Informations principales
Joseph Aloïs Schumpeter est un économiste et professeur en science politique autrichien, puis naturalisé américain, né le 8 février 1883 à Triesch dans l’Empire d’Autriche-Hongrie aujourd’hui disparu, et mort le 8 janvier 1950 à Salisbury, dans l'État du Connecticut, aux États-Unis.
Il est essentiellement connu pour ses théories qui concernent les fluctuations économiques avec les cycles économiques et le développement économique, l’innovation et la destruction créatrice. En effet, pour lui, le moteur du système est l’innovation et le progrès technique, et cela passe par une destruction créatrice.
Durant sa vie, il a travaillé comme avocat, professeur ou encore comme Ministre des Finances de manière très brève.
L’un de ses ouvrages le plus important est le livre « Histoire de l’analyse économique » publié en 1954. Dans cet ouvrage publié après sa mort à partir de ses notes, il y étudie toute l’analyse économique et les philosophies de l’Antiquité, jusqu’à sa mort en 1950. C’est en fait une socio-histoire de la pensée économique.
L’autre ouvrage majeur de sa carrière est le livre « Théorie de l’évolution économique » dans lequel il décrit les dynamiques et les lois qui régissent le changement économique.
Schumpeter n’est pas considéré comme un keynésien, et pas non plus comme un néoclassique. Il est rattaché à l’École autrichienne d’économie (même si certains économistes considèrent qu’il n’en fait pas partie).
Joseph Schumpeter a eu durant sa vie une réputation d’économiste qui bouscule la pensée économique établie. Il a notamment développé une théorie sur l’évolution du capitalisme dans la démocratie. Il estime le système capitaliste voué à disparaître pour des raisons sociales et politiques.
Par ailleurs, il développe généralement ses théories sur le temps long, parfois même au-delà de plusieurs années.
Les fondements de la pensée de Schumpeter
La pensée de Joseph Schumpeter est considérée comme étant hétérodoxe (c’est-à-dire comme n’étant pas conformiste), car il ne peut être rattaché entièrement à aucun mouvement de pensée ou école économique. Il a créé son propre système d’analyse avec des conclusions novatrices grâce à des influences diverses.
Schumpeter a commencé l’économie avec les enseignements néoclassiques qui sont fondés sur le marginalisme et l'emploi important des mathématiques. Il est donc attaché à la théorie de la valeur qui est basée sur l’utilité marginale.
Cependant, il a ensuite pris ses distances avec un certain nombre de concepts des néoclassiques, par exemple en contestant le réalisme du circuit statique. Il a également critiqué l’hypothèse d’une concurrence parfaite et le fait de recourir systématiquement aux mathématiques et aux raisonnements abstraits.
Pour lui, la science économique ne peut pas être correctement abordée sans s’ouvrir à d’autres domaines de connaissances, tels que l’histoire économique, les statistiques, la sociologie et la psychologie.
L’approche schumpétérienne des sciences économiques se veut holiste (c’est-à-dire qui part du collectif, et pas de l’individu), et en même temps individualiste.
Schumpeter peut parfois se montrer dans ses écrits élitistes, voire même snob, car il veut prouver la supériorité de son approche par rapport à celle des autres.
La vision schumpétérienne du capitalisme
Joseph Schumpeter est un grand défenseur du capitalisme.
La défense du capitalisme
Il considère que la civilisation du capitalisme est rationaliste et anti-héroïque, il juge stupides, ignorants ou irresponsables ceux qui sont contre.
Il rappelle dans ses travaux tous les changements et les progrès majeurs que le développement du capitalisme moderne a permis. Cela a entraîné de nombreuses réussites matérielles (en termes de production de richesses et de niveau de vie) et spirituelles.
En plus de la profusion des biens de consommation, le capitalisme a permis des victoires, par exemple sur des grandes maladies grâce à l’augmentation des moyens de l’hôpital moderne et en favorisant l’esprit scientifique. En effet, pour Schumpeter, le capitalisme a permis de stimuler le développement de la raison.
Enfin, grâce au capitalisme, il n’y a jamais eu autant de liberté (tant de corps que d’esprit), de tolérance pour les ennemis de chacun, des consciences des souffrances d’autrui et de solidarité sociale. Le capitalisme a donc permis aux démocraties de se développer.
