Informations principales
Friedrich von Hayek est un économiste, professeur d’université et philosophe austro-britannique né le 8 mai 1899 à Vienne et mort le 23 mars 1992 dans la ville de Fribourg-en-Brisgau en Allemagne. Il a vécu en Autriche, aux États-Unis, au Royaume et en Allemagne pour enseigner dans des universités. Il a été naturalisé britannique en 1938.
Hayek est considéré comme l’un des économistes les plus importants du libéralisme du 20ème siècle. Sa carrière a été inspirée, selon ses propos, de son expérience durant la Première Guerre mondiale et de sa volonté qui en a découlé d’éviter à nouveau les erreurs qui ont amené à ce conflit.
Il appartient à l’École autrichienne d’économie aux côtés de Ludwig Von Mises et de Carl Menger. Il défend le libéralisme et le capitalisme et s’oppose à l’utilisation trop importante des mathématiques dans l’économie. À ce titre, il s’est constamment opposé aux théories de John Maynard Keynes qu’il ne juge pas pertinentes. Pour lui, les politiques de relance d’inspiration keynésienne, qui sont basées sur le financement public et la dépense publique, ne font au final qu’augmenter l’inflation, le chômage, et l’assistanat.
Hayek n’appliquait pas la pensée libérale exclusivement à l’économie, mais aussi à tous les domaines de la vie en société, et d’une manière plus générale, à l’être humain.
Il considère aussi que les crises économiques sont provoquées par des bulles spéculatives causées par le système bancaire, contrairement au modèle dominant (porté par Milton Friedman notamment) qui veut que les crises aient des origines extérieures au système économique. En effet, pour lui, les crises économiques ne sont que la conséquence de l’excès de crédit. Ce dernier étant causé par des politiques monétaires beaucoup trop laxistes.
Au-delà de l’économie, il s’est intéressé à de nombreux autres domaines tels que le droit, la philosophie, la psychologie, ou encore la science politique. Il a notamment travaillé dans le secteur de l’économie de l’information. Hayek a cherché à comprendre les causes des crises économiques, spécialement celle de 1929. Il a également développé des théories concernant l’entrepreneuriat, le rôle des institutions politiques et les réformes qui seraient nécessaires au système monétaire moderne.
Ses analyses sur les crises et sur les cycles économiques lui ont permis d’obtenir un Prix Nobel d’économie en 1974 avec son confrère, l’économiste suédois Gunnar Myrdal. Leurs travaux ont concerné la théorie de la monnaie et des fluctuations économiques, ainsi que l’interdépendance des phénomènes économiques, sociaux et institutionnels.
Ses ouvrages majeurs sont La Route de la servitude publié en 1944, La Constitution de la liberté publié en 1960 et enfin, Droit, législation et liberté publié en 1973. Ces œuvres ont eu un rôle majeur dans la constitution de la pensée libérale et traditionaliste.
La monnaie neutre est une illusion selon Friedrich Hayek
Il existe trois façons de concevoir la monnaie en économie.
La première est le fait de considérer que la monnaie est entièrement neutre et donc qu’elle n’a aucun effet (qu’il soit positif ou négatif) sur l’économie réelle. C’est la vision des classiques et néoclassiques.
La deuxième est le fait de considérer que la monnaie n’est pas neutre. C’est la vision de Keynes pour qui la quantité de monnaie peut avoir une influence sur les niveaux de production et d’emploi.
Enfin, la troisième est une position intermédiaire entre les deux précédentes. C’est celle de Friedrich Hayek et de Friedman notamment. Ils considèrent que la quantité de monnaie ne peut jamais influencer de manière favorable le niveau de l’activité (sauf à court terme pour Friedman), mais qu’elle peut être un facteur de déséquilibre et de récession.
Hayek se démarque de la théorie quantitative de la monnaie
Le crédit va permettre d’accroître la production. Lorsque les banques mettent des fonds à la disposition des entreprises à partir de la création monétaire, cela signifie qu’il y a la formation de crédits, mais sans épargne préalable. Le taux d’intérêt monétaire qui est demandé par les banques sera alors inférieur au taux d'équilibre qui égalise l’investissement avec l’épargne volontaire. L’investissement devient donc supérieur à l’épargne et la demande de biens d’investissement augmente, ce qui conduit à une hausse des prix de ces biens, mais pas des autres puisque l’épargne volontaire n’a pas varié.
