Informations principales
François Perroux est un économiste français né le 19 décembre 1903 à Lyon, en France et mort le 2 juin 1987 à Stains, dans le même pays.
Il est considéré comme un théoricien majeur du courant hétérodoxe. En effet, il a élaboré de nombreux concepts importants et variés comme ceux de l’effet de domination, des industries motrices, des asymétries, des espaces économiques, des pôles de développement, des coûts de l’homme, de création collective, etc. Tous ces thèmes ont, encore aujourd’hui, une résonance dans tous les champs de l’économie politique et de la gestion.
François Perroux a été influencé par la pensée de grands économistes étrangers, tels que Karl Marx, John Maynard Keynes, Ludwig von Mises, Friedrich Hayek, ou encore Joseph Schumpeter, dont il a contribué à diffuser les pensées en France. François Perroux a toujours cherché à construire, à travers ses articles, ses ouvrages et ses cours, ce qu’il appelle une “économie d’intention scientifique” précise et rigoureuse. Il a tenté d’élaborer une représentation originale de l’économie et de sa place dans la société.
Il a fondé, en 1944, l’Institut de Science Économique Appliquée (ISEA), qui a ensuite été renommé Institut de Sciences Mathématiques et Économiques Appliquées (ISMEA), en 1975. Cet organisme est l’un des fleurons de la recherche économique en France. John Maynard Keynes était même l’un de ses correspondants anglais.
Par ailleurs, il a également créé de nombreuses revues telles que les Cahiers de l’ISEA, Mondes en développement, Revue Tiers-Monde, ou encore Économie appliquée.
En 2008, plusieurs de ses proches, dont l’ancien Premier Ministre français Raymond Barre, qui a d’ailleurs été son élève et qu’il considérait comme l’un de ses héritiers spirituels, ont sollicité la contribution de divers mécènes dans le but d’établir une fondation sous l’égide de la Fondation de France, qui porte son nom et qui a vocation à lui rendre hommage.
Par ailleurs, François Perroux a été l’un des auteurs qui a permis l’introduction de la comptabilité nationale en France.
L’origine de la pensée économique et politique de François Perroux
François Perroux place l’individu, et son savoir-faire, avant tout manuel, au centre de l’économie. En effet, il a été très marqué par son père qui était artisan, dans la fabrication de chaussures. Ce dernier a été ruiné par la concurrence et par les transformations qu’a connues Lyon, et qui ont fait passer cette dernière de ville prospère à cité sous la domination de Paris. Cette vision poussera François Perroux à dénoncer pendant toute sa carrière la domination des plus forts, et à mettre en avant, autant les aspects positifs que négatifs de la croissance et du progrès.
Durant sa vie, François Perroux a beaucoup voyagé, allant aux États-Unis et dans de nombreux pays européens (Allemagne, Angleterre, Italie, Autriche et Portugal). Lors de ces séjours, il a rencontré de nombreux économistes connus et souvent hétérodoxes (c’est-à-dire en dehors de la pensée majoritaire), dont une partie est ensuite devenu des amis, tels que Joseph Schumpeter, Paul Samuelson, Ludwig von Mises, John Hicks, Michal Kalecki et Friedrich Hayek entre autres. Par conséquent, autant sur le plan économique, que politique, la pensée de François Perroux a été influencée par ces influences variées et parfois contradictoires. Elles lui ont cependant permis d’élaborer une représentation originale de l’économie, ainsi que de sa place dans la société.
Perroux a énormément écrit en privilégiant le livre comme moyen de communication, à une époque où c’est l’article qui s’était imposé comme principal mode de transmission des connaissances dans la sphère économique. De plus, alors que la période est propice à une forte spécialisation des intellectuels, François Perroux, quant à lui, n’hésite pas à se confronter à tous les domaines de l’économie, et même à passer d’une discipline à une autre. En effet, en plus de l’économie, il étudiera la philosophie, la sociologie, l’histoire, la politique, l’idéologie, la culture ou encore la religion.
