Informations principales
Alexander Gerschenkron est un historien de l’économie américain, d’origine russe, né le 1er octobre 1904 à Odessa, alors dans l’Empire russe et mort le 26 octobre 1978 à Cambridge, dans l’État du Massachusetts, aux États-Unis.
En 1919, il a fui la Révolution russe pour Vienne en Autriche, où il a été formé par l’école autrichienne d’économie. Il a ensuite fui le nazisme en 1938 en se rendant aux États-Unis, où il finira finalement sa vie. Il a été naturalisé américain quelques années après, en 1948.
À partir de 1962 et durant environ 25 ans, il est professeur à l’université Harvard, où il enseigne l’histoire de l’économie et la soviétologie, c’est-à-dire l’historiographie de l’URSS.
Il a acquis sa notoriété pour ses travaux sur la théorie du développement, remettant notamment en cause la vision par étapes du développement économique de Walt Whitman Rostow.
Il est aussi connu pour l’effet Gerschenkron, qui démontre comment le changement de l’année de base (ou du volume de référence) d’un indice économique détermine le taux de croissance de cet indice.
Enfin, il a étudié la situation de la démocratie et de l’agriculture en Allemagne, en arrivant à la conclusion qu’il était nécessaire de supprimer le groupe social et économique des grands propriétaires terriens, dans le but d’assurer la paix mondiale. Gerschenkron suggère d’introduire plutôt un monopole gouvernemental sur le commerce de la majeure partie des produits agricoles du pays.
L’effet Gerschenkron
Alexander Gerschenkron, qui n’a pas oublié ses origines, a consacré une partie de ses recherches à l’histoire russe. En effet, ses premiers travaux ont porté sur le sujet du développement économique de l’Europe de l’Est et de l’URSS (Union des républiques socialistes soviétiques).
En 1954, Gerschenkron publie un article dans lequel il introduit l’effet Gerschenkron, qui correspond à la différence entre les indices de volume calculés de Paasche et de Laspeyres. Concrètement, en changeant l’année de référence d’un index, il est possible de déterminer la croissance de cet index. Dans cette étude, il construit une série d’indices en dollars de la production industrielle soviétique, dans le but de prouver les déficiences de l’indice soviétique officiel au cours de la période 1927-1937. Il a montré que le taux de croissance élevé de la production industrielle soviétique était dû à un biais dans le nombre d’indices. En effet, un indice Laspeyres calculé sur la base des pondérations de 1926-1927 surestime considérablement l’expansion réelle.
Cet effet Gerschenkron a été une découverte importante et a eu pour conséquence de dégonfler la croissance soviétique, qui était pourtant annoncée initialement comme supérieure. Son travail met donc en avant, en quelque sorte, les trucages statistiques des planificateurs soviétiques.
La théorie du développement d’Alexander Gerschenkron
En 1960, l’économiste américain Walt Whitman Rostow a publié son ouvrage intitulé Les étapes de la croissance économique, dans lequel il développe sa vision très linéaire et par étapes du développement économique des sociétés industrielles. Selon lui, ces sociétés suivent cinq étapes qui sont la société traditionnelle, les conditions préalables au décollage, le décollage, la phase de maturité et enfin, l’âge de la consommation de masse.
Tout en reprenant ce raisonnement, Alexander Gerschenkron a émis une critique sérieuse en montrant que les pays qui ont un développement plus tardif peuvent profiter de l’histoire des nations qui les ont précédés. Cela leur permet de connaître un rattrapage accéléré, et même parfois de sauter certaines étapes.
Deux ans après le livre de Rostow, Gerschenkron a publié, en 1962, son ouvrage intitulé Le retard économique dans une perspective historique, dans lequel il reformule la théorie du développement économique. En effet, selon lui, le développement économique se déroule bien dans un ordre relativement déterminé. Cependant, il complète le raisonnement en démontrant qu’il existe différents types de développement, lors de différentes périodes historiques. Par exemple, si à une même époque, il coexiste des pays avancés et des pays en retard (voire arriérés), alors ces derniers peuvent, en adoptant les avancées technologiques des premiers, éviter de franchir certaines des étapes que les pays avancés ont déjà passées. Pour illustrer son propos, il prend l’exemple de l’Union Soviétique ou du Japon de l’ère Meiji, qui ont eu des voies particulières d’industrialisation.