Avec ce raisonnement, Hayek se démarque de la théorie quantitative de la monnaie, selon laquelle le volume des moyens des paiements n’a un effet que sur le niveau général des prix. En effet, il raisonne à partir de grandeurs globales et il néglige les effets de la masse monétaire sur les prix relatifs et sur la structure de la production.
Quand il y a un excès de crédit dans l’économie, les prix relatifs évoluent en faveur des biens d’investissement qui deviennent plus rentables. Cependant, cela entraîne le déplacement des facteurs de production, les prix des biens de consommation augmentent alors à leur tour.
La neutralité monétaire n’est qu’une illusion
Friedrich Hayek avance le concept d’épargne forcée, qui correspond au résultat de la hausse subie des biens de consommation. Si les banques continuent à maintenir l’expansion économique par le crédit, elles stimulent l’inflation qui provoque à son tour la chute de la rentabilité.
Ce qui est important dans l’analyse de Hayek n’est pas le niveau général des prix, mais la déformation permanente des prix relatifs.
Contrairement à Friedman, pour qui l’accroissement de la masse monétaire en fonction de la croissance économique est nécessaire pour éviter l’inflation, y compris l’objectif de stabilité de la valeur de la monnaie peut être déséquilibrant. Les gains de productivité réalisés grâce à l’investissement amènent à une baisse des prix, pour stabiliser le niveau général des prix, il faut alors injecter de la monnaie supplémentaire ce qui va provoquer à terme, une crise.
L’objectif doit donc être la neutralité de la valeur de la monnaie, et non pas sa stabilité. Cependant, pour Hayek, cet objectif n’est pas forcément réalisable. Pour lui, il est impossible de maintenir une offre de monnaie constante, car il y a trop de facteurs qui mettent le volume des moyens de paiement hors de contrôle du système bancaire. Cela correspond à la concentration du capital, l’externalisation de la production, ou encore les délais de paiement qui agissent sur la masse monétaire en circulation. Hayek en vient à la conclusion que la neutralité monétaire n’est qu’une illusion, et qu’il est utopique de penser qu’on peut éliminer les effets perturbateurs de la monnaie, car cette dernière ne sera jamais déversée de manière uniforme dans le système économique.
L’inflation est terrible à cause des graves problèmes qu’elle entraîne, mais c’est une illusion de penser que la Banque Centrale, y compris si elle est indépendante de l’État, peut réguler la masse monétaire.
Il faut enlever aux Banques Centrales le monopole de l’émission de la monnaie selon Friedrich Hayek
Pour Friedrich Hayek, la solution ne peut passer que par la libre concurrence bancaire qui va provoquer une auto-restriction monétaire et par le retrait aux gouvernements de leur monopole sur l’offre de monnaie de réserve. Mettre en place une concurrence monétaire consiste à permettre aux banques d’émettre une monnaie sous leur seule responsabilité.
Chaque banque doit annoncer son intention de maintenir constante la valeur annoncée de sa monnaie, et le marché doit retenir la monnaie la plus performante et donc la plus stable, car elle sera la plus à même de permettre le calcul économique réaliste en tant qu’étalon.
Pour Hayek, c’est parce que la monnaie est active, autant à court qu’à long terme, et qu’elle naît à l’intérieur même du marché, qu’il faut accepter sa dépolitisation. Cette dernière passe par l’abandon de la part de la Banque Centrale de certaines de ses missions (comme l’émission de monnaie par exemple), l’acceptation du libre jeu de la concurrence comme sur un marché classique, l’élimination des incompétences ainsi que la nécessité d’accepter l’échec bancaire qui est la condition pour Hayek, de la liberté et du succès des plus méritants.
Sa recommandation la plus importante est le fait d’enlever aux Banques Centrales le monopole de l’émission de la monnaie et de rendre aux banquiers privés toute la responsabilité des crédits qu’ils accordent.
