Informations principales
Wassily Leontief est un économiste américano-soviétique né le 5 août 1906 à Munich en Allemagne et mort le 5 février 1999 à New York, aux États-Unis.
Il a obtenu en 1973 le prix Nobel d’économie pour ses travaux sur les tableaux entrées-sorties, aussi appelés tableaux d’échanges interindustriels (ou tableaux input-output).
Leontief a commencé ses études en URSS avant d’être obligé de s’exiler à cause de son opposition au communisme. Suite à l’obtention de son doctorat en économie à l’université de Berlin, il émigre aux États-Unis en 1931 où il sera, pendant plusieurs années professeur à l’université d’Harvard, puis à l’université de New York.
Les principaux apports de Wassily Leontief à la science économique sont les tableaux entrées-sorties qui permettent de visualiser et d’analyser les relations entre les différents secteurs d’une économie et le paradoxe de Leontief qui en découle. En effet, il s’est rendu compte, grâce à ses tableaux, que les États-Unis exportent essentiellement des biens qui ont besoin de beaucoup de travail, alors que la théorie HOS prédit le contraire.
Leontief a aussi utilisé son modèle afin d’étudier le commerce international, ce qui a révélé les faiblesses du modèle HOS. Cela lui a permis d’ouvrir la voie à de nouvelles théories du commerce international, telles que le modèle néo-factoriel et le modèle néo-technologique.
En dénonçant le communisme, Leontief a également critiqué la planification soviétique. Toutefois, il n’a jamais été non plus un fervent partisan du libéralisme radical. Il était attaché à la liberté politique et croyait aux vertus de l’initiative privée. Mais dans le même temps, il considérait que l’État avait un rôle essentiel et primordial à jouer dans l’économie. Ses convictions seront renforcées par la remise en cause de l’intervention de l’État dans l’économie à partir des années 1970 et le triomphe du néolibéralisme qui a suivi. Pour Leontief, une planification démocratique est essentielle afin d’assurer une croissance économique équilibrée, pour favoriser une réduction des écarts de revenus et donc pour avoir une société plus viable. Il estimait qu’il fallait donner à l’humanité les moyens de maîtriser son destin.
L’analyse interindustrielle et les tableaux d’échanges interindustriels de Wassily Leontief (aussi nommés tableaux d’entrées-sorties ou encore tableaux input-output)
Wassily Leontief a beaucoup étudié l’analyse interindustrielle, aussi appelée analyse entrées-sorties (ou analyse input-output). L’idée selon laquelle l’économie correspond à un ensemble interrelié de secteurs entre lesquels circulent de l’argent et des produits est relativement ancienne. En effet, l’économiste français François Quesnay en a présenté en 1758, une première illustration avec son Tableau économique, qui a été plus tard une source d’inspiration pour, entre autres, Karl Marx et Léon Walras. Leontief a beaucoup étudié tous les économistes classiques et comprenait le lien entre ces économistes. Cependant, il reproche à ses prédécesseurs, et notamment au modèle d’équilibre général de Walras d’être trop abstrait dans leur analyse et de ne pas avoir de base empirique, c’est-à-dire de validation grâce à l’expérience. C’est pour cela que rapidement, il s’est donné pour mission de construire un modèle d’équilibre qui soit basé sur les données réelles de l’économie.
En 1929, il réalise une étude sur le réseau de chemins de fer chinois, qui va ensuite l’inspirer pour son étude de l’économie américaine qu’il va commencer en 1931, après son arrivée à New York, et qu’il poursuivra ensuite à Harvard. C’est tout d’abord dans un article paru en 1936 que Leontief utilise pour la première fois les termes d’input et d’output. Puis il publie en 1941 le premier tableau de l’économie américaine, qui traite des années 1919 à 1929. Cet ouvrage est la contribution la plus importante et la plus influente de Leontief.
Concrètement, l’analyse interindustrielle consiste à découper une économie, peu importe qu’elle soit mondiale, nationale ou régionale, en branches qui fabriquent chacune un produit homogène. Chaque branche achète des biens de toutes les autres branches et vend son produit à toutes les autres branches.
Ces tableaux permettent de représenter puis d’analyser les relations qui existent entre les différentes industries d’une économie. Ainsi, ils permettent d’établir un lien entre les facteurs de production (principalement le travail, le capital et la terre), les produits intermédiaires qui sont échangés par ces industries et enfin, les produits finis.
Si par exemple un État veut doubler le nombre de bâtiments construits chaque année, le béton est utilisé comme un “input” (c’est-à-dire comme une entrée) dans l’industrie du bâtiment. Or, l’industrie du béton a elle-même besoin, pour se développer, de construire des bâtiments. Cela signifie donc que, pour que la production de bâtiments puisse doubler, il est nécessaire que la production de béton soit plus que doublée, comme par exemple, triplée. Le tableau d’entrées-sorties développé par Leontief permet précisément dans ce cas de déterminer les besoins d’investissements qui seront nécessaires pour réaliser l’objectif qui a été défini. C’est pour cela que les informations qui sont fournies par les tableaux d’entrées-sorties sont particulièrement utiles pour la planification économique.
Dans le premier modèle que Wassily Leontief a élaboré grâce aux calculateurs mécaniques, aux statistiques manufacturières de l’économie américaine et à ses propres investigations statistiques, il découpe l’économie américaine en 44 branches différentes. Ensuite, grâce au perfectionnement des machines à calculer, puis à l’avènement de l’ordinateur, ces premiers tableaux donneront naissance à des tableaux de plus en plus nombreux et sophistiqués.
En 1948, Leontief crée un centre de recherche à Harvard dans le but d’étudier l’analyse interindustrielle. À la suite de cela, de nombreuses conférences internationales sur le sujet auront lieu à partir de 1950.
