Informations principales
Jean Fourastié est un économiste français né le 15 avril 1907 à Saint-Benin-d’Azy, dans le département de la Nièvre, en France et mort le 25 juillet 1990 à Douelle, dans le département du Lot, dans le même pays.
Jean Fourastié a été un auteur prolifique avec une quarantaine d’ouvrages publiés durant sa carrière. Il est notamment connu pour avoir inventé l’expression des « Trente Glorieuses » pour désigner la période prospère qu’ont connue la France et une grande partie des pays industrialisés entre 1947 (approximativement la fin de la Seconde Guerre mondiale) et 1973 (Premier choc pétrolier). Ce terme s’est ensuite généralisé au point d’entrer dans le langage courant. L’expression « Les Trente Glorieuses » est également le titre de son ouvrage, publié en 1979, sur l’exceptionnelle croissance de l’après-guerre.
Au-delà de sa célèbre expression, Fourastié est également connu pour ses travaux sur la productivité, les prix et sur le progrès technique. Selon lui, c’est ce dernier qui permet de comprendre et d’expliquer les mécanismes fondamentaux de l’économie (par exemple l’évolution de la production et de la population active, l’évolution des prix et de la rente, l’explication des crises et du chômage, la situation du commerce extérieur, etc).
Sur la base de ses travaux et de son optimisme technologique, Jean Fourastié a réalisé plusieurs anticipations. En effet, il a par exemple annoncé, dès 1945, qu’il y aurait dans le futur des semaines de 30 heures et des vies actives d’environ 35 ans. Il a également prédit que la société allait évoluer, de manière inéluctable, vers une civilisation de type tertiaire, c’est-à-dire une société dont l’économie est dominée par les services. En plus de cette vision économique, il espérait que le comportement moral des êtres humains progresserait également. Au-delà de la science économique, Fourastié s’intéressait davantage à l’Homme, ce qui l’a poussé à écrire plusieurs ouvrages de réflexion philosophique.
Jean Fourastié a été l’un des principaux créateurs du plan comptable des assurances (qui correspondait à toutes les règles et termes à utiliser pour la comptabilité), puis, en 1942, du premier plan comptable général en France.
En plus de sa carrière économique, Jean Fourastié a exercé de nombreuses responsabilités telles que commissaire contrôleur au Ministère des Finances, conseiller économique au Commissariat Général au Plan à la demande de Jean Monnet, vice-président du Comité des questions scientifiques et techniques à l’OECE (future OCDE), expert des Nations unies auprès du gouvernement mexicain et de la commission économique pour l’Amérique latine, éditorialiste au journal Le Figaro, ou encore professeur d’université.
Malgré ses travaux et ses nombreuses responsabilités, il n’a pas été reconnu comme un économiste majeur au niveau international. Il a cependant inspiré de nombreux responsables de politiques publiques en France.
La pensée de Jean Fourastié est basée sur les faits
Pour élaborer sa pensée économique, Jean Fourastié est parti des faits, et non pas des raisonnements théoriques. Pour connaître l’avenir, il a donc regardé les chiffres, les données statistiques, les ordres de grandeur, mais il a également pris en compte le passé, l’histoire économique et ce qui se passait dans les autres pays. C’est cette vision qui l’a poussé à faire d’importantes recherches sur le passé économique de la France, et plus particulièrement sur le développement et la généralisation des machines (c’est-à-dire le machinisme), ainsi que sur le bien-être. Il a aussi mené, avec ses collaborateurs, des recherches sur l’évolution des salaires, des revenus, des prix à long terme, etc.
À partir des données qu’il a récoltées, il a pu percevoir l’influence essentielle qu’avait eu le progrès technique sur l’évolution économique. Il a aussi constaté qu’il n’existait pas de mouvement général des prix, à l’inverse de ce que défendait la doctrine économique courante, mais qu’il y avait plutôt une évolution des prix différente selon les secteurs. Il explique que pour le secteur primaire (c’est-à-dire principalement l’agriculture), caractérisé par un progrès technique moyen, les prix baissent un peu à long terme par rapport aux salaires. Pour le secteur secondaire (c’est-à-dire principalement l’industrie), caractérisé par un progrès technique élevé, les prix baissent beaucoup. Et pour le secteur tertiaire (c’est-à-dire principalement les services), caractérisé par un progrès technique faible, voire nul, les prix suivent les salaires.
