Le courant classique ou classicisme

 

Image d'Adam Smith, principal fondateur du classicisme
Image d’Adam Smith, principal fondateur du classicisme

 

Les origines du classicisme (ou courant classique)

Les théories et raisonnements classiques ont été développés dans le contexte particulier de la Révolution industrielle, c’est-à-dire entre la fin du 18ème siècle et la première moitié du 19ème siècle. Le classicisme va suivre la physiocratie.

La Révolution industrielle correspond au passage d’une société qui était traditionnelle et artisanale à une société industrielle, dont le système économique dominant est le capitalisme.

Cette période est caractérisée par un essor général des différentes méthodes de production industrielle au travers d’un bouleversement des structures économiques et sociales. Les innovations majeures qui peuvent notamment être citées sont la machine à vapeur et la mécanisation des tâches (notamment grâce au machinisme, c’est-à-dire l’utilisation des machines). Le pays qui a été le pionnier de cette Révolution industrielle a été l’Angleterre.

Les différents économistes classiques ont tenté de définir des lois économiques universelles qui pourraient être valables partout et tout le temps, y compris à toutes les époques.

Malgré le fait qu’ils aient des divergences d’opinions sur certains sujets, ils partagent cependant tous la même vision, selon laquelle l’intervention de l’État dans l’économie doit être réduite le plus possible afin de garantir le bon fonctionnement du marché. Ils sont donc considérés comme des économistes résolument libéraux.

Tous les économistes classiques s’interrogent sur l’origine et la formation des richesses. Ils estiment majoritairement que l’offre et la demande ont tendance à s’équilibrer, ce qui signifie que les déséquilibres ne sont que provisoires. Le fonctionnement de l’économie amène aussi à une plus importante division du travail. En effet, ils considèrent que chaque individu a des compétences spécifiques qui lui permettent de réaliser, du mieux possible, ce qu’il doit faire, autant dans la société que dans le cadre de l’entreprise.

Par ailleurs, les économistes classiques ont balayé ce qu’il restait des pensées mercantilistes et physiocratiques, en imposant leur point de vue (la production), leur souci (le fonctionnement de la société et la baisse des rendements), ainsi que leurs conflits internes avec l’opposition des optimistes et des pessimistes, les libéraux aux révolutionnaires et les métaphysiciens aux dialecticiens.

Les principaux économistes de la pensée classique sont les économistes britanniques Adam Smith et David Ricardo, ainsi que l’économiste français Jean-Baptiste Say. D’autres économistes ont également eu une influence notable sur ce courant de pensée comme l’économiste britannique Thomas Malthus et l’économiste français Frédéric Bastiat.

 

Les Pères fondateurs de l’économie classique

Cette école de pensée regroupe les principaux fondateurs de l’économie tels que les économistes britanniques Adam Smith, David Ricardo et Thomas Malthus, ou encore l’économiste français Jean-Baptiste Say qui vont développer leurs théories entre la fin du 18ème siècle et la première moitié du 19ème siècle. Ces différents auteurs ont cherché à affranchir l’économie des jugements de valeur et des questions de philosophie morale et politique. En effet, dans les époques précédentes, l’économie était subordonnée à d’autres domaines tels que la philosophie ou la politique. Avec les économistes classiques, l’économie va réellement acquérir un statut de science autonome.

Les différentes théories de l’école classique sont diverses, mais défendent toutes les principes du libéralisme économique, qui est l’idée centrale. En effet, l’idée fondamentale de ce principe est que les mécanismes de marché doivent occuper une place centrale dans l’économie. L’État peut quand même intervenir dans les affaires économiques, mais très modérément. De plus, les processus de production ne peuvent pas être séparés des conditions de répartition des richesses entre les classes sociales. Ces conditions de répartition répondent à des lois qui les expliquent et qu’il faut essayer de déchiffrer.