Le processus de destruction créatrice, concept important de Joseph Schumpeter
Pour Joseph Schumpeter, tous les avantages qu’apporte le capitalisme ont un prix, celui du mouvement permanent, car pour lui, le capitalisme est un processus d’évolution. Il s’oppose alors aux autres économistes néoclassiques de son temps pour qui l’analyse est statique. Ces derniers avaient aussi une analyse approximative du statut et du rôle de l’entrepreneur alors que Schumpeter a développé une théorie cohérente fondée sur l’innovation et l’entrepreneur.
Le capitalisme est donc pour lui en évolution permanente. Cela se traduit de manière simultanée, par des créations et des destructions, c’est ce qu’il appelle le processus de destruction créatrice. Pour lui, à partir de l’ancien, quelque chose de nouveau ne peut pas sortir. En effet, cela apparaît plutôt à côté de lui et en lui faisant de la concurrence jusqu’à le ruiner. Cela provoque une modification de toutes les situations de sorte qu’il faille un processus de mise en ordre. Le progrès économique passe par des bouleversements.
Pour illustrer sa théorie, Schumpeter prend l’exemple du chemin de fer qui a énormément modifié l’économie. Cela a entraîné une nouvelle demande, ce qui a permis de stimuler les investissements et de créer beaucoup d’emplois. Il y a donc bien eu une création de nouvelles richesses. Mais en même temps, l’apparition du train a forcé la disparition, entre autres, du système des courriers à chevaux qui existait depuis des siècles. Cette disparition a provoqué la perte de nombreux emplois dans le métier concerné et ceux qui y étaient rattachés. Il y a donc eu à la fois création et destruction de richesses. Mais pour Schumpeter, le bilan est positif, car depuis la Révolution Industrielle, la demande de travail a largement dépassé la perte de travail.
Plus largement, le capitalisme pourrait éliminer la pauvreté grâce à l’apparition de nouveaux biens de consommation ainsi que l’augmentation du revenu réel. Néanmoins, le chômage ne peut pas être évité à cause des mouvements permanents.
Schumpeter nuance aussi les avantages liés à la création de nouveaux emplois dans la mesure où le marché du travail a un fonctionnement imparfait. Ceux qui sont embauchés dans une nouvelle industrie ne sont pas forcément ceux qui ont été licenciés dans l’industrie traditionnelle.
De plus, pour lui, les effets du processus de destruction doivent être pris en compte sur le temps long, et pas seulement sur une branche d’activité, mais pour toute l’économie dans son ensemble. Il ne faut donc pas regarder comment le capitalisme gère les structures existantes, mais comment il les crée et détruit.
La relation entre l’innovation et l’entrepreneur décryptée par Schumpeter
Joseph Schumpeter n’a pas inventé le caractère dynamique du capitalisme (c’est Marx), mais il a apporté des explications à cette dynamique.
L’innovation
Pour lui, le processus d’évolution n’est pas lié aux mouvements de population, de capital ou aux perturbations du système monétaire. Ce qui donne son impulsion au capitalisme est l’innovation. Cependant, il ne faut pas confondre une innovation avec une invention ou un développement technologique. Pour Schumpeter, une innovation correspond à l’exécution de nouvelles combinaisons productives. L’exécution en question va avoir des conséquences qui vont modifier la structure et le fonctionnement d’une branche d’activité, ou de toute l’économie.
Schumpeter a alors défini cinq situations innovantes. La fabrication d’un nouveau bien qui n’est pas familier aux consommateurs ou avec une nouvelle qualité, l’introduction d’une nouvelle méthode de production (telle qu’un développement technologique ou l’introduction de nouveaux procédés commerciaux), l’ouverture de nouveaux débouchés (c’est-à-dire d’un marché où la branche industrielle n’était pas encore), la conquête d’une nouvelle source de matières premières ou de produits semi-ouvrés, et enfin, la réalisation d’une nouvelle organisation (telle que la création d’un monopole ou son apparition de manière brusque).
Schumpeter considère qu’une innovation peut concerner les biens de consommation, mais également l’accès à de nouveaux clients, les méthodes de production et de transport ou encore les types d’organisation. Cependant, pour lui, l’innovation est davantage une modification qualitative, que quantitative. Il n’explique pas la dynamique capitaliste à partir du capital et des flux financiers, mais à partir de l’introduction de nouvelles technologies ou organisations. Aucun modèle mathématique n’est alors en mesure d’évaluer correctement l’innovation.
