Informations principales
Paul Sweezy est un économiste américain d’influence marxiste, militant politique, éditeur, et fondateur du magazine socialiste Monthly Review, né le 10 avril 1910 à New-York, aux États-Unis et mort le 27 février 2004, dans la même ville.
Il est essentiellement connu pour ses contributions à la théorie économique. En effet, il s’est principalement concentré à appliquer l’analyse marxiste aux tendances dominantes du capitalisme moderne qu’il a identifiées, à savoir la financiarisation, la monopolisation et la stagnation. De plus, il a également renouvelé l’interprétation de la valeur et des prix.
Paul Sweezy a donc été un important théoricien de l'économie marxiste, mais il s’est en même temps montré assez peu orthodoxe. En effet, au début de sa carrière, il avait des inspirations libérales et néoclassiques, avant de finalement s’orienter vers le socialisme et le marxisme. Son objectif a alors été de rendre ce dernier respectable dans les milieux académiques.
Il est considéré comme l’un des économistes marxistes les plus importants de la seconde moitié du 20ème siècle grâce à son ouvrage La théorie du développement capitaliste, publié en 1942. Joseph Schumpeter, dont il était ami, considérait que cet écrit était la meilleure introduction à la théorie de Karl Marx.
Paul Sweezy : une vie de combats
Les nouvelles opinions de Paul Sweezy orientées vers le marxisme lui ont coûté cher. En effet, on lui a fait comprendre qu’il n’avait aucune chance d’obtenir un poste permanent en raison de cela, ce qui l’a poussé à renoncer à sa carrière universitaire. Il a pu prendre cette décision grâce à l’héritage laissé par son père. Également en partie grâce à cet argent, il fonde avec son ami Leo Huberman, la Monthly Review, un magazine socialiste et marxiste, qui deviendra ensuite, avec sa maison d’édition associée Monthly Review Press, l’un des principaux promoteurs de la pensée socialiste aux États-Unis, mais tout en conservant son indépendance vis-à-vis de tous les partis et lignes politiques.
Lors de la répression menée par des commissions parlementaires américaines à l’encontre des communistes et de leurs sympathisants pendant la guerre froide, Paul Sweezy a été condamné et brièvement emprisonné en 1954 pour outrage au tribunal, pour avoir refusé de répondre aux questions du procureur général sur ses activités et ses convictions, ainsi que sur celles de ses amis. Néanmoins, la Cour Suprême annule finalement sa condamnation en 1957, ce qui fera jurisprudence concernant les questions de liberté académique.
Dans les années 1960, la contestation aux États-Unis de la guerre du Vietnam a favorisé l’émergence de la « nouvelle gauche », c’est-à-dire l’émergence d’un ensemble de mouvements de gauche et d’extrême gauche. Paul Sweezy et la Monthly Review, qu’il a cofondée, ont été des inspirateurs de l’Union for Radical Political Economics, créée en 1968, organisation d’universitaires et de militants dont la mission était de promouvoir l’étude, le développement et l’application de l’analyse économique politique radicale aux problèmes sociaux. Le but de cette organisation était aussi de contribuer à la construction d’une politique sociale progressiste, et d’apporter une alternative radicale centrée sur l’humain.
Pendant environ une dizaine d’années, l’économie hétérodoxe et radicale a été populaire, avant d’être marginalisée par la vague néolibérale. Mais Paul Sweezy n’a ensuite jamais arrêté son combat, le poursuivant à travers l’écriture et la gestion de sa revue, et cela, jusqu’à son décès. Durant cette période, il était considéré comme le doyen des économistes radicaux.
Le capitalisme monopoliste analysé par Paul Sweezy
Paul Sweezy était persuadé que l’œuvre de Karl Marx était un apport indispensable pour comprendre les économies capitalistes. Toutefois, cela ne signifie pas non plus qu’il ait été un marxiste orthodoxe. En effet, au-delà de Marx, il a également été influencé par John Maynard Keynes, qu’il considérait comme un défenseur du capitalisme et un économiste néoclassique, ainsi que par Joseph Schumpeter, dont il était un ami, mais que tout séparait d’un point de vue politique. Il a aussi assimilé à sa vision économique les études de Thorstein Veblen et de Michal Kalecki.
Autant grâce aux travaux de ces derniers, que de son observation du capitalisme contemporain et des études historiques, il est devenu convaincu que le développement des monopoles engendrait une profonde transformation au niveau de la structure et du fonctionnement des économies capitalistes. Alors que Marx et ses partisans, entre autres, envisageaient une fin prochaine du capitalisme concurrentiel, la fin du 19ème siècle a vu, à l’inverse, naître une nouvelle étape, celle du capitalisme monopoliste.