Le principal fondateur de ce courant, et d’une manière plus générale de la science économique moderne est l’économiste britannique Adam Smith (1723-1790). Il est aussi le Père de la pensée libérale en économie. Quelques grands principes peuvent résumer sa pensée. Pour lui, la richesse des nations vient de la production matérielle qui est permise par le travail, et plus particulièrement de la division du travail, la spécialisation, ainsi que par l’échange marchand.

Les économistes britanniques, menés par Adam Smith, sont préoccupés par les prix, le travail et les rendements. D’un autre côté, l’économiste français Jean-Baptiste Say est, quant à lui, soucieux des progrès de la productivité et des équilibres des marchés et de la production.

 

La domination de la pensée classique anglaise de 1776 à 1820

C’est la pensée anglaise qui va tout d’abord déterminer le cadre de la pensée classique, avec pour chef de file, Adam Smith. Son œuvre principale, Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations est considérée comme l’ouvrage fondateur de la doctrine libérale.

 

Le raisonnement d’Adam Smith

Un certain nombre des idées d’Adam Smith se rapprochent de celles développées par les physiocrates. En effet, pour lui, il existe des lois naturelles et le rôle de l’économiste est donc de les découvrir. De plus, l’État ne doit pas, ou très peu intervenir, étant donné que le principe d’ordre social est assuré par le libéralisme.

Cependant, Adam Smith a aussi de nombreuses divergences avec ses prédécesseurs. Pour lui, le fondement de l’ordre naturel n’est pas transcendantal (c’est-à-dire qui est commun à tous les êtres), mais immanent (c’est-à-dire qui est contenu dans la nature de chaque être, sans principe extérieur à chacun d’eux). 

Pour Smith, les individus suivent leurs intérêts personnels et c’est la confrontation de ces derniers qui permet de réaliser, de manière spontanée, un ordre qui correspond à l'intérêt général.

Il faut abandonner, selon lui, la méthode d’analyse des physiocrates (c’est-à-dire la déduction, l’analogie et l’enchaînement de raisonnements) pour privilégier plutôt l’observation des faits dans le but d’en déduire des lois économiques.

La valeur des choses ne vient pas de la terre ou de l’agriculture, mais du travail fourni.

Il considère que les préceptes de politique économique doivent être souples, même si cela signifie qu’il faut faire des entorses au libéralisme.

Enfin, le pragmatisme doit également guider l'action politique.

Ces différentes idées d’Adam Smith amènent à un certain nombre d’hypothèses. En effet, selon lui, l’économie fonctionne de manière cohérente sur la base d’un marché libre, et ce qu’il appelle une « main invisible » assure cette cohérence.

Sur ce marché libre, chaque marchandise a un prix naturel qui détermine sa valeur, et un prix de marché qui peut parfois s’éloigner du prix naturel par le jeu de la concurrence.

Le marché en question peut être perturbé si la concurrence sur les produits ou sur les méthodes de fabrication est ralentie ou freinée.

Pour lui, les principaux moteurs de l’économie sont les intérêts privés, les motivations individuelles et le travail personnel.

L’économie trouve sa cohérence dans la stabilité des revenus, ce qui signifie que les salaires, profits et rentes ne doivent pas évoluer trop brutalement.

L’épargne (qui correspond à une renonciation à la consommation pour lui) permet d’accumuler des fonds, pour ensuite investir et créer des revenus ultérieurs plus élevés.

Pour être efficace, le travail doit être divisé en respectant les habilités de chaque individu, et donc en décomposant les différentes tâches nécessaires à la production d’un bien, c’est la division du travail.

Enfin, la richesse des nations dépend autant des ressources naturelles et humaines que de l’efficacité de leurs institutions.

 

La main invisible

Selon Adam Smith, l’économie est régie et orientée selon un principe de régulation automatique. C’est ce qu’il appelle la « main invisible« . Concrètement, dans une économie de marché, c’est la concurrence qui guide l’activité de chaque agent économique vers la meilleure situation possible pour chacun. En effet, pour lui, en recherchant son propre intérêt, l’individu contribue à l'intérêt général.