Schumpeter tient à insister sur le fait que l’innovation est un phénomène important et puissant, ce qu’il appelle le choc des innovations. Ce dernier est à l’origine du processus de destruction créatrice. Ce choc vient de l’utilisation des ressources existantes et des combinaisons innovantes. Cela permet de révolutionner de l’intérieur la structure économique. Pour lui, seul ce schéma peut expliquer correctement le profit, l’intérêt, les crises, l’expansion et la dépression dans le système capitaliste, ainsi que d’autres phénomènes.
L’entrepreneur
Pour Joseph Schumpeter, la dynamique économique repose sur un nouveau type d’agent économique lié à l’innovation, c’est-à-dire l’entrepreneur.
L’entrepreneur selon Schumpeter
Pour lui, un entrepreneur correspond à tout agent qui exécute de nouvelles combinaisons. Il ne faut pas le confondre avec un dirigeant qui ne fait que gérer une entreprise. Il fait aussi une opposition entre l’entrepreneur qui innove et le gestionnaire qui administre. N’importe quel individu peut être un entrepreneur du moment qu’il introduit une innovation qui est susceptible de modifier l'état d’équilibre d’une industrie ou d’un secteur d’activité.
Schumpeter fait également une différence entre le capitaliste qui est rémunéré sur le risque qu’il prend en tant qu’actionnaire (donc en tant qu’apporteur de fonds), et l’entrepreneur qui est rémunéré sur sa capacité à transformer l’innovation en avantage compétitif pour permettre à l’entreprise d’avoir une avance sur la concurrence. Pour lui, l'état d’entrepreneur est temporaire et fragile contrairement à celui du capitaliste. Le dynamisme du capitaliste peut s’expliquer par l’existence d’un groupe d’entrepreneurs, mais ce n’est pas une classe figée dans le temps. Chaque individu peut être un entrepreneur à un moment de sa vie, mais ce ne sont pas toujours les mêmes personnes qui le sont, ce qui empêche la formation d’une classe privilégiée. Pour Schumpeter, un individu qui a entrepris finit par se démotiver et par être dépassé par d’autres.
Il y a donc un mouvement permanent d’ascension et de déclassement, ce qui est fondamental dans son analyse du capitalisme. Ce dernier et la concurrence permettent ces ascensions et ces déclassements. À travers ce raisonnement, Schumpeter contredit le schéma marxiste, selon lequel la lutte des classes explique l’évolution des sociétés.
D’un côté, l’agent économique qui provoque les transformations économiques n’est pas le capitaliste, mais l’entrepreneur qui n’est pas forcément propriétaire des moyens de production. De l’autre côté, il n’y a pas de séparation particulière entre les entrepreneurs et les autres agents économiques. Pour illustrer son raisonnement, il prend pour exemple un hôtel qui est toujours plein, mais dont la clientèle change tout le temps.
Les qualités et les motivations de l’entrepreneur
Pour Joseph Schumpeter, l’entrepreneur doit avoir certaines qualités. Il doit avoir une énergie hors du commun, il faut qu’il échappe au poids de la tradition et de l’habitude, il doit avoir une liberté d’esprit en se dégageant du temps et de l’espace pour mener à bien ses projets, il doit avoir beaucoup de volonté pour aller de l’avant seul et il doit aller contre les résistances et l’insécurité.
Pour Schumpeter, l’entrepreneur est l’agent exclusif du progrès économique. Dans la lancée, il a également analysé les motivations de l’entrepreneur. Il rejette les théories classiques, néoclassiques et marxistes. Pour lui, le profit et l’enrichissement personnel ne sont que les conséquences de l’innovation, et non pas leur moteur. Penser qu’un entrepreneur ne cherche que son enrichissement personnel est simpliste. Pour Schumpeter, il faut chercher en dehors du champ économique. Pour cela, il fait appel à la psychologie et à la sociologie. Les motivations de l’entrepreneur seraient donc le rêve et la volonté de fonder en quelque sorte un royaume privé, la volonté de lutter et de remporter le succès, la joie de créer une nouvelle forme économique et la volonté de s’élever socialement.
Dans tous les cas, l’innovation portée par l’entrepreneur est à l’origine du processus de destruction créatrice, qui est la caractéristique pour Schumpeter du capitalisme.
L’analyse du profit
Malgré le fait que l’objectif financier n’est pas l’unique motivation de l’entrepreneur, la notion de profit reste importante pour Schumpeter dans le processus capitaliste. Il associe le profit avec l’innovation.
