
En pleine crise des finances publiques, et alors que la France cherche désespérément des milliards d’euros pour boucler son budget 2026 et réduire un déficit public qui dépasse les 5 % du PIB, une proposition fiscale fait débat : la Taxe Zucman. Portée par l’économiste Gabriel Zucman, spécialiste des inégalités et de l’évasion fiscale, cette réforme vise à instaurer un impôt plancher de 2 % sur les patrimoines supérieurs à 100 millions d’euros. Cela concernerait environ 1 800 foyers, soit environ 0,002 % des contribuables français, et pourrait rapporter, selon son créateur, entre 15 et 25 milliards d’euros par an.
Derrière ce projet se cache une question fondamentale : faut-il faire payer davantage les ultra-riches ? Pour ses défenseurs, la Taxe Zucman est une solution évidente, puisqu’elle permettrait de réduire le déficit public, de préserver les services publics, et de lutter contre les inégalités et les privilèges. Une grande majorité de Français semble partager ce point de vue, puisque selon un récent sondage Ifop, 86 % y sont favorables.
Pourtant, cette réforme suscite aussi une opposition farouche. Ses détracteurs, parmi lesquels figurent des patrons du CAC 40, des économistes libéraux et une partie de la classe politique (principalement du centre et de la droite), y voient une mesure contre-productive, voire dangereuse. Ils mettent en avant le risque de faire fuir les plus aisés, de décourager l’investissement, de plomber l’économie et de ternir l’attractivité de la France.
Dans ce contexte, une question persiste : cette réforme est-elle réaliste ? Peut-elle vraiment rapporter les 20 milliards promis, ou ses effets seront-ils limités par l’évasion fiscale, par les effets négatifs économiques et les contournements juridiques ? Et surtout, dans une France divisée, où les finances publiques sont exsangues et où les inégalités ressenties comme importantes, la Taxe Zucman est-elle la solution miracle que ses partisans espèrent, ou une fausse bonne idée qui aggraverait les problèmes qu’elle prétend résoudre ?
Qu’est-ce que la Taxe Zucman ?
Proposée par l’économiste Gabriel Zucman et reprise par toute la gauche à l’Assemblée nationale, la Taxe Zucman est un impôt minimal qui cible les très hauts patrimoines.
Gabriel Zucman est un économiste de 38 ans, professeur à l’École d’économie de Paris, et depuis 2023 à l’École normale supérieure, il est aussi directeur de l’Observatoire européen des taxes. Il a également travaillé aux États-Unis. Il a consacré sa carrière à démontrer comment les milliardaires exploitent les failles des systèmes fiscaux pour réduire leur imposition à des niveaux dérisoires, parfois inférieurs à 1 % de leur patrimoine, alors que les classes moyennes supportent des taux effectifs proches de 50 %. Ses travaux, et notamment la taxe qui porte son nom, sont salués par des figures importantes de la sphère économique, et des Prix Nobel comme Joseph Stiglitz, Paul Krugman, George Akerlof et Esther Duflo.
Le principe de la Taxe Zucman est de mettre en place un mécanisme d’impôt plancher, c’est-à-dire que cela ne serait pas possible de payer moins que le montant défini. Concrètement, si les impôts déjà acquittés par un foyer dont le patrimoine dépasse 100 millions d’euros ne représentent pas au moins 2 % de la valeur nette de ce patrimoine, l’État prélève alors la différence. Cela ne toucherait qu’un nombre très limité de ménages, estimé à 1 800 environ par ses défenseurs. Contrairement à l’impôt sur la fortune immobilière (IFI) par exemple, elle ne se limite pas aux biens immobiliers et inclut aussi les actifs financiers ou les participations dans des entreprises. C’est un impôt sur le patrimoine, c’est-à-dire sur tout ce que possède le foyer, pas uniquement sur les revenus comme c’est le cas des autres principaux impôts.
Selon les estimations de Gabriel Zucman, la Taxe Zucman pourrait rapporter entre 15 et 25 milliards d’euros par an à l’État. Pourtant, ces chiffres sont vivement contestés. De nombreux économistes estiment que les recettes réelles ne dépasseraient pas 5 milliards, en raison des stratégies d’évitement (dons, exil partiel, optimisation). De plus, des critiques sont aussi émises sur la méthodologie utilisée par l’économiste.
Selon Gabriel Zucman, l’objectif de sa taxe est de s’attaquer aux inégalités, et plus particulièrement au fait que les ultra-riches paient proportionnellement moins d’impôts que les classes moyennes, grâce à des montages fiscaux sophistiqués ou à des revenus déclarés dérisoires par rapport à leur fortune réelle. Selon les calculs de l’IPP (Institut des politiques publiques), le taux moyen d’imposition est d’environ 26 % pour les 0,0002 % les plus riches, alors qu’il atteint environ 46 % pour les 0,1 %, et même davantage pour le reste de la population.