L’évolution de la population active, de la production, de la consommation et des prix étudiée par Jean Fourastié
Dans le raisonnement de Jean Fourastié, le progrès technique joue un rôle majeur. En effet, dès son ouvrage intitulé L’Économie française dans le monde, publié en 1945, il développe une théorie qu’il complétera ensuite durant toute sa carrière. Il va notamment étudier l’évolution de la population active, de la production, de la consommation, ainsi que celle des prix.
L’évolution de la population active
Jean Fourastié a constaté, grâce aux données collectées, que les progrès de l’agriculture avaient été importants depuis la fin du 17ème siècle. Il attribue ces progrès au machinisme, c’est-à-dire à la généralisation de l’utilisation des machines et des robots et aux nouvelles techniques agricoles qui ont permis de produire davantage, avec moins de travail. Concrètement, cela signifie qu’il faut moins d’agriculteurs pour produire davantage. Alors qu’en 1800, environ 65 % de la population active française travaillait dans l’agriculture, le taux a chuté à moins de 3 % après les années 2000.
Sur la base des chiffres auxquels il a eu accès, il a constaté qu’un agriculteur français, en 1851, pouvait nourrir quatre individus, de manière assez précaire, c’est-à-dire avec beaucoup de féculents (comme des pommes de terre, du riz ou du blé), peu de fruits et de légumes verts et peu de viande. Progressivement les décennies suivantes, jusqu’à aujourd’hui, le chiffre a nettement augmenté en passant à environ 60 individus nourris, de manière très correcte.
Dans la mesure où moins d’agriculteurs sont nécessaires, Jean Fourastié juge que les travailleurs ainsi libérés peuvent contribuer à la production industrielle. Cependant, avec l’effet du progrès technique, cette dernière connaîtra le même processus que l’agriculture et aura besoin de moins en moins de travailleurs, ce qui poussera ceux-ci à se tourner vers le secteur des services. Il estime que le renversement de situation a eu lieu entre les années 1930 et 1940. À partir des années 1940, la population active française s’est majoritairement tournée vers les services, au détriment de l’agriculture, puis de l’industrie.
Pour Fourastié, ces mouvements se passeraient peut-être de façon complexe et douloureuse, parce que cela implique pour les individus concernés de changer de métier, de résidence, etc, mais il estimait que la diminution du temps de travail pourrait servir de régulateur. En effet, il pensait que 1 200 heures par an et par travailleur suffiraient, au lieu de beaucoup plus précédemment. Ce nombre d’heures par an, pendant 35 ans, donne 40 000 heures de travail par vie. C’est ce qu’il explique dans son ouvrage intitulé Les 40 000 heures, publié en 1965.
Par ailleurs, Jean Fourastié a également mis en garde contre la quête permanente de gains de productivité, qui risque d’engendrer un chômage de masse. Ce dernier serait aussi lié au ralentissement de la consommation et de la croissance, situation inévitable sur le long terme.
L’évolution de la production
Grâce au progrès, notamment celui des techniques de production, les travailleurs peuvent produire davantage, ce qui permet d’expliquer, selon Jean Fourastié, les mouvements de la production. En effet, initialement, la production traditionnelle d’un pays est agricole, généralement celle de céréales (comme le blé par exemple) nécessaires à la survie des habitants.
Mais progressivement, la production agricole s’accroît et se diversifie, ce qui permet à l’industrie de se développer. En effet, les travailleurs passent de l’agriculture à l’industrie, ce qui permet une nette augmentation de la production industrielle.
À nouveau progressivement, sans que la production agricole et la production industrielle ne baissent pour autant, il va y avoir une diminution de la main-d’œuvre nécessaire dans ces secteurs. Cela laisse alors la place au développement du secteur des services, vers lequel une majorité de travailleurs se tourneront finalement.
L’évolution de la consommation
Jean Fourastié constate que la consommation suit la même trajectoire. En effet, il estime que le désir de consommation des individus est sans limites. Dans son ouvrage Le Grand Espoir du XXe siècle, publié en 1949, il explique que le grand espoir correspondait pour lui au fait que tous les individus mangeraient à leur faim et verraient même leur confort s’améliorer durant ce siècle, ce qui s’est au final réalisé. Alors qu’avant 1850, les individus ne pouvaient consommer qu’une nourriture limitée, à base notamment de féculents, ils peuvent désormais diversifier leur consommation en se procurant une alimentation variée et équilibrée et en achetant des produits manufacturés, ainsi que de nombreux services.