Adam Smith considère que le revenu national d’une économie (celle d’un pays par exemple) correspond à la somme de tous les revenus des individus qui la composent. Cela signifie que si un individu augmente son propre revenu, alors il participe à la croissance du revenu de son économie. C’est sur la base de cette main invisible que Smith préconise le « laissez-faire, laissez-passer« , car seul le marché doit réguler l’activité économique. L’État peut cependant intervenir, mais uniquement pour assurer le respect des règles de la concurrence. Il faut donc laisser l’économie produire les biens et services dont elle a besoin, mais également les laisser passer entre les pays. C’est à partir de ce raisonnement que Smith met en avant le libre-échange, c’est-à-dire concrètement, la libre circulation des produits et des services entre les pays, sans entrave particulière comme des droits de douane par exemple.

 

La division du travail

La croissance mesure l’augmentation de la richesse d’un pays et augmente notamment avec la production d’un pays. Améliorer la croissance implique donc de trouver des moyens pour augmenter la production d’un pays. Adam Smith a voulu déterminer les origines de la croissance. Il en est arrivé à la conclusion que la croissance trouve sa source dans la division du travail. En effet, l’échange entre les individus a pour conséquence d’amener à la spécialisation. Cela signifie que tous les individus ont intérêt à se spécialiser dans des activités qui sont complémentaires afin d’augmenter leur productivité. De plus, pour lui, la division du travail est étroitement associée à la mécanisation des tâches.

Pour illustrer son raisonnement, Adam Smith donne l’exemple d’une manufacture d’épingles dans laquelle la fabrication d’une épingle est décomposée en plusieurs et différentes tâches élémentaires. Chaque tâche est effectuée par un individu différent. Concrètement, un premier ouvrier tire le fil de la bobine, puis un deuxième ouvrier le coupe, un troisième le courbe, et ainsi de suite. Avec ce fonctionnement, chaque salarié devient plus performant dans la tâche qui lui est attribuée et peut donc augmenter sa performance et sa capacité de travail. Cette méthode de production a comme résultat une hausse de la production de l’entreprise.

Adam Smith présente de nombreux bienfaits à la division du travail. En effet, quand un pays se spécialise, cela entraîne une division du travail, ce qui amène à son tour une hausse de la productivité, et in fine une hausse de la production. Cette hausse de la production se traduit ensuite en croissance, ce qui favorise une augmentation des échanges. Cette dernière entraîne une spécialisation, et ainsi de suite, cela crée comme un cercle, mais vertueux.

La productivité permet de mesurer l’efficacité des facteurs de production (que sont le travail et le capital) et de leurs combinaisons. Elle correspond finalement au rapport entre les quantités produites (ou leur valeur) et les moyens qui sont mis en œuvre pour produire ces quantités en question.

 

La théorie des avantages absolus

La théorie des avantages absolus stipule qu’au niveau international, chaque pays a intérêt à se spécialiser dans la production du bien pour lequel ses coûts de production sont inférieurs à ceux des autres pays, c’est-à-dire se spécialiser dans le bien pour lequel le pays dispose d’un avantage absolu. Cela correspond à la division internationale du travail, dans laquelle chaque pays trouve son avantage. Concernant les biens pour lesquels le pays ne dispose d’aucun avantage absolu, il est préférable pour lui de les importer des autres pays, car cela lui revient moins cher que de les produire lui-même. 

Cette pensée a été complétée par David Ricardo et sa théorie des avantages comparatifs.