Pourquoi la Taxe Zucman revient-elle dans le débat aujourd’hui ?
En cette rentrée 2025, la Taxe Zucman s’impose comme l’un des sujets les plus brûlants du débat politique et économique français. Ce retour en force n’est pas un hasard. Effectivement, il s’explique par une conjonction de crises budgétaire, sociale et idéologique, qui font de cette réforme fiscale bien plus qu’un simple outil technique. À l’heure où la France doit trouver des milliards d’euros pour financer son budget 2026, alors que le déficit public frôle les 5,5 % du PIB et que la dette dépasse les 115 %, la proposition de taxer les 1 800 foyers les plus riches apparaît à la fois comme une solution miracle pour les uns et une menace économique pour les autres.
Tout commence avec un contexte budgétaire explosif. Le gouvernement, confronté à un trou financier abyssal, cherche désespérément de nouvelles recettes. Or, la Taxe Zucman, avec ses 15 à 25 milliards d’euros de recettes potentielles, représenterait une bouffée d’oxygène pour les caisses de l’État. Mais au-delà des chiffres, c’est l’urgence sociale qui propulse ce projet sous les projecteurs. Un sondage Ifop publié en septembre 2025 révèle que 86 % des Français, y compris une majorité de sympathisants de droite, soutiennent cette taxe. Dans un pays où les inégalités fiscales sont de plus en plus perçues comme un scandale, l’idée de faire contribuer les ultra-riches à hauteur de leur fortune séduit bien au-delà des clivages politiques traditionnels.
Pourtant, la Taxe Zucman ne serait pas revenue avec une telle force sans un contexte politique particulier. D’abord votée à l’initiative de la gauche en début d’année à l’Assemblée Nationale, puis rejetée par le Sénat en juin 2025, les négociations en cours pour le budget 2026 ont placé cette question au cœur des tractations entre le gouvernement et les partis d’opposition. La gauche, en particulier le Parti socialiste, en a fait une condition sine qua non pour éviter de faire tomber l’exécutif. Le Premier ministre, Sébastien Lecornu, se retrouve dans une situation délicate puisque céder à cette exigence risquerait de braquer les milieux d’affaires et la droite, dont il a besoin pour ne pas être censuré.
Pour ses défenseurs, la Taxe Zucman est donc une réponse concrète aux problèmes du déficit public et de l’injustice fiscale. À l’inverse, les opposants, comme Bernard Arnault ou les dirigeants de la French Tech, dénoncent une mesure confiscatoire qui mettrait à terre l’économie française. Ils considèrent que taxer les patrimoines, c’est taxer l’outil de travail, ce qui risque de pousser les entrepreneurs à l’exil, freiner les investissements et nuire à l’attractivité.
Afin d’obtenir la non-censure d’une partie de la gauche, sans perdre le soutien de la droite et du centre, Sébastien Lecornu semble prêt à taxer davantage les plus riches, mais probablement pas sous la forme d’une Taxe Zucman. Un nouvel impôt sur la fortune devrait voir le jour, mais les détails et modalités exacts n’ont pas encore été définis.

Quels arguments en faveur de la Taxe Zucman ?
La Taxe Zucman ne doit pas sa popularité au hasard. Ses défenseurs, parmi lesquels figurent des économistes de renom, des partis politiques de gauche et une majorité de Français, avancent des arguments à la fois économiques, sociaux et moraux pour justifier son adoption. Ils estiment simplement qu’il est injuste que les ultra-riches, c’est-à-dire ceux dont les patrimoines dépassent les 100 millions d’euros, puissent échapper à une contribution proportionnelle à leur fortune.
Le premier argument est celui de la justice fiscale. Aujourd’hui, en France, le taux effectif d’imposition des milliardaires est d’environ 26 % selon l’IPP, alors que les classes moyennes et populaires supportent des prélèvements proches de 50 % de leurs revenus. Ce constat a convaincu des figures comme Joseph Stiglitz (Prix Nobel d’économie) ou Olivier Blanchard (ancien économiste en chef du FMI), qui voient dans la Taxe Zucman un moyen de rééquilibrer le système fiscal. Ils estiment que la fiscalité doit être progressive, sinon elle perd toute sa légitimité. Pour les partisans de cette réforme, il ne s’agit pas de punir les riches, mais de rétablir l’équité. Si un salarié moyen paie la moitié de ses revenus en impôts et cotisations, alors un milliardaire dont la fortune s’accroît chaque année “sans travailler” (avec l’augmentation naturelle de la Bourse par exemple) doit lui aussi contribuer à la hauteur de ses moyens.