Depuis les débuts de la révolution industrielle au 19ème siècle, le progrès économique s’est accompagné d’une légère augmentation du revenu moyen. Cela signifie que chaque année, il faut de moins en moins de temps de travail pour acheter tel ou tel bien par rapport à l’année précédente. L’une des conséquences de l’élévation du niveau de vie moyen est que l’écart des revenus des individus de la société tend à se rétrécir, ce qui correspond, au final, à une réduction des inégalités.
L’évolution des prix
Toujours sur la base des données et des chiffres à sa disposition, Jean Fourastié a étudié l’évolution des prix. Afin de contourner la difficulté liée aux variations de la monnaie, il a décidé d’utiliser une unité qui est valable tout le temps et partout, à savoir le salaire horaire. Cette mesure par le salaire horaire permet de connaître l’évolution du pouvoir d’achat dans le temps, sachant que Fourastié juge que l’évolution du pouvoir d’achat dépend en grande partie des gains de productivité qui permettent de baisser le prix réel des différents biens et services. Il a donc comparé les prix nominaux au salaire horaire (total de base) de la même date et du même lieu, afin d’obtenir ce qu’il nomme le prix réel.
Grâce à cette méthodologie, il a découvert que lors d’une bonne année, vers l’an 1700, un kilogramme de blé coûtait 3 salaires horaires, ce qui signifie concrètement qu’il fallait 3 heures de travail pour acheter (ou pour produire) 1 kilogramme de blé. Dans les années 2010, un kilogramme de pain (du style baguette) valait environ 14 minutes de travail. Jean Fourastié a utilisé la même méthode et a rassemblé des milliers de séries de prix sur le long temps afin de montrer les effets du progrès technique sur les prix. Grâce à cela, il a prouvé que les prix réels d’une grande partie des produits agricoles et industriels ont baissé dans le temps, ce qui signifie une amélioration du pouvoir d’achat. Alors que dans le même temps, certains services, comme par exemple la coupe de cheveux, où les progrès techniques ont été pratiquement nuls, ont vu leur prix réel augmenté.
Le sujet de la croissance selon Jean Fourastié
Pour Jean Fourastié, la croissance ne peut pas être indéfinie. En effet, pour arriver à cette conclusion, il a étudié les chiffres et il a calculé qu’une croissance de 7 % par an, ce qui a été le cas en France pendant les Trente Glorieuses, aboutirait à une multiplication par deux du PIB en 10 ans. Si le même taux de croissance se maintient pendant 100 ans, alors cela signifierait que le PIB serait multiplié par 868 durant cette même période. Fourastié juge que cela est impossible en l’état actuel des connaissances.
Le rattrapage qui a eu lieu après la Seconde Guerre mondiale a dopé l’économie, mais le dynamisme économique change ensuite en fonction du niveau de développement. En effet, une fois l’équipement des ménages effectué, la phase de rattrapage laisse place à une phase de renouvellement, qui se traduit naturellement par un ralentissement de la consommation, et donc de la croissance économique.
Jean Fourastié pensait qu’il y avait trois phases économiques principales. D’abord, une vie traditionnelle, ensuite une période transitoire, et enfin, une civilisation technique avec un haut niveau de vie, mais dont la conséquence est une croissance faible, voire nulle. En effet, grâce à la hausse de la productivité agricole, un pays comme la France, qui arrivait à peine à nourrir sa population (et essentiellement à base de féculents et de blé) et où 80 % de la population active travaillait dans l’agriculture passe à une situation où la nourriture est riche et variée et où un petit nombre d’agriculteurs peut nourrir aisément tous les Français.
Cela implique une modification de la structure de la population active puisqu’une majorité de cette dernière qui travaillait dans l’agriculture bascule dans l’industrie. Toutefois, avec l’effet des progrès techniques, de moins en moins d’ouvriers sont nécessaires pour produire toujours plus de produits manufacturés. Pour Fourastié, le dernier stade correspond à la baisse de la population active industrielle au profit du secteur tertiaire, c’est-à-dire les services, secteur où peu, voire aucun progrès technique n’est possible. Cette situation aboutit donc à un ralentissement de la croissance économique.
Peu de temps après la fin de la Seconde Guerre mondiale, en 1949, Jean Fourastié anticipait déjà une période d’intense progrès technique, durant laquelle la croissance économique serait forte, ce qu’il a appelé ensuite les “Trente glorieuses”. Cette période serait suivie, selon lui, d’une civilisation tertiaire, dans laquelle il n’y aurait peu ou même aucun progrès technique et donc peu de croissance, mais avec un niveau de vie bien plus élevé.