Pour lui, le profit est le rendement qui est dégagé par l’entrepreneur. Cela est possible parce qu’il a réussi à obtenir un avantage compétitif grâce à l’innovation qu’il a introduit dans son industrie. Cela lui permet de prendre de l’avance sur la concurrence, soit parce que les ventes sont supérieures, soit parce que la productivité est meilleure. Cette rente d’innovation ne rémunère donc pas une expropriation de valeur comme pour les marxistes, ni le risque pris par le capitaliste comme pour les classiques. Dans la théorie de Schumpeter, le profit récompense la volonté et l’énergie qui permettent l’exécution de nouvelles combinaisons. De plus, le profit de l’entrepreneur est d’autant plus légitime qu’il doit commencer par créer un marché et attirer les consommateurs.
Pour Schumpeter, les innovations ne résultent pas de l’apparition de nouveaux besoins de la part des consommateurs, ce sont les producteurs qui éduquent les consommateurs et qui créent finalement de nouveaux besoins. Il est donc normal que l’entrepreneur soit rémunéré pour ses efforts.
Néanmoins, l’avantage compétitif qui est constitué grâce à l’introduction de l’innovation ainsi que le profit qui en découle sont seulement temporaires, car l’entrepreneur doit faire avec la modification permanente des goûts et la lassitude des consommateurs.
En même temps, dans un milieu concurrentiel, une innovation qui a du succès favorise la multiplication des compétiteurs qui veulent eux aussi leur part du gâteau. La rente d’innovation finit alors par disparaître.
Concernant l’entrepreneur, sa motivation se réduit au fur et à mesure que sa réussite augmente et que ses revenus progressent. Pour Schumpeter, il est rare qu’un agent économique innove tout au long de sa vie professionnelle.
Le rôle du crédit et du capital selon Joseph Schumpeter
L’effort de l’entrepreneur est récompensé, au moins temporairement, par le profit. Mais avant, il faut pouvoir mobiliser des financements pour pouvoir innover.
Pour Joseph Schumpeter, sans le crédit, la dynamique capitaliste ne pourrait pas fonctionner.
Le crédit agit comme un levier, et donc comme le véritable moteur de l’évolution et du développement. Il correspond à un nouveau pouvoir d’achat qui est introduit dans l’économie pour financer l’évolution. Pour lui, il est réellement nouveau parce que ce n’est pas, par exemple, des prélèvements sur l’épargne actuelle, mais c’est une avance sur des revenus qui n’existent pas encore et qui seront dégagés uniquement au moment de l’exécution, de la part de l’entrepreneur de nouvelles combinaisons productives. Le crédit alimente donc directement la dynamique économique.
Dans la lignée du crédit, Schumpeter a aussi développé les notions d’intérêt et de capital.
Pour lui, l’intérêt est le coût du crédit qui correspond à un prélèvement sur le profit qui est réalisé par l’entrepreneur.
Le capital quant à lui correspond à l’ensemble des ressources monétaires (peu importe leurs origines) qu’une entreprise investit dans l’outil industriel et dans l’introduction de l’innovation. Schumpeter s’oppose donc à la vision traditionnelle, selon laquelle le capital correspond aux ressources apportées par l’actionnaire (en opposition avec le crédit qui est apporté par les banques).
Il a également développé la notion de création de valeur. Une entreprise qui innove a un avantage compétitif qui lui permet de dégager un excédent temporaire de la recette sur le coût de la production. Cet excédent va alors couvrir le coût du capital. Cela correspond finalement au surprofit, ou profit économique.
La théorie des cycles de Schumpeter
Joseph Schumpeter a contribué à établir les bases de l’analyse des cycles.
Explication des cycles et lien avec l’innovation
Selon lui, les cycles sont comme des variations périodiques de conjoncture, c’est-à-dire qu’après une phase d’expansion vient de manière inévitable une phase de recul. Il y a un mouvement ascendant, puis descendant, puis à nouveau ascendant, etc. Cela ne signifie pas que l’équilibre économique atteint à la fin d’un cycle est le même que celui qui existait au début de ce même cycle. Au contraire, Schumpeter est convaincu que sur le long terme, le capitalisme favorise la progression du niveau de richesses de la société.
