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Étienne Bonnot de Condillac, abbé de Mureau, souvent appelé simplement abbé de Condillac, ou Condillac, est un philosophe, mais également écrivain, académicien (membre de l’Académie française) et économiste français, né le 30 septembre 1714 à Grenoble, en France et mort le 3 août 1780 à Lailly-en-Val, dans le même pays.
Condillac est le chef du sensualisme, qui est une école philosophique française des Lumières prônant un empirisme radical. L’empirisme est une théorie selon laquelle toutes les connaissances viennent de l’observation et de l’expérience.
L’empirisme qu’il défend voit dans l’expérience la source matérielle des idées, mais également la méthode de la connaissance. Condillac affirme notamment qu’il n’y a pas d’idées innées chez l’Homme, et qu’il n’y a pas de connaissance possible sans perception au préalable. Il va développer ses thèses dans ce qui sera son œuvre philosophique majeure, le Traité des sensations, publié en 1754. Dans cet ouvrage, il se sert de l’image d’une statue, qui est de manière successive, dotée des cinq sens, dans le but de montrer comment les sensations sont à la base de toutes les pensées et de toutes les activités humaines. Cela signifie donc que la réflexion, le jugement, les passions, les désirs, etc ne sont que des sensations qui se transforment de manière différente.
C’est à ce titre qu’il s’est attaqué frontalement, dans son ouvrage intitulé Traité des systèmes, publié en 1749, à la métaphysique spéculative de René Descartes et de ses partisans, qui considèrent qu’une pensée ou un raisonnement peut être purement abstrait, théorique et invérifiable. Une démarche spéculative recherche la connaissance des choses, sans que cela puisse être prouvé par l’expérience.
Par ailleurs, pour lui, le fondement de la valeur des choses est la satisfaction des besoins, et donc par prolongement, dépend de l’utilité. Il s’est opposé aux physiocrates en affirmant que toutes les activités sont productives, et non pas seulement l’agriculture comme ces derniers le pensaient. Cependant, il les rejoint en étant favorable à la mise en place de politiques libérales. C’est pour cela qu’il est considéré comme un économiste libéral classique.
L’œuvre économique majeure de Condillac est un traité d’économie intitulé, Le Commerce et le gouvernement considérés relativement l’un à l’autre, souvent simplifié par Le Commerce et le gouvernement, dans lequel il analyse de nombreux aspects de l’économie, du commerce, mais également de leurs équilibres, de leurs dynamiques, et de leurs rapports avec la décision politique.
Condillac avait certains paradoxes dans la mesure où, toute sa vie, il aura un certain conservatisme religieux (dans la religion catholique), ce qui va se retrouver en contradiction avec les idées qu’il défend, beaucoup plus libérales.
Les fondements de la science économique selon Condillac
Condillac a commencé à s’intéresser aux questions économiques lorsqu’il était le tuteur du prince Ferdinand pendant son séjour à Parme (dans l’actuelle Italie). Il va appliquer la même méthode qu’il a utilisée pour ses divers travaux sur l’histoire, l’éducation, la linguistique, etc à l’étude du domaine de l’action humaine. En 1776, la même année que la sortie du livre de la Richesse des nations d’Adam Smith, il publie son ouvrage Le Commerce et le gouvernement. Ce dernier est un traité consacré aux fondements de ce qu’il appelle la science économique. Néanmoins, il n’a pas connu le même succès que le livre d’Adam Smith, mais il reste quand même un ouvrage précurseur dans le domaine de la théorie économique moderne, et plus particulièrement pour la théorie néoclassique.
Pour Condillac, le concept fondamental de la science économique est la valeur. Mais contrairement au raisonnement d’Adam Smith, cette valeur ne vient pas d’une grandeur objective préalable, telle que le temps de travail. En effet, selon lui, l’origine de la valeur se trouve dans les sensations, tout comme l’origine de toutes les idées humaines. Dans le domaine économique, les sensations se manifestent par les besoins. Condillac considère à ce titre que ce sont les besoins que se sont faits les individus, et les moyens qu’ils emploient pour les satisfaire, qui façonnent leurs habitudes, usages et coutumes, c’est-à-dire leurs mœurs.
La notion de besoin amène celle de satisfaction, ce qui aboutit finalement au concept d’utilité. Cela signifie pour Condillac que la valeur des choses vient de leur utilité, c’est-à-dire concrètement de leur capacité à satisfaire les besoins. Cela correspond donc à une grandeur subjective. En effet, il juge que la valeur des choses se trouve moins dans les choses en elles-mêmes, que dans l’estime que les individus s’en font, sachant que l’estime en question dépend du besoin exprimé. Elle augmente et diminue de la même manière que le besoin augmente et diminue.