 

Le raisonnement de David Ricardo

L’ouvrage principal de David Ricardo est son livre « Des principes de l’économie politique et de l’impôt » dont plusieurs versions ont été publiées entre 1817 et 1823. Il sera le fervent défenseur des financiers et des industriels, le conseiller des gouvernements, ainsi que le défenseur des intérêts anglais. Il a critiqué et remis en cause certains économistes et certaines de leurs théories, notamment les travaux d’Adam Smith et de Thomas Malthus. Cela est lié au fait que 40 années séparent les travaux de David Ricardo avec ceux de Smith, et 18 années avec ceux de Malthus. Durant cette période, il y a eu toute une série d’évolutions importantes. Le plus important est le quasi-achèvement de la Révolution industrielle avec une meilleure structuration et efficacité des principales économies. 

Mais il y a également eu un nouvel ordre social avec la création de syndicats en Grande-Bretagne, l’interdiction des grèves et des coalitions ouvrières, ainsi que la suppression des corporations et des privilèges en France. De plus, il y a eu les guerres napoléoniennes de 1803 à 1815. Enfin, les années 1811 et 1812 voient la renaissance des mouvements anti-machines, notamment en Angleterre.

À la même période, un ensemble de faits politico-économiques arrivent avec un remodelage du partage du monde. La France perd une partie de ses territoires et ses possessions américaines, et voit sa puissance maritime diminuée. L’Angleterre au contraire, va affirmer sa puissance maritime, conquérir de nouveaux territoires et faire de nouvelles alliances (notamment avec la Russie, la Prusse et l’Autriche). Après le Congrès de Vienne de 1815 qui réorganise l’Europe après la défaite de Napoléon 1er, la Grande-Bretagne dominera le monde.

Ces événements vont permettre de créer un nouvel ordre idéologique avec la domination des idées libérales, autant du point de vue politique qu’économique.

David Ricardo a donc écrit dans une période complètement différente, ce qui a forcément influencé ses raisonnements. Il va notamment adopter l’hypothèse d’une décroissance des rendements pour en déduire un ensemble de théories et de politiques économiques à mettre en place.

 

La théorie de la valeur

Les économistes classiques ont cherché à définir une analyse de la valeur, c’est-à-dire selon quels principes est déterminé le prix d’une marchandise sur un marché concurrentiel. Adam Smith a proposé une distinction entre, d’un côté la valeur d’usage et de l’autre la valeur d’échange d’un bien. La valeur d’usage correspond pour lui à l’utilité d’un bien, alors que sa valeur d’échange correspond concrètement à son pouvoir d’acheter d’autres biens. Cela implique qu’il peut exister une différence entre ces deux valeurs.

David Ricardo va introduire une nouvelle théorie de la valeur en reprenant l’approche d’Adam Smith, mais en la modifiant. Il affirme que la valeur est déterminée par les quantités de travail contenues dans chaque marchandise, et non pas par son utilité. Concrètement, pour lui, la valeur d’échange d’une marchandise dépend de sa rareté et de la quantité de travail qui a été nécessaire à sa production. Certains biens sont rares et tirent leur valeur uniquement de cette rareté, comme c’est le cas par exemple d’une œuvre d’art. D’autres biens sont disponibles, car ils demandent du travail. Dans ce cas, selon Ricardo, leur valeur d’échange est proportionnelle à la quantité de travail qui a été nécessaire pour les obtenir. C’est ce qu’il appelle sa valeur travail. Par exemple, il faut quatre heures pour fabriquer une chaise, ce qui signifie que la chaise vaut quatre fois le coût d’une heure de travail.

Le raisonnement de Ricardo sur la valeur sera au cœur de la révolution marxiste.

 

La théorie de la rente

Il va développer la théorie de la rente. Il va notamment insister sur les différences de rendement des terres et sur le fait que c’est la terre la moins fertile qui va déterminer le prix des produits agricoles. Ce prix va créer une « rente différentielle » pour les agriculteurs qui vendent les produits des terres les plus fertiles.

 

Le raisonnement de Ricardo concernant le salaire

Il va aussi développer une théorie des autres revenus. Pour lui, le salaire est déterminé par le prix des produits agricoles qui correspondent à la subsistance des ouvriers. Il s’oppose au profit qui est soumis, de manière permanente, à des tensions qui le conduisent à « naturellement baisser ».