Les mécanismes en présence dans cette nouvelle phase sont très différents de ceux du capitalisme concurrentiel. Dans le livre qu’il a publié en 1966 en collaboration avec Paul Baran, intitulé Le capital monopoliste, un essai sur la société industrielle américaine, Paul Sweezy cherche à décrypter ces mécanismes, en associant deux volets de la réflexion marxiste qui étaient jusque-là séparés. Ces deux volets sont l’étude de la centralisation et de la concentration du capital d’un côté, et l’étude des crises d’un autre côté. Pour cela, il se base sur une interprétation renouvelée de la théorie de la valeur et des prix de Karl Marx, en prenant en compte et en intégrant la correction qu’a faite le mathématicien et économiste russe Ladislaus Bortkiewicz.
Sweezy s’inspire également des travaux de ce dernier pour remettre en cause, en 1942, la loi de la baisse tendancielle du taux de profit, qui est un point fondamental du marxisme orthodoxe. Paul Sweezy propose de remplacer le concept de plus-value de Marx par celui de surplus, qu’il désigne comme la différence entre ce qu’une économie produit et ce que coûte cette production. Néanmoins, le développement du capitalisme, dans lequel quelques grandes entreprises dominent l’économie et fixent les prix qu’elles veulent, n’engendre pas une baisse du taux de profit, mais au contraire, la hausse d’un surplus que l’économie n’arrive plus à absorber. Pour Paul Sweezy, c’est cela qui est à l’origine de la stagnation qui caractérise les économies modernes.
Paul Sweezy et Paul Baran consacrent une grande partie de leur ouvrage intitulé Le capitalisme monopoliste à étudier la manière dont le surplus généré, principalement par les entreprises géantes, est absorbé. Ils expliquent à ce sujet que la consommation et l’investissement des capitalistes sont les premiers, mais aussi les plus vieux modes d’absorption du surplus, tout en ajoutant que ces modes ont des limites certaines. En effet, avec la naissance du capitalisme monopoliste, l’effort pour vendre, qui passe par des dépenses de publicité, a pris beaucoup d’ampleur.
Mais ils estiment que ce sont les dépenses du gouvernement, et notamment les dépenses militaires devant assurer l’extension de l’impérialisme, qui ont le rôle le plus important, et par conséquent qui rendent ce système très dangereux. Sweezy jugera à ce sujet que personne n’accumule autant d’armements, sans s’en servir un jour. Selon lui, ces tendances sont liées à une croissance exponentielle du système financier, qu’il estime de plus en plus détaché de la production réelle.
Du féodalisme au capitalisme, puis au socialisme
Paul Sweezy n’était pas qu’un économiste, mais également un sociologue et un historien. C’est à ce titre qu’il s’est intéressé, autant à la transition entre le féodalisme et le capitalisme, qu’à celle qui doit ensuite mener, selon lui, au socialisme (à partir du capitalisme donc).
Au début des années 1950, il critique (ce qui va provoquer un important débat) les thèses de l’économiste marxiste anglais Maurice Dobb, qui considère que la dissolution interne du féodalisme permet d’expliquer la naissance du capitalisme. Paul Sweezy estime, quant à lui, que c’est plutôt le marché mondial, depuis l’extérieur, qui détruit les sociétés féodales.
Paul Sweezy estime que dans le capitalisme contemporain, les contradictions principales se situent au niveau mondial, et non pas au niveau national. En effet, ces contradictions opposent les pays dominants aux pays les plus pauvres (le tiers-monde). Il explique que les travailleurs des pays développés sont devenus très majoritairement réformistes au 20ème siècle, alors qu’au 19ème siècle, ils étaient généralement révolutionnaires. Cette analyse pousse Sweezy à considérer que la révolte contre le capitalisme et l’avenir du socialisme se sont déplacés dans les pays les moins avancés, à l’inverse des prévisions que Marx a formulées.
Depuis sa fondation en 1949, le magazine socialiste Monthly Review s’est toujours intéressé aux mouvements révolutionnaires présents dans les pays les plus pauvres, ainsi qu’à l’action de groupes noirs radicaux aux États-Unis.
Invité de Fidel Castro et de Che Guevara à Cuba, une fois la révolution cubaine terminée, Paul Sweezy avait présagé que le pays s’engagerait dans la voie du socialisme. Le président socialiste du Chili Salvador Allende l’avait aussi invité pour l’inauguration de sa présidence. Concernant les régimes soviétiques, Sweezy ne se faisait pas d’illusions, même s’il était persuadé jusqu’à la fin de sa vie que le socialisme était le seul espoir de l’humanité. Il jugeait que le socialisme de marché ne pouvait, à terme, qu’aboutir à une restauration du capitalisme. Selon lui, les problèmes que rencontrent les pays socialistes ne découlent pas de la planification, mais de la croissance de la bureaucratie, ce qui engendre au final une société d’exploitation d’un nouveau type. Néanmoins, Paul Sweezy n’a pas précisé comment il était possible d’éviter cela.