Au moment où les auteurs ne s’intéressent plus aux problèmes de l’homme et de la cité, Perroux prend le contre-pied en concevant son œuvre comme une réponse aux défis de son temps, avec l’individu en son cœur. C’est à ce titre que François Perroux va se préoccuper des inégalités de richesse et de revenu, du chômage, de la pauvreté, des concepts de pouvoir et de déshumanisation progressive du monde.
Les concepts d’asymétrie, de pouvoir et de domination
François Perroux a publié sa thèse de doctorat de droit en 1926, intitulée Le problème du profit. Il tient ses raisonnements dans le cadre de la théorie de l’équilibre général de Léon Walras. Toutefois, la thèse qu’il a faite contient déjà les bases de sa conception de l’économie, cette dernière étant le lieu d’affrontement de divers pouvoirs et forces, ce qui amène Perroux à considérer que l’équilibre est instable et asymétrique. Pour lui, autant les économies nationales, que mondiales, sont caractérisées par l’inégalité et par l’hétérogénéité, et leur dynamique irréversible. Ce sont ces concepts que Perroux développe dans son œuvre et qu’il utilise afin de décrire la croissance d’un capitalisme qu’il juge destructeur pour l’individu.
Dans la vision de François Perroux, l’effet de domination a un rôle central. En effet, il définit ce dernier comme une asymétrie d’influence, qui se manifeste entre des pays, des entreprises, des industries, des groupes sociaux ou des individus. Cet effet n’est pas forcément intentionnel, dans la mesure où il découle de la nature des sociétés dans lesquelles les individus vivent. Toutefois, la domination peut quand même s’exercer délibérément, y compris à travers l’usage de la violence.
Ces différentes relations s’organisent dans le cadre de structures dans lesquelles il n’y a pas de coordination entre des agents qui sont indépendants et égaux, contrairement à la vision orthodoxe (c’est-à-dire admise par la majorité). L’effet de domination ne produit pas, selon Perroux, d’équilibre, mais plutôt des changements qui se cumulent. Les entreprises qui ont réussi à avoir une position dominante obtiennent ainsi les moyens d’accroître de plus en plus leur domination. François Perroux considère que la théorie économique orthodoxe n’est pas capable de décrire ces phénomènes, et c’est même le contraire puisqu’elle les occulte.
Les espaces économiques et les pôles de développement
François Perroux reproche à l’économie orthodoxe (c’est-à-dire celle qui fait consensus) de négliger le temps, et de ne pas prendre assez en compte l’espace. En effet, il considère que les relations économiques sont organisées et structurées dans des espaces, à la fois régionaux, nationaux et internationaux. En ce qui concerne le domaine de l’économie régionale, l’analyse de cette structuration est l’un des plus importants apports de Perroux. Effectivement, dans ce raisonnement, ce sont les concepts d’espace économique et de pôle de développement qui ont un rôle capital. Dans cette analyse, François Perroux a été notamment influencé par les thèses de Joseph Schumpeter, même s’il les a transformées pour pouvoir les intégrer dans son propre système.
François Perroux estime, dans son raisonnement, que les écarts de développement, autant régionaux que nationaux, ne viennent pas d’éventuelles entraves aux forces du marché. Par conséquent, cela signifie que l’ouverture des frontières ne peut pas permettre de lever ces entraves. En effet, selon lui, la seule chose qui puisse rétablir une certaine égalité entre des régions ou entre des pays qui sont naturellement en déséquilibre est la création de pôles de compétitivité, d’entreprises, d’industrie ou de combinaison d’industries qui sont les seuls, pour Perroux, en mesure de diffuser des savoirs et des techniques dans leur entourage géographique. De plus, il considère que les stratégies qui ont pour but d’imposer aux pays les plus pauvres un développement uniquement basé sur le marché, et notamment à travers une flexibilisation du marché du travail, sont vouées à échouer.