Le deuxième argument en faveur de la Taxe Zucman est économique. Avec un rendement estimé entre 15 et 25 milliards d’euros par an par son créateur, elle pourrait apporter une bouffée d’oxygène aux finances publiques. Dans un contexte où le déficit public dépasse encore les 5 % du PIB et où la dette atteint des sommets, à plus de 115 % du PIB, ces recettes supplémentaires permettraient d’aider à rétablir les comptes, et peut-être même à financer des services publics essentiels, au profit de tous les Français. Cela permettrait aussi de faire contribuer ceux qui ont davantage, plutôt que d’augmenter la TVA ou la CSG pour tous les Français.
Le troisième argument avancé est celui de la lutte contre l’évasion fiscale. La Taxe Zucman permettrait d’établir un taux minimal d’imposition incontournable. Cela la distinguerait par exemple de l’ancien Impôt sur la Fortune (ISF) qui prévoyait de nombreuses exonérations et niches fiscales. Ainsi, Gabriel Zucman et les oppositions prévoient des mécanismes anti-optimisation comme le fait d’intégrer tous les actifs professionnels (comme les parts d’entreprise) dans l’assiette fiscale, de priver de droits civiques ceux qui partent pour fuir l’impôt, ou encore de rendre redevable pendant au moins 5 ans les contribuables qui quittent la France.
Enfin, la Taxe Zucman s’inscrit dans une dynamique internationale. Gabriel Zucman a défendu l’idée d’un impôt mondial sur les milliardaires lors du dernier G20 et incite la France à donner l’exemple, espérant que d’autres pays, notamment européens, suivent à leur tour.
Quels sont les arguments contre la Taxe Zucman ?
Si la Taxe Zucman séduit une majorité de Français et une partie de la classe politique, elle suscite aussi une opposition farouche de la part des milieux économiques, de certains économistes et d’une frange de la droite et du centre. Leurs critiques, à la fois économiques, juridiques et idéologiques, dessinent un tableau bien moins idyllique que celui peint par ses défenseurs. Pour ses détracteurs, cette réforme n’est pas seulement inefficace ou dangereuse, elle risque de déstabiliser l’économie française, de gâcher les efforts faits depuis des années en faveur de l’attractivité (et de ses bénéfices comme la baisse du chômage et l’arrivée de capitaux et entreprises de l’étranger) et d’aggraver les inégalités qu’elle prétend combattre.
Le premier argument avancé par les opposants à la Taxe Zucman est celui de l’exil fiscal. L’instauration d’un impôt à 75 % sur les hauts revenus sous François Hollande en 2012 par exemple avait provoqué des départs, dont certains symboliques comme celui de l’acteur Gérard Depardieu. Les ultra-riches riches sont assez mobiles, ils pourraient donc recommencer et emporter avec eux une partie ou la totalité de leurs actifs, qui profiteraient alors à d’autres pays. Une telle taxe créerait un choc psychologique chez les entrepreneurs et les investisseurs et même s’ils ne partent pas physiquement, ils pourront déplacer leurs actifs à l’étranger. La France perdrait alors des recettes fiscales sans pour autant collecter les 20 milliards promis, et cela causerait en plus des dégâts économiques en matière de production, d’emplois et de création de richesses sur le territoire national.
Le deuxième argument est celui de l’impact sur l’investissement et l’innovation. Taxer les patrimoines (au lieu des seuls revenus de ce patrimoine comme cela se fait généralement) revient à taxer l’outil de travail, celui qui permet de produire, d’innover et de créer de la richesse.
La Taxe Zucman ne se limite pas aux actifs financiers ou immobiliers, puisqu’elle inclut aussi les parts d’entreprise, y compris celles des start-ups en croissance. Un entrepreneur qui détient 80 % de sa société pourrait par exemple se retrouver à payer des millions d’euros de taxe, alors même que son entreprise ne dégage pas encore de bénéfices, ce qui est souvent le cas des nouvelles sociétés ou des entreprises dans les nouvelles technologies. Cela étoufferait donc toute innovation avant même qu’elle devienne rentable. Cela décourageait aussi les investissements productifs, puisque pourquoi prendre des risques et investir si l’État vient ponctionner une partie des actifs à la moindre réussite ? C’est en raison de ses effets pervers sur l’économie et sur la croissance que certaines estimations ne prévoient qu’une recette d’à peine 5 milliards d’euros (au lieu des 25 milliards promis).
Sur le plan juridique, la Taxe Zucman est aussi accusée d’être inconstitutionnelle, dans la mesure où un taux de 2 % sur le patrimoine peut être jugé confiscatoire. En effet, la Constitution interdit les prélèvements excessifs sur la propriété privée. Le Sénat, qui a rejeté la proposition de loi en juin 2025, a justement invoqué ce risque pour justifier son opposition. Gabriel Zucman lui-même reconnaît que la question de la constitutionnalité devra être tranchée par le Conseil constitutionnel.