Il propose une analyse nouvelle afin d’expliquer ces cycles. Pour lui, l’introduction d’une innovation vient perturber une industrie en modifiant les conditions de développement et de rentabilité. Une phase de croissance démarre étant donné que l’arrivée de l’innovation permet de réaliser des profits qui attirent beaucoup d’entrepreneurs et qui vont alors dynamiser toute l’économie. Cela a pour conséquence d’intensifier la concurrence et donc de réduire progressivement les avantages compétitifs et les profits des entrepreneurs. Une phase de réorganisation démarre durant laquelle de nombreuses entreprises vont disparaître et où l’activité économique va ralentir.
Pour Schumpeter, les cycles dans une économie capitaliste ne peuvent pas être évités, et les récessions sont même nécessaires puisqu’elles ne sont que le reflet de la réorganisation, suite à la perturbation de l’économie durant la phase d’essor.
Par ailleurs, il a cherché à comprendre pourquoi les phases de croissance n’apparaissent qu’à certaines périodes et pas tout le temps. Pour expliquer cela, il a soutenu que les grandes innovations n’apparaissent pas en permanence, mais de manière discontinue. Quand une innovation majeure arrive, elle entraîne avec elle toute une série d’innovations liées qui vont à leur tour stimuler l’ensemble de l’économie.
Schumpeter fait également une distinction entre une récession et une crise qui sont deux phénomènes différents pour lui. Une récession est une étape normale dans le déroulement d’un cycle, et ses effets négatifs sont généralement limités. Une crise au contraire est un phénomène beaucoup plus profond et anormal qui est lié à l’aggravation des effets d’une récession. Cela vient notamment des réactions psychologiques de certains agents économiques ou de mouvements boursiers irrationnels. En effet, pour Schumpeter, les phases de contraction de cycles peuvent provoquer des inquiétudes psychologiques, autant chez les pauvres que les riches pour qui la récession peut paraître être la fin du monde. Le comportement des agents renforce la réalité des difficultés engendrées.
L’analyse des cycles longs
Joseph Schumpeter est le premier à avoir réalisé une analyse cohérente des cycles longs, appelés cycles de Kondratieff. Pour Schumpeter, trois cycles se superposent et permettent d’expliquer, essentiellement, l’évolution de la conjoncture. Ce sont les cycles de Kitchin qui durent environ 40 mois, les cycles de Juglar qui durent entre 8 et 10 ans et les cycles de Kondratieff qui durent environ 50 ans.
Concernant les cycles de Kondratieff, Schumpeter confirme qu’il existe des cycles de longue durée depuis la Révolution Industrielle. Pour lui, ils ont commencé lors de l’apparition d’innovations majeures dans l’économie. Il qualifie ces cycles de grandes révolutions industrielles récurrentes. Il y a le cycle de Kondratieff de la Révolution Industrielle (entre 1787 et 1842) lié aux innovations dans l’énergie à vapeur, le fer et le textile, le cycle de Kondratieff « bourgeois » (entre 1843 et 1897) lié au chemin de fer et à l’acier, et enfin, le cycle de Kondratieff « néo-mercantiliste » (entre 1898 et 1940) lié l’électricité, l’automobile et la chimie.
Néanmoins, avec le temps, la régularité de ces cycles n’a pas forcément été démontrée. De plus, Schumpeter reconnaît que d‘autres facteurs exogènes peuvent aussi influencer l’économie. Il les nomme fluctuations imprévues, stochastiques et saisonnières, c’est-à-dire le climat, le contexte géopolitique avec les guerres, et les cycles de produits agricoles.
Le schéma à trois cycles n’est pas suffisant pour expliquer à lui seul les évolutions de la conjoncture.
La critique du modèle de concurrence parfaite
Joseph Schumpeter s’est montré très critique envers le modèle de concurrence parfaite sur lequel s’appuie la théorie néoclassique.
L’innovation et la concurrence
Pour lui, ce type de concurrence est abstrait et très rare.
Quand il y a une concurrence parfaite, la variation des prix et des volumes est au final le seul facteur d’ajustement. Pour Schumpeter, c’est trop réducteur puisque dans l’économie réelle, la concurrence se fait également sur les aspects techniques, sur l’innovation, sur les actions commerciales, ou encore sur les modes de production.