Toujours dans cet ouvrage, Alexander Gerschenkron estime que les problèmes de retard de développement ne concernent pas uniquement les pays les plus en retard, mais peuvent aussi concerner les pays avancés. Pour représenter son raisonnement, il prend l’exemple de la Russie soviétique. Il estime que si, en 1917, la révolution bolchévique a réussi, c’est parce que le servage et le désespoir des paysans russes (qui était à l’époque, la classe sociale la plus importante) n’ont pas été vaincus à temps.
Selon Gerschenkron, les économies les plus en retard se trouvent au début de leur décollage, même s’il ne définit jamais exactement comment se mesure le retard économique en question. Il a toutefois fait allusion à des facteurs proches tels que le revenu par habitant, le montant du capital social, l’alphabétisation, les taux d’épargne et le niveau de technologie. Il a également évoqué un axe nord-ouest/sud-est au sein de l’Europe, avec la Grande-Bretagne comme le pays le plus avancé, suivie par la Belgique, les Pays-Bas, la France, l’Allemagne, l’Autriche, l’Italie et, le plus arriéré, la Russie. Dans son analyse, il évoque principalement la Russie, l’Allemagne et la Grande-Bretagne.
Il juge que les conditions de décollage les plus certaines devaient intervenir durant la croissance. Par exemple, dans la mesure où la consommation est freinée en faveur de l’épargne et de l’investissement dans les pays les plus en retard, ils doivent encore plus s’appuyer sur les banques et utiliser d’autres moyens de mobilisations des investissements. Cela correspond, selon lui, à l’une des conditions qui doit favoriser le développement économique.
Pain et démocratie en Allemagne
Gerschenkron a publié, en 1943, un livre intitulé Pain et démocratie en Allemagne. Dans cet ouvrage, il analyse, dans ce pays, le problème de la relation entre la démocratie et la protection des produits agricoles, notamment des céréales. Il estime que l’instauration de la démocratie en Allemagne dépend de nombreux facteurs et il aborde plus particulièrement un aspect du problème, à savoir la position des Junkers (c’est-à-dire des grands propriétaires terriens) et la politique agricole par rapport à la démocratie.
Selon lui, tout commence en 1879 quand l’Allemagne a introduit un nouveau tarif et mis en place une politique précise qui protégeait la production céréalière nationale contre la concurrence étrangère. Cette politique a joué en faveur des Junkers, c’est-à-dire des grands propriétaires fonciers, qui occupaient des postes politiques importants dans le pays, ainsi qu’en faveur d’une grande partie des paysans allemands.
En 1926, soit huit ans après la défaite de l’Allemagne lors de la Première Guerre mondiale, Gerschenkron juge que les Junkers ont commencé à comploter contre les forces de la démocratie. Ils ont, selon lui, réussi à introduire une nouvelle ère de protection agricole accrue, ce qui a largement favorisé les Junkers et les paysans.
Sur la base de ce raisonnement, Alexander Gerschenkron en est arrivé à la conclusion que la reconstruction démocratique de l’Allemagne, dans le but d’assurer la paix mondiale, nécessite une élimination radicale des Junkers en tant que groupe social et économique. En plus de cela, il recommande une réforme agricole radicale. Pour parvenir au réajustement de l’agriculture et la placer sur une base compétitive, il suggère l’introduction d’un monopole gouvernemental sur le commerce de la majeure partie des produits agricoles en Allemagne. Avec la mise en place d’un monopole, le gouvernement pourrait établir une politique de prix qui obligerait un certain nombre d’agriculteurs à arrêter la production de céréales pour le marché et éventuellement à procéder à l’ajustement nécessaire d’une agriculture à coût élevé aux conditions du marché international.
Gerschenkron met également en garde contre les difficultés possibles liées à la création d’un monopole d’État. Il estime que la gestion du monopole nécessiterait une grande compétence pratique et une grande énergie. Il considère que les Allemands devraient inclure ce programme de plan d'ajustement agricole dans les traités de paix signés et confier sa supervision, mais également son exécution à une agence économique internationale.