Une nouvelle analyse du marché
Pour Friedrich Hayek, la défense du marché est un concept important. Il a cherché avec son travail à montrer les limites de l’analyse néoclassique du marché. Pour celle-ci, chaque agent économique connaît ses préférences, ses objectifs, ses contraintes et il prend ses décisions de manière à maximiser sa satisfaction. La théorie néoclassique suppose aussi que chaque individu est rationnel et peut faire en toute circonstance un calcul d’optimisation qui lui permet d’avoir la meilleure solution. De plus, la coordination s’effectue par les prix de marché dans la mesure où la concurrence est parfaite.
Un modèle irréaliste
Hayek juge ce modèle irréaliste étant donné que les éléments qui servent de données aux agents et à partir desquels ils doivent faire leur calcul de maximisation ne sont pas des données exogènes, et donc objectives. Les effets de démonstration (c’est-à-dire l’imitation des comportements de consommation de groupes sociaux plus élevés), les effets d’imitation de mode, ou encore d'apprentissage jouent un rôle important dans les prises de décision des consommateurs. Il se passe le même phénomène du côté de l’offre quand par exemple le procédé de fabrication d’une entreprise est copié par la concurrence.
En analysant les structures de la production, Hayek a voulu montrer que c’est en cherchant à écouler ses marchandises que l’entrepreneur réalise qu’il existe une surproduction ou au contraire, une pénurie sur son marché.
Le marché pour lui n’est donc qu’un lieu de rencontre entre l’offre et la demande, ce qui permet d’aboutir à la formation d’un prix. C’est le lieu où circulent des informations entre les consommateurs et les producteurs.
Hayek s’oppose à la vision marginaliste selon laquelle l’agent (qui est supposé informé et rationnel) est tout le temps confronté à la rareté qui lui impose de réaliser un calcul, c’est la maximisation sous contrainte.
Le résultat final est imprévisible
Au-delà de la fonction d’échange entre les différents agents économiques, le marché permet de diffuser des informations. Dans une économie de marché, les acteurs prennent constamment des décisions à partir des informations dont ils disposent. Leur but est alors de tirer parti des opportunités qui se présentent à eux (produire ce qui se vend bien, acheter moins cher, etc). Mais au même moment, selon Hayek, des millions d’autres individus prennent aussi des décisions similaires ou pas, sur la base d’informations comparables. Le résultat final de toutes ces décisions individuelles est largement imprévisible. À partir de cela, Hayek donne une nouvelle interprétation du marché. Il considère que le modèle de concurrence parfaite dans lequel les agents économiques prennent des décisions d’offre et de demande sans se soucier les uns des autres est fictif.
Concrètement, dans une économie où seul le marché règne, la rémunération de chaque individu dépend du hasard, mais en même temps de l’observation attentive des signaux du marché. Mais dans tous les cas, le résultat final est imprévisible. Pour expliquer cela, Hayek avance l’idée d’un processus aléatoire qui, grâce à un tri successif et par recherche systématique d’informations finit inconsciemment par privilégier les meilleures solutions.
Si la concurrence existe, c’est précisément parce qu’elle est toujours imparfaite, sans remettre en cause l’efficience du marché. Le prix joue le rôle d’intermédiaire en informant les acteurs et en ajustant l’ensemble des décisions. Cela permet au marché d’être l’outil essentiel de l’ordre social dans la mesure où il est le mécanisme d’adaptation des actions des différents agents économiques.
Hayek dénonce vivement les manipulations monétaires qui brouillent les signaux du marché, car pour que les ajustements du marché puissent se faire, il faut que rien ne vienne fausser les prix relatifs. Si une perturbation monétaire vient manipuler les prix, cela prive les agents économiques d’une information essentielle et ils risquent de faire de fausses anticipations, ce qui va empêcher les déséquilibres de se résorber.
La vision de la démocratie de Friedrich Hayek
Pour Friedrich Hayek, il est important de sauver l’idéal démocratique, car selon lui, il est en train de tomber dans le discrédit. Hayek se considère comme un démocrate, mais il s’oppose à ceux qu’il appelle les démocrates dogmatiques. Pour ces derniers, le Gouvernement n’a qu’une seule limite, l’opinion majoritaire.