Alors que les théoriciens orthodoxes voient la concurrence comme un espace économique dans lequel les agents producteurs sont identiques en ne pouvant se différencier que sur les prix. Schumpeter souligne que ces cas existent, mais qu’ils ne sont que marginaux ou transitoires. Pour lui, la concurrence ne vient pas de compétiteurs qui seraient similaires, mais de nouveaux acteurs qui modifient de manière radicale les règles de concurrence grâce à l’innovation, peu importe sa forme.
L’intérêt des pratiques restrictives sur le marché
Pour Joseph Schumpeter, les pratiques restrictives de marché ont un intérêt. Cela va à l’encontre de la vision des classiques pour qui la concurrence parfaite est toujours préférable à toute forme de limitation du marché.
Pour Schumpeter, dans une économie qui est engagée dans un processus de destruction créatrice, les pratiques restrictives sont courantes. Cela passe par des brevets, par le maintien des secrets de fabrication, par des contrats de longue durée, par des ententes sur les prix, etc. Tout cela vise à protéger l’avantage compétitif détenu. Pour lui, ces pratiques ne freinent pas le développement économique comme le pensent les néoclassiques, mais encouragent au contraire l’expansion économique. Elles permettent aux entreprises d’exécuter leur plan à grande échelle en décourageant la concurrence et en paralysant les rivaux. Avec ces pratiques, celui qui innove a un champ d'action qui s’ouvre devant lui, ainsi que du temps pour pousser ses avantages. L’entrepreneur peut espérer alors des profits suffisants pour rémunérer les efforts réalisés.
Schumpeter conteste aussi la théorie traditionnelle, selon laquelle la principale cause des crises serait les rigidités des prix. Pour lui, c’est le contraire, le refus de baisser les prix consolide la position des branches qui adoptent cette politique et permet d’éviter la désorganisation des marchés et donc les crises.
Pour Schumpeter, l’introduction de nouvelles méthodes de production et de nouvelles marchandises ne serait pas concevable si les innovateurs savaient dès le début qu’ils devaient prendre en compte les conditions de la concurrence parfaite. En effet, le modèle de concurrence pure et parfaite exclut la possibilité du maintien de l’avantage compétitif.
Les situations de monopole
Dans la théorie classique, le prix d’un monopole est plus élevé et la production inférieure que dans un univers concurrentiel. Cependant, Schumpeter dit que cela est correct uniquement si la méthode et l’organisation de la production restent identiques, ce qui n’est pas le cas dans l’économie réelle. Certains avantages ne sont garantis qu’aux entreprises dominantes. De plus, contrairement aux idées reçues, se trouver dans une situation de monopole n’est pas forcément facile, car il faut non seulement l’acquérir, mais ensuite la conserver. Le principal avantage d’être dans une situation de monopole pour Schumpeter est d’être en quelque sorte protégé contre la désorganisation temporaire du marché, et le fait de pouvoir réaliser un programme sur le long terme.
En revoyant l’histoire, il constate que beaucoup d’innovations majeures ont été introduites par des monopoles ou des entreprises dominantes dans leur industrie. Pour lui, il n’a pas été démontré que le taux de croissance d’une économie diminue si les grandes entreprises se multiplient.
Les monopoles, ainsi que les grandes entreprises ont d’autres avantages. C’est par exemple une meilleure résistance aux différentes perturbations économiques qui sont provoquées par l’innovation et également les situations de ralentissement conjoncturel. Pour Schumpeter, les premières victimes des récessions qui sont provoquées par la diffusion d’innovations dans une industrie sont les nouvelles sociétés qui ont contribué ou profité de l’apparition de ces mêmes innovations.
La dynamique du capitalisme favorise et se nourrit simultanément des situations de monopole, mais sans pour autant que les progrès économiques soient remis en cause. La concurrence parfaite n’est pas réalisable, mais en plus, elle n’est pas un modèle idéal d’efficience.
Après la vision économique, la vision politique de Schumpeter
Joseph Schumpeter a une vision de l’économie qui trouve une conclusion politique. Pour lui, les succès du capitalisme conduiront finalement à sa destruction.
Les fragilités du capitalisme
Pour Schumpeter, le capitalisme est en même temps un système (c’est-à-dire une forme d’organisation économique) et un ordre (c’est-à-dire une civilisation qui repose sur des institutions, des mentalités et des valeurs).
Du point de vue du système, le capitalisme ne risque rien (contrairement à ce que pense Marx). Pour lui, il n’y a pas de contradictions économiques, le système capitaliste ne peut pas s’écrouler de lui-même, car il est puissant, avec une capacité d’adaptation qui lui confère une stabilité et une force qui assurent sa pérennité.