L’utilisation de l’analyse interindustrielle et le Paradoxe de Leontief
Wassily Leontief a appliqué l’analyse interindustrielle à plusieurs situations ou problèmes dans la mesure où il estime que sa méthode peut-être appliquée à toute forme d’économie. En effet, cette analyse a par exemple été utilisée afin de prévoir les difficultés économiques qui apparaîtront une fois la Seconde Guerre mondiale terminée, ou encore dans le cadre d’une planification économique.
L’analyse interindustrielle est aussi utilisée pour étudier l’inflation, en montrant comment les variations des prix et des salaires se répercutent ensuite entre les différents secteurs. En appliquant cette analyse au commerce international, Leontief se rend compte que, à l’inverse de ce que prévoit la théorie orthodoxe du commerce international (incarné par le modèle HOS), les États-Unis exportent essentiellement des produits intensifs en travail (c’est-à-dire qui ont besoin de beaucoup de travail) et importent des produits intensifs en capital (c’est-à-dire qui ont besoin de beaucoup de capital).
C’est une situation paradoxale dans la mesure où les pays qui ont beaucoup de travail exportent normalement des produits qui nécessitent beaucoup de travail et importent des produits qui nécessitent beaucoup de capital et vice-versa (c’est ce que stipule notamment le modèle HOS). La situation des États-Unis est donc paradoxale puisque c’est la situation inverse qu’il se passe. C’est ce qui a donné le nom de “Paradoxe de Leontief”. Ce dernier a été vérifié dans la situation de plusieurs pays, mais a, en même temps, donné lieu à une grande controverse toujours en cours.
Finalement, le paradoxe de Leontief a pu être résolu grâce à un modèle néo-technologique. En effet, une analyse plus fine a permis d’arriver à la conclusion que les États-Unis exportent des biens qui nécessitent une technologie poussée et avancée, et donc qui nécessitent du travail qualifié. Dit autrement, ils exportent des biens qui nécessitent et comprennent un certain type de travail (du travail qualifié donc) plutôt qu’un autre (peu qualifié). Or, les États-Unis disposent justement d’une main-d’œuvre plus qualifiée que la majorité de leurs partenaires commerciaux. Il est donc tout à fait logique qu’ils exportent les produits qui nécessitent ce facteur de production.
En appliquant l’outil qu’il a élaboré à l’étude du commerce international, Wassily Leontief a révélé les faiblesses du modèle HOS et sur la lancée, favorisé l’apparition de nouvelles théories du commerce international, connues sous le nom de modèle néo-factoriel et de modèle néo-technologique.
À partir des années 1970, Wassily Leontief a utilisé l’analyse interindustrielle pour traiter de l’impact des progrès technologiques sur la production, de l’effet de la croissance sur les ressources naturelles, des problèmes de l’environnement ou encore de l’incidence des mesures de dépollution sur les prix.
Leontief a aussi étudié les questions du développement en arrivant à la conclusion que les écarts entre les pays riches et les pays pauvres ne pouvaient être réduits qu’à travers des programmes d’aide internationale, et grâce à l’ouverture des frontières des pays riches aux importations des pays pauvres.
Leontief a également réalisé des travaux sur l’analyse multirégionale. Enfin, en 1973, il a effectué une grande étude sur l’économie mondiale à la demande de l’Organisation des Nations unies (ONU).
Une critique de plus en plus vive de la méthodologie économique
Dans son ouvrage intitulé Une application empirique de l’analyse de l’équilibre, publié en 1941, Wassily Leontief estime qu’il n’existe pas d’économie pure, à l’inverse de ce que Léon Walras pense par exemple. Pour Leontief, l’économie est une science qui est plutôt expérimentale et appliquée. C’est ce raisonnement qui l’amène à se montrer très critique de la pratique d’une grande majorité de ses confrères. Selon lui, l’économiste ne doit pas avoir peur de s’attaquer à la collecte de données empiriques (c’est-à-dire qui viennent de l’expérience et donc du terrain) afin d’étudier les problèmes réels.
Dans un autre de ses ouvrages, Leontief critique également la tendance des économistes qui construisent des modèles, mais dont les conclusions sont déjà présentes dans le début de la démonstration, alors que lui considère qu’elle ne peut arriver qu’à la fin du raisonnement.
À partir des années 1960, Wassily Leontief amplifiera ses critiques considérant même qu’une grande partie de la théorie économique contemporaine est stérile. Sa démission en 1975 de l’université de Harvard sera d’ailleurs liée au fait qu’il rejetait l’orientation méthodologique du département d’économie de l’école.
Leontief maîtrisait parfaitement les mathématiques et les utilisait grandement dans ses travaux. Cependant, cela ne l’a pas empêché d’accuser une grande partie de ses collègues de se contenter et de se satisfaire de la construction de modèles élégants d’un point de vue mathématique, mais selon lui, inutiles.
Au-delà de l’expérience et de l’utilisation des mathématiques, Leontief insiste sur le fait qu’il est nécessaire qu’il y ait une coopération entre les différentes disciplines afin que la connaissance de l’économie et de la société progresse. Concrètement, il a tenté de mettre en œuvre cette coopération dans les centres de recherche qu’il a mis en place.
Dans le cadre de ses critiques contre le discours économique dominant, Leontief a remis en cause les conclusions concernant l’ajustement automatique des marchés par eux-mêmes et le sujet du laissez-faire. C’est à ce titre qu’il a publié une série de publications à l’attention du grand public pour les mettre en garde contre ce qu’il considère être une dérive dangereuse de l’économie contemporaine. C’est sur la base de cette analyse qu’il propose, en 1975, avec la collaboration du président du syndicat des travailleurs de l’automobile, la création aux États-Unis, d’un organisme central de planification.