 

La conception de l’emploi

Concernant l’emploi, il a développé sa propre conception. Il affirme à ce propos que le machinisme (l’utilisation des machines) crée du chômage, car la croissance de la production augmente le prix du travail et pousse alors les producteurs à remplacer les individus par des machines.

 

La théorie des avantages comparatifs

Son apport le plus connu est la théorie des avantages comparatifs. Il va se baser sur la théorie des avantages absolus d’Adam Smith, mais la compléter. Il a vécu à une époque où l’économie anglaise agrandissait son pouvoir sur le monde, il a alors voulu développer une théorie du commerce international. Cette dernière démontre que chaque pays a intérêt à faire du commerce sur le plan international en se spécialisant dans la production des biens pour lesquels il a le plus grand avantage relatif (c’est-à-dire les meilleures conditions relatives de production). Chaque nation va produire et commercialiser des produits pour lesquels elle est, de manière relative, la plus efficace. Il conclut avec cette théorie qu’il y a toujours des gains à l’échange.

La différence d’avec Smith est qu’il considère que, même si un pays ne dispose pas d’un avantage absolu, il a quand même intérêt à se spécialiser dans le produit concerné s’il a un avantage en comparaison avec les autres pays. Quand Smith détermine pour chaque produit le pays qui a les coûts de production les plus bas, Ricardo regarde dans l’autre sens et détermine, pays par pays, le produit qui a les coûts de production qui sont les plus faibles. La théorie des avantages comparatifs de David Ricardo est un des piliers des arguments en faveur du libre-échange.

Cette théorie va dominer la pensée économique jusqu’à la fin du 19ème siècle.

 

L’état stationnaire

Selon David Ricardo, l’augmentation de la production se trouve dans l’accroissement de la population et dans l’augmentation des connaissances pratiques et de l’efficacité des machines. Il a cherché à analyser la croissance à travers la répartition des revenus entre les trois principales classes sociales.

Pour lui, il y a les propriétaires terriens (ou propriétaires fonciers) qui reçoivent les rentes, les travailleurs qui reçoivent les salaires et les capitalistes qui reçoivent les profits. Il développe son raisonnement à travers un exemple qui se base sur le prix du blé. À la fin, il en conclut que la hausse de la population a pour conséquence une augmentation du prix du blé, une hausse de la rente foncière et une baisse du taux de profit. Les entreprises n’ont donc plus d'intérêt à augmenter leur production, ce qui bloque la croissance. C’est ce que Ricardo appelle « l’état stationnaire« . Quand une économie arrive à maturité, elle a tout intérêt, selon lui, à développer son commerce extérieur pour avoir de nouveaux débouchés.

 

La crise est un phénomène exogène

Par ailleurs, pour expliquer les tensions qui peuvent apparaître dans l’économie, il va affirmer qu’elles sont exceptionnelles et ne sont pas le résultat du fonctionnement du système économique. Pour lui, la crise est donc un phénomène exogène (c’est-à-dire lié à quelque chose d’extérieur), et en aucun cas, le résultat d’une surproduction agricole ou industrielle.

 

Le système fiscal selon Ricardo

Enfin, d’un point de vue fiscal, David Ricardo va présenter un système fiscal lié à la répartition des revenus. Pour lui, l’impôt sur la rente doit prendre en compte les différences de fertilité des terres, l’impôt sur les prix doit prendre en compte les conditions de production et l’impôt sur les bénéfices ne doit concerner que les fabrications de produits de luxe. Concrètement, Ricardo souhaite un système d’imposition qui taxe essentiellement les propriétaires fonciers et qui épargne les industriels. Ce système doit aussi reposer sur la différence entre les revenus monétaires de chacun et les dépenses qui sont effectuées pour acheter les biens qu’il consomme habituellement.