Enfin, les opposants dénoncent un symbolisme dangereux et dénoncent même une forme de démagogie. Effectivement, laisser penser qu’une taxe sur 1 800 ultra-riches peut résoudre tous les problèmes, et principalement celui du déficit public, masque en réalité tous les problèmes plus profonds qui nécessiteraient des réformes ambitieuses. Pour ceux qui la critiquent, cette mesure divise la société en désignant des boucs émissaires, sans s’attaquer aux vraies causes du déficit. Les plus virulents dénoncent même une taxe punitive, soutenue dans un esprit de vengeance sociale.

Quels impacts concrets pour la France et est-ce vraiment réaliste ?
La Taxe Zucman, avec ses promesses de dizaines de milliards d’euros de recettes annuelles et sa volonté de réduire les inégalités fiscales, semble offrir une solution séduisante aux défis budgétaires et sociaux de la France. Pourtant, entre les espérances de ses défenseurs et les craintes de ses détracteurs, une question persiste : quels seraient ses impacts réels sur l’économie française, et cette réforme est-elle vraiment applicable dans le contexte actuel ?
Si la Taxe Zucman était adoptée, ses effets dépendraient avant tout de sa mise en œuvre concrète. Dans le scénario optimiste imaginé par Gabriel Zucman et ses partisans, les 15 à 25 milliards d’euros de recettes supplémentaires permettraient de réduire le déficit public de près d’1 point de PIB, sans nécessiter de nouvelles hausses d’impôts pour les ménages modestes. En évitant les coupes budgétaires, cela permettrait aussi de maintenir les investissements dans les hôpitaux, les écoles ou la transition écologique. Pour les défenseurs de la réforme, cette taxe représenterait également un signal politique fort.
Mais ce scénario repose sur une hypothèse cruciale, à savoir que les 1 800 foyers concernés ne trouvent pas de moyens pour contourner l’impôt. Or, comme le soulignent ses détracteurs, les stratégies d’optimisation fiscale (dons, exil partiel, montages juridiques) pourraient réduire ces recettes à 5 milliards d’euros, voire moins.
Un autre impact concret de la Taxe Zucman concernerait la dynamique économique. Ses opposants, comme Bernard Arnault ou les dirigeants de la French Tech, craignent qu’elle ne décourage les investissements et ne pousse les entrepreneurs à délocaliser leurs actifs. Pour les économistes libéraux, cette mesure pourrait aussi affaiblir la compétitivité de la France face à ses voisins européens, où les impôts sur la fortune sont souvent moins stricts. Le risque est de voir partir les talents et les capitaux, avec tous les effets négatifs sur l’économie que cela comporte.
Sur le plan social, la Taxe Zucman pourrait avoir un effet symbolique puissant. Pour ses partisans, elle permettrait de restaurer la confiance dans le système fiscal, en montrant que les plus fortunés contribuent à hauteur de leurs moyens. Mais ses détracteurs y voient une mesure populiste, qui diviserait la société en désignant des boucs émissaires et nuirait à l’attractivité de la France. Ils estiment qu’il faut en priorité réformer la dépense publique. Cette taxe pourrait devenir une sorte d’épouvantail dans le monde qui découragerait les investisseurs internationaux de venir en France.
Enfin, la question de la faisabilité juridique reste entière. Le Sénat a déjà rejeté la proposition de loi en juin 2025, arguant que le taux de 2 % était confiscatoire et donc potentiellement inconstitutionnel.
Au final, la Taxe Zucman incarne bien plus qu’une simple réforme fiscale. Elle cristallise un débat de société : faut-il taxer davantage les ultra-riches pour réduire les inégalités et financer les services publics, au risque de décourager l’investissement ? Ou faut-il privilégier la compétitivité économique, quitte à laisser perdurer un système fiscal perçu comme injuste ? Une chose est sûre, dans une France divisée, où les finances publiques sont sous tension et où les Français sont mécontents, cette question ne disparaîtra pas de sitôt.
Les plus riches doivent probablement contribuer davantage à rétablir les finances publiques de notre pays, mais sans tomber dans des mesures trop radicales ou démagogiques. Le nouveau Premier ministre Sébastien Lecornu semble avoir écarté l’hypothèse de mettre en place la Taxe Zucman, tout comme le rétablissement de l’ISF, mais il ne renonce pas à taxer les ultra-riches sous une autre forme, en excluant notamment le patrimoine professionnel. Il va devoir réussir à trouver un consensus pour faire voter le budget 2026, sans se faire censurer, plus facile à dire qu’à faire…