Hayek défend un libéralisme qui limite les pouvoirs du Gouvernement
Hayek défend un libéralisme qui limite les pouvoirs du Gouvernement, qu’il soit démocratique ou non. Deux visions d’une même tendance s’affrontent. Les démocrates proposent une doctrine dans laquelle l’origine de la loi se trouve dans la souveraineté populaire. Les libéraux au contraire, proposent une doctrine dans laquelle la loi respecte les libertés individuelles, parce qu’elle est générale.
Mais pour lui, avec les différentes conceptions qui existent, la démocratie n’est pas à l’abri d’une dérive autoritaire.
Cependant, les libéraux et les démocrates sont d’accord sur le fait que tout le monde doit être à égalité devant la loi, ce qui implique que tous les individus doivent avoir la même part dans l’élaboration des lois.
Trois arguments en faveur de la démocratie
Hayek distingue trois arguments en faveur de la démocratie. Premièrement, s’il y a un désaccord, le plus efficace pour éviter un conflit violent est de se soumettre à la majorité. Deuxièmement, la démocratie est reconnue depuis longtemps comme un rempart efficace pour la liberté individuelle (même si elle n’est parfois pas suffisante). Enfin, elle est le meilleur moyen d’élever le niveau général de compréhension des affaires publiques. Ces avantages font de la démocratie l’une des meilleures méthodes pour atteindre les buts fixés par le libéralisme.
Néanmoins, il y a des limites à la souveraineté populaire, la démocratie ne peut pas tout légitimer au risque de toucher gravement aux libertés individuelles. Pour Hayek, cela signifie que la souveraineté populaire doit avoir des principes qui vont servir de bornes, cela correspond aux lois naturelles et aux contrats sociaux. Pour lui, c’est l’acceptation de ces principes communs qui fait une communauté. Au contraire, une majorité qui ferait ce qui lui plaît serait la marque d’une démagogie. Défendre cette conception mènerait la démocratie à sa perte, car cela affaiblirait considérablement le Gouvernement démocratique. Divers intérêts se disputent ses pouvoirs illimités et il doit donc donner satisfaction à assez d’entre eux pour s’assurer l’appui d’une majorité.
Ce raisonnement invalide l’idée selon laquelle une démocratie qui obéit à une majorité, ne pourrait agir que dans le sens de l'intérêt général. Pour que la démocratie dure dans le temps, elle doit se convaincre qu’elle n’est pas à la source de la justice. Un peuple libre n’est pas forcément un peuple d’individus libres.
La démocratie implique que l’on respecte une action guidée par l’opinion majoritaire, cela ne signifie pas que cette opinion soit sage. Une avancée pourrait même se faire si un petit nombre arrive à convaincre la majorité.
Seule une conception dynamique de la constitution des opinions peut préserver la démocratie de la stagnation pour Friedrich Hayek
Seule une conception dynamique de la constitution des opinions peut préserver la démocratie de la stagnation pour Hayek. Il est donc important que les opinions se forment à l’abri de l’influence de la majorité. Les libertés d’expression et de discussion sont primordiales, même si les opinions se forment aussi avec les expériences personnelles.
Il ne faut pas attendre des dirigeants politiques qu’ils fassent progresser l’opinion vu que dans leur intérêt, ils ont plutôt tendance à flatter l’opinion. Ce sont donc aux penseurs professionnels d’avoir conscience de leur responsabilité et de leur devoir pour ouvrir la voie à de nouvelles approches. Par conséquent, un philosophe qui ne suit que l’opinion majoritaire trahirait sa mission.
Par ailleurs, pour Hayek, une dictature peut aussi être libérale. Pour lui, la démocratie et le libéralisme ne se confondent pas. Pour définir cela, il a analysé les contraires. Le contraire du libéralisme est le totalitarisme, et celui de la démocratie, l’autoritarisme. Il est possible qu’une démocratie devienne totalitaire et il est possible qu’un Gouvernement autoritaire se laisse guider par des principes libéraux. Donc, finalement, un Gouvernement autoritaire peut parfois être un rempart nécessaire contre les tentations totalitaires de la démocratie.