Ce raisonnement se base sur le fait que Perroux estime que le sous-développement vient d’un effet de la structure de l’économie mondiale, et non pas d’un retard dans la croissance. Effectivement, il oppose la croissance quantitative qui est purement basée sur des agrégats économiques, à une croissance basée sur un développement qualitatif, qui vient de politiques volontaristes. Pour François Perroux, le but est de développer à la fois “tout l’Homme” et “tous les Hommes”, c’est-à-dire nourrir, loger, soigner et éduquer tous les individus, ce qui revient à couvrir les “coûts de l’Homme”.
L’opposition de l’humanisme chrétien et du capitalisme libéral faite par François Perroux
Dès le début de sa carrière, François Perroux manifeste son opposition ferme à un capitalisme libéral qui est fondé, selon lui, sur un individualisme radical et qui engendre la réduction des relations humaines à de simples rapports marchands. Cette vision qu’il a, ne l’amène toutefois pas à rejoindre le marxisme. En effet, Perroux est un Catholique et collabore à un magazine intitulé Esprit, qui cherche à créer une troisième voie entre l’individualisme libéral et le marxisme, et cela, depuis l’entre-deux-guerres. C’est à ce titre qu’il adhère au personnalisme et au communautarisme qui correspondent à une position intellectuelle qui met l’accent sur l’importance des personnes humaines. Cela implique donc qu’il considère que l’individu est un être relationnel, essentiellement social et communautaire (dans le sens où il appartient à une communauté). Ce courant philosophique se développe essentiellement en France vers les années 1930 et exercera une forte influence à ce moment-là.
À la place du capitalisme libéral et du socialisme marxiste, François Perroux propose un système qui se base sur ce qu’il nomme la “communauté de travail”, qui doit rompre, selon lui, autant avec le pouvoir de l’argent, qu’avec la lutte des classes.
Plutôt qu’une démocratie parlementaire avec un système de partis, Perroux soutient une démocratie organique, c’est-à-dire un système dans lequel il y a une sélection des meilleurs, qui en deviennent alors les dirigeants. La démocratie organique qu’il souhaite se base sur les communautés locales et professionnelles.
Dans plusieurs de ses écrits et publications, François Perroux va rejeter le corporatisme fasciste, qui correspond à un régime qui ne défend que ses intérêts (ceux de sa corporation ou de son groupe social), en ignorant généralement ceux de l’intérêt général. Le fascisme étant considéré comme un régime politique autoritaire. Néanmoins, Perroux va se reconnaître dans le projet de révolution nationale promu par le régime de Vichy au début des années 1940 en France. C’est pour cela qu’il va participer à la commission qui sera chargée d’élaborer une constitution à ce régime. Il considérait quelques années plus tôt qu’une révolution ne pouvait qu’être nationale.
Toutefois, il s’est montré de plus en plus critique du pouvoir mené par Pétain, jusqu’à rompre avec en 1943 pour se rallier au gaullisme. Ce changement de position en 1944 va être pour lui un tournant capital dans sa vie politique. Malgré cette évolution, il gardera toute sa vie une utopie communautaire avec l’espoir d’avoir une communauté harmonieuse et solidaire qui fasse passer l’humain avant tout.
Les grandes orientations d’une politique de développement
Dans le cas d’une politique de développement, Perroux indique qu’il faut tout d’abord réaliser un diagnostic, à la fois sur les désarticulations (c’est-à-dire sur les relations qui s’établissent mal ou pas du tout entre les divers aspects de l'activité), et sur les ressources naturelles et humaines. Une fois que cela est fait, il est nécessaire d’avoir une vision globale, et non pas qu’économique, dans la mesure où il existe des tensions sociales et des contradictions dans les sociétés qu’il est important de prendre en compte. Par conséquent, il faut élaborer un projet collectif, qui prend en compte ce que Perroux appelle “l’avantage collectif d’une nation en train de se faire”.
Dans ce fonctionnement, l’État a, selon lui, un rôle essentiel d’arbitre afin d’agencer trois flux de base, à savoir les flux des opérations privées et marchandes, les flux des opérations publiques au sens large et les flux de transferts sociaux. De plus, selon lui, l’État doit aussi notamment conduire la recherche et participer à la diffusion des innovations.