Le problème vient plutôt de l’ordre pour Schumpeter. En effet, les changements psychologiques, politiques, éthiques et sociologiques vont détruire cet ordre et entraîner le système avec lui. Il pense qu’une fois le capitalisme détruit, il sera remplacé par une forme de socialisme.
Schumpeter a cette analyse parce que pour lui, le capitalisme détruit ses propres institutions, et il favorise, voire même, encourage l’hostilité de plus en plus importante qu’il suscite.
Le capitalisme présente de nombreux signes d’affaiblissement, tels que la réduction du nombre d’entreprises, la bureaucratisation, le tarissement des opportunités d’investissement, ou encore la dépersonnalisation de la propriété des moyens de production. En plus de cela, le capitalisme crée une mentalité et un style de vie qui ne sont pas compatibles avec les conditions même de sa régénération et de sa survie. Le capitalisme provoque de l’instabilité et l’innovation entraîne du chômage, ce qui génère un climat d’insécurité. Plus le niveau de vie et les acquis sociaux progressent, et moins ce climat d’insécurité est toléré. Les individus vont vouloir un système plus stable afin de protéger leurs acquis, même si le capitalisme à long terme aurait été préférable. Les citoyens vont demander de plus en plus d’État, ce qui va amener progressivement au socialisme.
Schumpeter développe une théorie alternative de la démocratie
Pour Schumpeter, le capitalisme est voué à s’effondrer pour être remplacé par le socialisme. Pour lui, le socialisme et la démocratie sont compatibles si on analyse ce que définit la notion de démocratie dans un monde moderne.
Les critiques de la démocratie
Pour lui, l’idéal démocratique n’est pas un idéal absolu, il existe des idéaux plus importants. Une société démocratique ne signifie pas forcément liberté et égalité pour tous dans la mesure où dans certaines d’entre elles, il y a des répressions et des persécutions.
Contrairement aux classiques, il pense que le bien commun, qui serait le reflet d’une vision partagée par tous les citoyens, n’existe pas. Chaque personne a des idées, des souhaits et des perceptions politiques différents. Et même si tout le monde avait une vision identique, il n’y aurait pas forcément d’accord sur les moyens pour y parvenir.
Il ne partage pas non plus la notion de volonté du peuple contenue dans l’idéal démocratique, car le peuple en question n’a jamais de volonté commune et uniforme sur tous les sujets politiques. De plus, les citoyens n’ont pas forcément une vision claire dans laquelle ils veulent que la société aille, sans compter que pour lui, un citoyen n’est pas forcément rationnel.
Schumpeter critique aussi la notion de démocratie représentative. Pour lui, les partis politiques et les acteurs de la vie politique ne représentent au final qu’eux-mêmes, et non pas le peuple.
Pour remédier à son analyse, Schumpeter propose une définition alternative de la démocratie.
Une définition alternative de la démocratie
Pour Schumpeter, la démocratie est une méthode qui sert à sélectionner et à déterminer ceux qui seront appelés à gouverner et à diriger le peuple. Le Gouvernement doit être choisi par le peuple. Ce dernier ne commande pas, mais sélectionne ceux qui vont le commander. La démocratie doit être un espace dans lequel s’exerce la concurrence entre seulement quelques individus qui essayent de recueillir le plus de suffrages de la part des électeurs. Le Parlement légifère et administre, mais c’est d’abord une zone d’affrontement où les élus se combattent pour accéder ou se maintenir au pouvoir.
Schumpeter reconnaît au système démocratique le fait que les règles de concurrence électorales sont connues et délimitées. Il regrette cependant que le processus de l’élection ne favorise que les décisions à court terme, au détriment des intérêts à long terme du pays.
Joseph Schumpeter pense quand même que le socialisme peut fonctionner selon les principes démocratiques, étant donné que pour lui, la démocratie signifie seulement que le peuple accepte ou écarte les individus appelés à gouverner. Il est possible d’avoir en même temps un processus de sélection des gouvernants et un transfert de l’activité économique du privé vers le public. Cela nécessite quand même une bonne qualité du personnel politique, une limitation du domaine d’intervention des décisions politiques, une certaine efficacité de la bureaucratie et enfin, un autocontrôle démocratique qui permettrait d’éviter les dérives de la centralisation de l’État.
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