La tradition, la raison et le progrès
Pour Friedrich Hayek, la notion de tradition est importante. Pour lui, cela correspond à ce qui est transmis à travers le temps. Une règle, une structure, ou encore un mode d'action, c’est-à-dire tous les différents éléments d’une culture, ne sont transmis que lorsqu’ils sont plus efficients que d’autres, ce qui leur permet de traverser le temps. Les structures formées par les pratiques traditionnelles ne sont donc ni naturelles (d’un point de vue biologique), ni artificielles (d’un point de vue de l’intelligence), elles sont le résultat d’un processus de filtrage qui est guidé par les avantages différentiels acquis par des groupes (de manière accidentelle ou adoptées pour des raisons inconnues).
Cette notion de tradition amène au lien entre la culture et la raison. L’Homme n’a pas développé la culture parce qu’il était doué de raison. Il s’est distingué par sa capacité d’imiter et de transmettre ce qu’il a appris. Selon Hayek, il a appris ce qu’il fallait faire, mais sans comprendre pourquoi il fallait le faire, car c’est plus avantageux pour lui de suivre la coutume que de chercher à la comprendre.
Pour Hayek, la tradition est surtout composée de règles ce qui laisse penser qu’elle est donc essentiellement morale et juridique. Mais c’est une vision trop étroite, car ces règles intègrent les capacités cognitives de l’Homme qui lui permettent de se représenter son environnement. C’est précisément cette représentation qui permet à l’Homme de prévoir des événements extérieurs et d’être prévenu grâce à l'action, ce qui permet l’apparition de la raison. Pour Hayek, il y a davantage d’intelligence dans les règles de conduite transmises par les traditions, que dans les pensées d’un individu. Pour lui, ce qui a rendu les individus bons n’est pas la nature ou la raison, mais bien la tradition.
Cependant, favoriser la tradition ne signifie pas qu’il faut rester attaché à tout ce qu’a pu produire le passé. Hayek ne se considère d’ailleurs pas comme un conservateur. Pour lui, la tradition n’est pas immuable et constante, l’innovation est parfois nécessaire. Cela implique quand même que tout progrès doit être basé sur la tradition, car elle est le fondement de toute construction, y compris si parfois elle peut avoir des défauts qu’il faut essayer de corriger. Aucune règle ne peut prétendre avoir une valeur absolue, chacune d’elles prise seule peut être rejetée tant que cela ne remet pas en question la cohérence du système traditionnel des règles dans son ensemble.
Le passage d’une société fermée à une société ouverte
Pour Friedrich Hayek, il y a un passage progressif, ce qu’il appelle une émergence évolutionnaire, d’une société fermée à une société ouverte.
La société fermée est caractérisée par la recherche en commun de résultats concrets et visibles. Cette recherche est guidée et soudée par des instincts tribaux, innés et par l’autorité d’un chef. Le groupe est restreint et composé de membres qui se reconnaissent entre eux, c’est une société du face à face. Ce groupe défend son territoire contre les étrangers qui sont perçus comme des intrus.
La société ouverte, au contraire, est soudée par des règles abstraites. Les actions ne sont pas jugées en fonction des résultats obtenus, mais en fonction de règles. On peut désigner cette société de nomocratie, c’est-à-dire gouverner en étant en conformité avec un système de lois. L’ouverture de la société est fondée sur l’échange et sur une grande division du travail.
Passer d’une société restreinte et fermée à une société ouverte vient du choix de traiter toute autre personne comme un être humain, et non plus comme un ami ou un ennemi. Cela implique d’abandonner les loyalismes traditionnels (tels que l’allégeance au clan, à la Nation, à la religion, à la classe sociale, à la race, etc) pour laisser place à une justice conçue comme étant l’application des règles de conduite abstraites. Le passage à une société ouverte n’est pas qu’une modification sociale, mais également une évolution des valeurs morales.
Le passage à une société ouverte commence généralement avec le troc. Elle a pris forme avec la découverte du fait que les individus peuvent vivre ensemble de manière pacifique, en apportant des avantages à chacun, sans qu’ils soient obligés de se mettre d’accord sur les objectifs qu’ils poursuivent de manière indépendante.