D’une manière générale, pour François Perroux, le développement doit se faire autour de deux finalités. La première est politique et culturelle avec pour objectif de libérer le pays de l’étranger. La seconde est économique avec pour objectif de mobiliser les énergies afin de réduire la désarticulation et la domination. Ces deux finalités nécessitent d’améliorer l’articulation interne d’une part, et de rééquilibrer le commerce extérieur d’autre part.
En ce qui concerne les politiques à mettre en place à l’intérieur du pays, Perroux stipule qu’il faut mieux assembler l’industrie et l’agriculture. Il insiste également sur la notion de Pôle de développement qu’il caractérise comme des unités économiques moteurs dans le développement économique. Afin que ces unités agissent en faveur du développement, et non pas contre, Perroux affirme qu’il est important qu’elles adhèrent au projet collectif.
La vision de la mondialisation de François Perroux
Lors du débat autour de la mondialisation dans les années 1950, François Perroux a tendance à la défendre. En effet, pour lui, les économies nationales du 20ème siècle ne peuvent être viables qu’au sein d’ensembles plus grands et vastes de peuples solidaires. À travers les deux plus grandes puissances de l’époque, les États-Unis et l’URSS et grâce à l’amélioration des conditions de transport, l’industrie se mondialise. Cela a pour conséquence que la science, l’industrie et la technique participent à construire une grande mécanique mondiale qui suit sa propre logique, avec une place importante réservée aux machines.
Pour Perroux, il existe une “économie du genre humain” à travers l’économie mondiale qui permet d’assurer le plein développement de l’individu, sachant que ce dernier doit être en quelque sorte “créé”.
Il accuse les Blancs et les Occidentaux de racisme et veut, par conséquent, modifier leur mentalité. Il souhaite faire face à tous les obstacles naturels, biologiques et sociaux afin que les Hommes puissent s’autocréer.
François Perroux a eu une opinion positive sur les institutions de Bretton Woods qui ont façonné un nouveau système financier et politique international après la Seconde Guerre mondiale, à travers la création de la Banque Mondiale (BM), ainsi que du Fonds Monétaire International (FMI). Il estime que ces institutions permettent d’améliorer la gouvernance mondiale, même si Perroux critique le fait qu’elles soient dominées par les Anglo-saxons. Il tient ces critiques pour avoir étudié les concepts d’égalité et de domination.
À défaut d’un gouvernement mondial, François Perroux défend une mondialisation des décisions en ce qui concerne l’économie et la politique. Il juge que les désordres et les problèmes qui affectent l’économie mondiale de son époque viennent de l’opposition, à l’intérieur du capitalisme, du travail et de l’argent.
Dans son livre intitulé Le Pain et la Parole, publié en 1969, Perroux se positionne en faveur d’un fédéralisme universel et mondialiste, tant qu’il ne sert pas de façade aux impérialismes. Il est aussi favorable à un transfert de solidarité à l’intérieur d’un pays pour réduire les inégalités, et entre des nations qui ne possèdent pas la même richesse, pour la même raison.
La vision de l’Europe de François Perroux
Pour François Perroux, la construction européenne rejoint tout à fait la vision qu’il développe de la mondialisation. En effet, pour lui, les citoyens européens doivent se débarrasser d’un sentiment de supériorité universelle qu’ils ont du fait de l’avance acquise au moment de la révolution industrielle. Il estime qu’ils doivent aussi participer au développement des pays qui ont pris du retard à ce niveau. Il juge notamment que la création d’entités supranationales européennes (c’est-à-dire qui se situent au-dessus des institutions nationales) peut contribuer à cet essor, et même servir ensuite de modèle à d’autres régions du monde.
Dans son livre intitulé L’Europe sans rivages, publié en 1954, François Perroux développe le sujet de l’Europe des six, qui correspondait à la Communauté européenne du charbon et de l’acier, qui a vu le jour en 1951.