C’est sur la base de ce raisonnement que Condillac considère que la valeur est déterminée avant l’échange. Cela implique que l’échange n’a un sens, uniquement s’il s’effectue entre des valeurs inégales. En effet, on échange ce qui a moins d’utilité pour nous, ce que Condillac appelle le “surabondant”, en contrepartie de ce qui a plus d’utilité. Ce fonctionnement est possible étant donné qu’une même chose a des valeurs différentes pour différents individus.
Par ailleurs, Condillac distingue cette valeur, du prix. En effet, il estime que dès qu’on a besoin d’une chose, alors cela signifie qu’elle a de la valeur. Mais il ajoute que ce n’est que dans les échanges que son prix se matérialise. Ainsi, cela implique que le prix dépend de plein de facteurs reliés aux échanges, tels que la concurrence entre les acheteurs et les vendeurs, ou encore du rapport entre l’offre et la demande.
Pour Condillac, la production se définit comme une création de nouvelles utilités. Cela signifie qu’elle ne se limite pas, comme c’est le cas chez les physiocrates, à l’agriculture, mais elle comprend aussi toute forme de travail, qu’il soit manufacturier ou commercial, dans la mesure où il ajoute de l’utilité. Il explique à ce sujet que le commerce distribue le produit annuel, ce qui permet de déterminer les prix sous des conditions concurrentielles. Le produit est ensuite réparti entre quatre catégories d’agents, à savoir le capitaliste, le propriétaire foncier, l’entrepreneur et le salarié.
Les politiques économiques défendues par Condillac
Le livre de Condillac, Le Commerce et le gouvernement, publié en 1776, n’est pas qu’une réflexion théorique sur les fondements de l’économie. En effet, il constitue également une intervention dans le débat particulièrement intense qui secoue la France à cette époque, concernant la liberté du commerce des grains, mais aussi d’une manière plus générale, sur l’ensemble des politiques économiques, ce qui comprend entre autres les rapports entre l’État et l’économie et le sujet de la fiscalité.
Condillac aurait écrit cet ouvrage pour soutenir les efforts de libéralisation qui étaient menés par son ami Turgot, à ce moment-là ministre des Finances depuis 1774. Ce dernier sera cependant obligé de démissionner en 1776 à cause des résistances entraînées par les politiques qu’il souhaitait mettre en place.
Condillac s’est opposé aux physiocrates d’un point de vue théorique en affirmant que toutes les activités économiques sont productives, et pas seulement l’agriculture comme le pensent les seconds. Cependant, il se retrouve dans le camp des physiocrates quand ces derniers luttent pour instaurer en France des politiques libérales. Condillac va affirmer à ce sujet que l’objet de toutes les nations devrait être de “faire et de laisser faire”.
La deuxième partie de cet ouvrage est presque uniquement consacrée aux obstacles que les réglementations de toutes sortes posent au commerce, à savoir les péages et douanes, la multiplication des taxes, les manipulations monétaires, les monopoles et privilèges qui sont accordés aux corporations et aux compagnies, les spéculations et les dépenses et emprunts excessifs de l’État.
De plus, il considère que les barrières protectionnistes créent de l’inflation, et d’autant plus en cas de pénuries ou de crise de l’offre. À l’inverse, dans un pays libre et ouvert, il est beaucoup moins probable que cela se produise.
Trois grandes phases dans l’évolution de l’humanité
Condillac a consacré une partie de ses écrits à des réflexions sur l’histoire. Il distingue à ce titre trois grandes phases dans l’évolution de l’humanité. En effet, la première est la “vie grossière”, pendant laquelle seuls les besoins fondamentaux sont satisfaits. La deuxième est la “vie simple”, caractérisée par la division du travail et l’utilisation croissante de la monnaie, sachant que les besoins sont modérés. Enfin, la troisième est la “vie molle”, qui est caractérisée par les excès et la dépravation.
La préférence de Condillac va à la deuxième phase. En effet, pour lui, la recette pour un développement qu’il juge optimal consiste à combiner la liberté économique et la concurrence, avec des besoins modérés. Toutefois, il va se montrer de plus en plus pessimiste vers la fin de sa vie quant aux possibilités de progrès de la société.