Une société ouverte est une société qui n’a pas de buts communs concrets, c’est en fait une communauté par les moyens. Le ciment d’une société ouverte correspond donc aux relations économiques. Chaque personne cherche la meilleure satisfaction possible à ses besoins matériels. C’est de là que résulte l’importance de l’ordre du marché, ou catallaxie. L’absence d’objectifs concrets communs au sein de la société ouverte change forcément la vision de la politique. Dans une société ouverte, le but essentiel de la politique est d’assurer un ordre global abstrait de sorte à offrir aux membres de la société la meilleure chance d’atteindre leurs fins particulières, diverses et ignorées.
Par ailleurs, pour passer d’une société fermée à une société ouverte, cela nécessite l’obéissance à des règles apprises. Ces règles vont à contre-courant de certaines règles innées et naturelles qui étaient adaptées à la vie d’une société fermée.
L’importance de l’ordre de marché, ou catallaxie
Ce terme de catallaxie est emprunté à Ludwig von Mises par Hayek. Cela désigne pour ce dernier un réseau de nombreuses économies qui ont des relations mutuelles, c’est-à-dire l’ordre du marché. C’est un ordre spontané qui naît de l'ajustement mutuel des économies concernées qui constituent ce marché.
Pour Friedrich Hayek, le fonctionnement du marché, traduit par la catallaxie, est comme un jeu qui permet de créer des richesses. Concrètement, c’est un affrontement dans les règles et tranché par une habilité, une forme ou une chance supérieure. Il permet de créer des richesses, car il permet de faire circuler entre les différents joueurs des informations qu’ils auraient sinon ignorées. Ces informations sont fournies par les prix qui se forment sur le marché et qui agissent comme des signaux. Ces signaux informent les acteurs de leurs besoins mutuels sans qu’ils n’aient besoin de se connaître. Cela implique que le hasard aura un rôle dans les résultats des processus du marché. Cela n’est pas considéré comme une injustice puisque les résultats ne viennent pas d’une volonté délibérée.
Pour Hayek, le jeu de catallaxie est le seul qui peut faire circuler efficacement l’information et donc celui qui permet de créer des richesses. Cependant, pour lui, il ne faut pas pour autant oublier que l’échec est possible, et même qu’il est bénéfique. En apprenant de ses essais et de ses erreurs, chaque individu a la possibilité de progresser dans ses anticipations. L’échec, ou le risque d’échec est bénéfique, car c’est comme une incitation à mieux examiner les circonstances et les signaux constitués par les prix afin de tirer un meilleur parti du jeu avec des anticipations plus pertinentes.
Généralement, l’habilité est récompensée, mais cela n’empêche pas certains échecs. Cela peut alors créer un sentiment d’injustice et de revendication pour davantage d’intervention de la part de l’État pour corriger les conséquences de la catallaxie. Pour Hayek, le Gouvernement ne doit pas satisfaire ces revendications, car son intervention fausserait alors le mécanisme du marché et serait injuste en créant un privilège pour certains, au détriment des autres. Toute intervention visant à corriger des effets jugés injustes ne fera que nuire à tous les acteurs du marché. Par conséquent, les règles du jeu ne doivent pas garantir aux joueurs la valeur marchande de leurs propriétés, mais seulement protéger le droit de disposer librement de ces propriétés.
L’État de droit et la Constitution
Pour Friedrich Hayek, l’État de droit équivaut à l’idéal de l’égalité devant la loi.
Les gouvernements doivent aussi être soumis à la loi
Si la loi est la même pour tous, cela signifie que les gouvernants aussi doivent y être soumis. Le véritable souverain n’est pas le gouvernant, mais la loi, peu importe le régime, y compris si c’est la démocratie. Cette conception entraîne certains principes tels que l’impossibilité de sanctions qui ne sont pas prévues dans une loi antérieure et la non-rétroactivité des limites claires fixées par la loi en ce qui concerne l’interprétation laissée aux magistrats.