 

Le raisonnement de Thomas Malthus

Thomas Robert Malthus (1766-1834) est un pasteur anglican. Il entre rapidement en opposition avec la doctrine dominante de l’époque qui était inspirée par Jean Bodin. Ce dernier considérait que la richesse ne venait que des Hommes. Il a été en contradiction avec plusieurs points de la pensée d’Adam Smith, ce qui a abouti à la création de sa propre doctrine économique, le malthusianisme. Malthus va permettre en quelque sorte de faire le pont entre le classicisme et le keynésianisme.

Malthus a été influencé par plusieurs sentiments.

Tout d’abord, par le pessimiste de certains physiocrates, tel que Condorcet, qui ne voyait dans l’évolution de la population, que les causes de la misère. Les physiocrates pensaient néanmoins que le progrès social et technique permettrait de corriger cette tendance.

Ensuite, par le moralisme anglais qui condamne l’instinct de reproduction, le vice, la procréation précoce, le malheur, les famines, les épidémies et les guerres, etc. En effet, Malthus a écrit dans une période durant laquelle de nombreux événements ont eu lieu (violences en Irlande avec des tensions et des émeutes en 1795, montée du féminisme, débuts des mouvements pour l’abolition de l’esclavage en Angleterre en 1787, avènement de la littérature pessimiste, naissance du romantisme, admiration et en même temps peur de la Révolution française, etc).

Thomas Malthus est d’abord un homme de bon sens et penseur qui réagit aux événements de son temps, avant d’être un pessimiste.

 

Les rapports entre la population et la production

Thomas Malthus a développé une théorie concernant les rapports entre la population et la production.

Pour lui, il y a une contradiction entre d’un côté, le principe de production et d’utilisation des ressources naturelles, et d’un autre côté, le principe de population et la recherche de meilleures conditions de vie. En effet, pour lui, les ressources naturelles et la production, ainsi que la population n’évoluent pas de la même manière. La population double tous les 25 ans, alors que les produits et les ressources s’accroissent beaucoup moins rapidement. Cela va provoquer à terme, un décalage entre les deux, ce qui va être source de crises et de misère.

Pour réduire ce déséquilibre, Malthus propose des solutions radicales. Il dit qu’il ne faut plus aider les pauvres à subsister pour les empêcher de procréer et ne permettre la procréation qu’aux familles qui ont les ressources nécessaires pour l’éducation future des enfants.

 

L’analyse de la sous-consommation

Malthus va compléter son analyse des rapports entre la population et la production avec une théorie de la sous-consommation. Pour lui, si l’épargne augmente sans que s’accroisse, de manière parallèle, la demande de biens consommés, alors l’investissement va se réduire et une partie des revenus ne seront pas consommés. Pour remédier à cette situation, il propose d’accroître le commerce extérieur et d’embaucher des sans-emplois grâce à une politique de grands travaux. Le but de ces travaux est d’accroître la consommation intérieure, ce qu’il appelle la « demande effective« . Ce concept sera ensuite repris par John Maynard Keynes qui l’utilisera notamment dans sa théorie de la politique de relance par la dépense.

 

Disputes avec d’autres économistes et résultat de ses travaux

Avec ses travaux, Thomas Malthus a provoqué un certain nombre de disputes et de polémiques. Par exemple, avec David Ricardo sur l’explication à donner aux crises et aux récessions. Avec Jean-Baptiste Say sur l’interprétation de sa Loi.

Malthus a également reçu des critiques d’auteurs considérés comme optimistes qui pensaient que les progrès de l’agriculture permettraient de compenser la croissance de la population. D’autres économistes pensaient aussi que la fécondité allait décroître avec l’augmentation de la richesse et des pouvoirs d’achat (comme par exemple Simonde de Sismondi et Karl Marx).

