éviter de trop grandes destructions.
Au-delà des gains de productivité, l’IA ouvre la voie à la création de nouveaux marchés. Les entreprises capables d’exploiter les avancées de l’IA pour proposer des services innovants bénéficieront d’un avantage stratégique. Dans la santé, par exemple, l’IA accélère la recherche médicale et permet des diagnostics plus précis grâce à l’analyse de données massives. Dans la logistique, elle optimise les flux de transport, ce qui permet de réduire les coûts et l’empreinte carbone. Ces avancées montrent que, si elle est bien employée, l’intelligence artificielle peut non seulement générer de la croissance, mais aussi répondre à des enjeux sociétaux majeurs.
L’intelligence artificielle a le potentiel de développer les secteurs économiques en permettant aux entreprises de prendre des décisions efficientes, et en optimisant les processus de production. L’IA peut être une vraie aide à la prise de décision, en accompagnant les travailleurs. Au-delà de cela, elle permet de réduire les erreurs et l’automatisation permet souvent d’améliorer les conditions de travail.
L’automatisation des tâches et des processus permet aux entreprises de fonctionner plus efficacement. Cela se traduit par un gain de temps, et donc davantage de croissance. De la même manière, l’IA peut aussi aider les entreprises à identifier de nouvelles opportunités commerciales et ainsi booster leur taux de croissance. À l’échelle de toute une économie, cela peut être significatif.
Cependant, ces promesses ne pourront être pleinement réalisées que si l’Europe développe une véritable autonomie technologique. Aujourd’hui, les entreprises européennes restent largement dépendantes des infrastructures et des logiciels américains, et dans une moindre mesure, chinois. La majorité des solutions d’IA utilisées en Europe sont développées par des acteurs étrangers, ce qui signifie que les données européennes sont traitées et stockées par des entreprises hors du continent. Cette dépendance constitue un risque économique et stratégique majeur, notamment en cas de tensions géopolitiques ou de changements réglementaires qui pourraient limiter l’accès à ces technologies.
Le défi pour l’Europe est donc multiple, à savoir investir dans des infrastructures numériques souveraines, comme les data centers et les supercalculateurs, tout en soutenant ses propres entreprises pour qu’elles deviennent des leaders de l’IA et ainsi ne pas dépendre de l’étranger. À cet égard, les investissements annoncés lors du sommet de Paris, autant en ce qui concerne la France, que le programme européen InvestAI, doivent permettre de structurer un écosystème compétitif capable de rivaliser avec les États-Unis et la Chine.
Enfin, l’intelligence artificielle pose aussi la question de la répartition des richesses. Si elle est maîtrisée par quelques grandes entreprises, elle risque d’accentuer les inégalités économiques, en concentrant les profits entre les mains de quelques acteurs dominants. À l’inverse, une stratégie européenne ambitieuse et équilibrée pourrait permettre une diffusion plus large des bénéfices de l’IA, en favorisant l’innovation locale et en soutenant les PME et startups qui jouent un rôle clé dans cette transformation.
Notre futur se joue maintenant : l’IA va révolutionner toutes nos sociétés
L’intelligence artificielle n’est pas seulement une révolution économique et technologique. Elle touche tous les aspects de nos vies et s’apprête à redéfinir en profondeur nos sociétés, nos modes de travail, notre rapport à l’information et même notre organisation politique. Face à ces bouleversements, l’Europe se doit de prendre des décisions stratégiques dès maintenant pour garantir son indépendance et préserver un modèle qui lui est propre.
L’un des premiers domaines transformés par l’IA est sans conteste le marché du travail. Avec l’automatisation des tâches et l’essor des intelligences conversationnelles, de nombreux métiers évoluent, tandis que d’autres disparaissent. Certains analystes estiment que l’IA pourrait remplacer jusqu’à 300 millions d’emplois dans le monde d’ici 2030, principalement dans les secteurs de la comptabilité, de la finance, du droit ou encore du journalisme. Mais elle ouvre aussi la porte à de nouvelles professions tels que des experts en IA, des ingénieurs en éthique algorithmique, des spécialistes de la cybersécurité, etc. Le sujet qui se pose est donc celui de l’adaptation. En effet, il va falloir former les travailleurs aux métiers de demain, mais tout en évitant un creusement des inégalités entre ceux qui maîtrisent ces nouvelles technologies et les autres.
L’IA transforme aussi profondément notre rapport à l’information et à la connaissance. Les algorithmes sont aujourd’hui capables de générer du texte, de traduire en temps réel, d’analyser des images ou des vidéos, et même de créer du contenu audiovisuel extrêmement proche de la réalité. Si ces avancées ouvrent des perspectives considérables en matière d’éducation ou d’accès à la culture, elles posent aussi des défis majeurs, notamment en ce qui concerne la manipulation de l’information, la prolifération des deepfakes et la difficulté croissante de distinguer le vrai du faux. Les États ont alors un rôle à jouer en affirmant un cadre juridique qui permette de contrôler ces outils, tout en évitant de freiner l’innovation.