Pour Hayek, le pouvoir ne corrompt que lorsque certains individus mettent à leur service d’autres individus sans leur consentement. Afin d’éviter ce genre de situation arbitraire et pour mettre la loi à l’abri des manipulations du pouvoir, il faut limiter le pouvoir en question, peu importe celui qui l’exerce. Cela peut passer par une séparation des pouvoirs qui va empêcher de réunir et de coordonner des moyens nécessaires à un régime arbitraire. Pour Hayek, cela peut être la séparation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, mais également un fédéralisme.
Cela passe aussi par une Constitution. Avant, la loi suprême était celle de Dieu, de la Nature ou encore de la Raison. Une Constitution permet de formuler en rendant explicites et exécutoires les lois précédentes. Cela permet également de prévoir la possibilité de faire des pourvois pour un motif d’inconstitutionnalité. De la même manière qu’un juge doit formuler ses jugements en fonction de la loi, le législateur doit formuler des lois qui sont conformes aux principes de la Constitution.
Ce raisonnement correspond à l’idéal constitutionnaliste. La Constitution comprend les principes et les convictions partagés par tous. Cela rend possibles les discussions et la persuasion, et légitime les lois qui s’y conforment. C’est l’expression d’une conception de la vie en société et de ses règles. Elles sont donc soustraites à l’arbitraire d’un Gouvernement. Cela ne signifie pas qu’elles ne peuvent plus changer, cela peut être le cas si les convictions fondamentales du peuple ont changé, cela peut passer par un référendum.
La force de la civilisation libérale est d’être le résultat d’une tradition
Ce qui fait la force de la civilisation libérale pour Hayek est d’être le résultat d’une tradition, et pas d’un plan délibéré. Mais selon lui, cette tradition est en danger parce que la démocratie a été considérée comme un rempart suffisant pour la liberté. Parce qu’il venait de la volonté populaire, le législateur s’est aussi cru autorisé à user d’un pouvoir sans limites, et à rompre avec l’égalité de traitement devant la loi au nom de la protection de certains groupes. Pour Hayek, cela a ouvert la porte à un arbitraire permanent, et à la destruction du constitutionnalisme. Il a donc proposé un modèle de Constitution qui serait pour lui, idéal.
Pour lui, la Chambre des Communes (il est austro-britannique) pourrait diriger la politique du Gouvernement, et une Chambre haute (qui remplacerait la Chambre des Lords) serait chargée seule de la définition des lois.
Il y aurait donc une Assemblée législative uniquement là pour édicter les lois, une Assemblée gouvernementale pour gouverner, mais en respectant les règles de l’Assemblée législative et une Cour Constitutionnelle chargée de résoudre les conflits entre l’Assemblée législative et l’Assemblée gouvernementale. Il y aurait bien sûr le Gouvernement qui serait le Comité exécutif de l’Assemblée gouvernementale et enfin, l’appareil bureaucratique correspondrait à l’Administration.
La Constitution doit se contenter d’affirmer qu’elle défend la liberté individuelle
Pour lui, les lois générales doivent être dans une Constitution qui serait celle de la liberté.
Cette Constitution devrait reposer sur le principe fondamental que toute obligation ou interdiction ne devrait pas être possible. Cela pourrait être possible, mais uniquement dans des situations d’exception, en conformité avec des règles universelles et connues qui protègent le domaine personnel de chaque individu et modifiables seulement par l’Assemblée législative.
En revanche, Hayek n’est pas favorable à l’inscription dans la Constitution d’une Déclaration de droits puisque cela pourrait laisser penser que seuls les droits énoncés de manière explicite seraient protégés. Pour lui, au contraire, la sphère libre de l’individu doit comprendre toute action qui n’est pas, de manière explicite, restreinte par une loi générale. L’individu ne doit donc être réprimé que s’il a des comportements qui empiètent sur les domaines d’autrui, il ne doit pas être gêné dans ses activités tant qu’elles n’affectent que son domaine protégé (ou d’autres personnes qui y consentent). Cela doit permettre à l'action politique de garantir toute la liberté qu’elle peut.
La Constitution doit donc se contenter d’affirmer qu’elle défend la liberté individuelle, c’est-à-dire l’absence de contrainte arbitraire.