Par ailleurs, Malthus ne disposait d’aucune données statistiques pour soutenir ou contredire sa théorie, il n’y avait pas à cette époque de recensements.

Progressivement, Malthus a reconnu que certaines critiques étaient sensées. Néanmoins, il a laissé à la science économique plusieurs éléments fondamentaux.

Le premier est l’idée que l’étude de la population est un des éléments de l’analyse économique, ce qui signifie que le recours à des lois démographiques ne peut pas être évité.

Le second est la notion de demande effective qui sera ensuite au cœur de la révolution keynésienne.

Enfin, la notion de rendement décroissant, qui sera reprise par David Ricardo.

 

La pensée anglaise de John Stuart Mill

Stuart Mill (1806-1873) est un économiste classique, mais dont les travaux sont situés plus tard en comparaison avec les autres économistes classiques anglais.

Il peut également être considéré comme à part, car il essaiera dans son ouvrage « Principes d’économie politique » de 1848 de se situer à l’interface entre le libéralisme et le socialisme. Il sera un grand défenseur de l’utilitarisme et du libéralisme. Néanmoins, à la fin de sa vie, il se tournera de plus en plus vers le socialisme.

À l’inverse de Sismondi, il va défendre une lecture optimiste des théories de David Ricardo concernant le commerce international. Il va prétendre à ce sujet que les pays riches à forte demande de biens d’importations ont des gains inférieurs à ceux des pays pauvres. Ils perdent alors en quantité, mais gagnent en qualité.

Il pense aussi que si la démocratie doit être défendue, le conformisme de masse, selon lui, risque d’étouffer les qualités individuelles.

 

Les autres classicismes

Les classiques anglais ont donné leurs lettres de noblesse à l’économie politique anglaise. Leurs auteurs ont écrit au moment où les faits et courants de pensées étaient largement influencés par la grandeur et la domination de l’Angleterre, qui est devenue la première puissance mondiale grâce à son commerce et son industrie. Elle est à la fois l’usine du monde, son banquier et son pavillon.

Toutefois, cette pensée n’est pas unique, mais également entourée de différentes analyses, complémentaires ou quelquefois critiques. Ces autres pensées sont françaises (avec Jean-Baptiste Say et Frédéric Bastiat), suisses (avec Simonde de Sismondi), allemandes (avec Friedrich List) et anglaises (avec John Stuart Mill). Cette dernière a été vue précédemment.

Ces différentes pensées sont plus critiques, car issues à la fois des hypothèses classiques et d’un mouvement humaniste et utopiste plus ancien.

 

Le classicisme français incarné par Jean-Baptiste Say et Frédéric Bastiat

Jean-Baptiste Say (1774-1840) a été employé de banque en Angleterre où il a été ébloui par la Révolution industrielle et par les œuvres d’Adam Smith. Une fois revenu en France, il devient industriel et Professeur après la chute de l’Empire. Il soutiendra l’utilisation des machines (le machinisme), le libéralisme, l’industrie et le commerce international. Il se différencie des trois grands auteurs britanniques puisqu’il est considéré comme un optimiste, il considère donc qu’il ne peut pas y avoir de crise de surproduction.

Le principal apport de Say est la Loi des Débouchés, c’est-à-dire que les produits s’échangent contre les produits. Il y a eu plusieurs interprétations de cette loi.

Du point de vue pragmatique et scientiste (c’est-à-dire que la connaissance passe par la science) de Jean-Baptiste Say qui est fasciné par la technologie, cette loi peut être l’expression de la matérialité des échanges et du support du commerce entre les nations, cela signifie qu’on échange seulement si l’on produit des marchandises.

D’un point de vue matérialiste, cette loi exprime le caractère mineur de la monnaie, pour Say, elle n’est qu’un voile qui est nécessaire à l’échange, mais sans avoir d’influence sur ce dernier. Pour lui, la monnaie est neutre, ce n’est qu’un instrument d’échange qui permet d’obtenir d’autres produits, ce n’est qu’un intermédiaire. Cela suppose donc que tous les revenus sont consommés et qu’il n’y a pas d’épargne. Keynes contestera cette vision de la monnaie.