Au-delà du travail et de l’information, l’intelligence artificielle pose la question de l’organisation sociale et politique. Dans certains pays, comme en Chine, l’IA est déjà utilisée pour surveiller les populations, analyser les comportements et prédire certains actes. Ce type d’utilisation soulève des interrogations sur les libertés individuelles et le respect de la vie privée. En Europe, la mise en place d’un cadre strict est mis en place pour éviter ces dérives, tel que le RGPD (Règlement général sur la protection des données), mais il faut aussi que le continent dispose de ses propres infrastructures pour ne pas être contraint d’utiliser des outils étrangers, soumis à d’autres logiques politiques et économiques.
C’est pour cette raison que les investissements actuels ne sont pas une simple question de compétitivité économique. Ils déterminent le modèle de société que nous voulons pour l’avenir. Une IA maîtrisée et développée en Europe peut permettre de garantir un respect des valeurs démocratiques et des libertés individuelles, ou de contribuer aux choix que nous prenons pour nous-mêmes et qui ne nous sont pas imposés. À l’inverse, une dépendance aux technologies américaines ou chinoises risque d’imposer des standards extérieurs, avec des implications profondes sur notre manière de travailler, d’apprendre et de vivre ensemble.
L’intelligence artificielle pose des questions éthiques, sociales et environnementales
Si l’intelligence artificielle ouvre des perspectives économiques et technologiques inédites, elle soulève également des interrogations majeures sur le plan éthique, social et environnemental. Son développement rapide et son intégration croissante dans nos sociétés posent des questions sur son encadrement, sur les inégalités qu’elle crées, sur la dégradation de l’environnement, ou encore sur le sujet des libertés fondamentales.
L’un des premiers enjeux est éthique. L’IA est aujourd’hui capable de prendre des décisions autonomes, parfois sans que l’on comprenne exactement avec quels mécanismes. Cela pose un problème fondamental de transparence et de responsabilité. Par exemple, qui est responsable lorsqu’une IA prend une mauvaise décision ? Comment garantir que les algorithmes ne reproduisent pas, ou même n’aggravent pas, certaines discriminations ? Plusieurs études ont montré que certaines IA de recrutement privilégient certains profils au détriment d’autres. La question des valeurs intégrées dans ces systèmes est donc cruciale, et il va falloir faire un choix entre privilégier des modèles régulés, au risque de ralentir l’innovation, ou laisser les entreprises développer leurs propres algorithmes, au risque de perdre le contrôle sur leurs impacts sociétaux.
Sur le plan social, l’intelligence artificielle risque d’exacerber certaines fractures déjà existantes. L’accès à ces technologies pourrait accentuer la division entre les pays et les classes sociales qui peuvent en tirer profit et ceux qui en sont exclus. De plus, la redistribution des richesses générées par l’IA est un défi majeur. Si quelques grandes entreprises accaparent la majorité des bénéfices, cela pourrait creuser davantage les inégalités économiques. Certains experts avancent déjà l’idée d’un revenu universel financé par les profits de l’IA, afin de compenser la disparition de certains emplois. Mais cette approche pose de nombreuses questions sur son financement et son efficacité réelle.
Enfin, l’impact environnemental de l’intelligence artificielle ne peut pas être ignoré. Contrairement à l’image immatérielle que l’on s’en fait souvent, l’IA repose sur des infrastructures physiques massives, notamment des data centers qui consomment d’énormes quantités d’électricité, mais également d’eau pour refroidir leurs serveurs. L’entraînement des modèles d’IA les plus avancés, comme ceux développés par OpenAI, requiert des puissances de calcul gigantesques, avec une empreinte carbone comparable à celle de milliers de foyers. De plus, la fabrication des semi-conducteurs nécessaires au développement de ces technologies repose sur des ressources rares, souvent extraites dans des conditions environnementales et sociales discutables.
Ces questionnements rejoignent une réflexion plus profonde sur la place de l’intelligence artificielle dans nos sociétés. Dans une lettre adressée à Emmanuel Macron le 11 février 2025, date du sommet, le Pape François a déclaré que “l’amour vaut plus que l’intelligence”, citant ainsi le philosophe français Jacques Maritain. Il a souligné la nécessité de replacer la technologie au service de l’humanité, et non l’inverse.
Le défi est donc immense pour concilier innovation et régulation, progrès technologique et respect des limites environnementales, puissance économique et justice sociale. L’Europe a un rôle clé à jouer en développant ses propres programmes, adaptés à sa conception des choses et à ses valeurs. Pour ne pas rater le train de cette innovation cruciale pour l’avenir, il faut agir maintenant.