Du point de vue du libéralisme, ce que Say défendait, cette loi peut démontrer l’égalité automatique qu’il y a entre ce qui est produit et ce qui est échangé. Les débouchés peuvent alors se mesurer à la valeur de la production. Cette loi est donc l’expression de l’absence de crise de surproduction.

 

Frédéric Bastiat (1801-1850), comme économiste, a représenté les idées de la bourgeoisie industrielle qui recherchait une bonne conscience. Il a écrit à une époque remplie de changements techniques tels que la diffusion de la machine à coudre, de l’acier, de la grande presse, le développement de la marine métallique à hélices, l’ouverture du canal de Suez, la forte croissance des réseaux de chemin de fer à partir de 1842, etc.

Il y a également eu d’importants changements sociaux avec par exemple en France le retour de la monarchie (Monarchie de Juillet de 1830 à 1848). Cette dernière a un régime électoral basé sur la propriété foncière, ce qui exclut du pouvoir les industriels, les classes rurales, ainsi que les classes moyennes. Il y a aussi de nombreuses crises et troubles comme par exemple la crise du textile en 1825 ce qui cause beaucoup de chômage, les abdications de Charles X en 1830 et de Louis-Philippe en 1848, des révoltes, des tentatives de coups d’État, des émeutes, des épidémies de choléra, etc.

Il est à noter aussi de nombreux changements de nature financière avec l’afflux de métaux précieux, la mobilisation des petits capitaux ou l’augmentation des marchés financiers et monétaires par exemple.

Cette période est donc une période intense de crises et de profondes mutations.

Frédéric Bastiat en déduit un certain nombre de raisonnements. En effet, pour lui, les monopoles industriels et étatiques doivent être supprimés, les barrières douanières levées et le libéralisme doit être la religion économique dominante. Il estime également légitime qu’il y ait le versement d’un intérêt en rémunération du prêt d’un capital, car pour lui, cela permet de rétribuer le temps. Concernant l’enseignement, il défend aussi la concurrence entre le public et le privé, mais exige cependant la diversification des programmes.

 

Le classicisme suisse incarné par Simonde de Sismondi 

Simonde de Sismondi (1773-1842) est un économiste considéré comme différent. En effet, il a d’abord été influencé par Adam Smith, mais il critiquera ensuite le libéralisme en insistant sur ses conséquences sociales, ainsi que sur les crises. Afin de contrer ces conséquences négatives, il réclamait des interventions étatiques dans le but de protéger les classes ouvrières. Cependant, il insistera, lui aussi, sur la notion de demande effective, notion qui sera reprise par Keynes.

 

Le classicisme allemand incarné par Friedrich List

Friedrich List (1789-1846) a été banni à cause de ses opinions qui étaient favorables à l’union douanière entre les États allemands (ce qui est nommé le Zollverein). Il a ensuite été incarcéré et expatrié aux États-Unis. Il a fondé l’école historique allemande.

Pour List, l’intérêt de la Grande-Bretagne n’est pas forcément celui du reste du monde. La division internationale du travail et de la production, promue par les économistes anglais, matérialise en fait la domination de l’impérialisme anglais. Cela signifie que, en tant que nation dominante, le pays s’enrichit sur le dos de ses partenaires économiques et commerciaux, et en particulier sur celui des États allemands. Pour lui, le protectionnisme peut être accepté si ce n’est qu’une phase dans le développement industriel d’une nation, cela permet au final, sur le long terme, le libre-échange.

Pour List, la richesse des pays dépend de leur niveau de développement, de ce qu’il nomme les « forces productives« . Ces forces correspondent aux capacités productives disponibles, autant sur le plan des matériels et des équipements, que sur celui des Hommes et de leurs savoirs.

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