Informations principales
Robert Louis Heilbroner est un économiste américain, né le 24 mars 1919 à New York, aux États-Unis et mort le 4 janvier 2005 dans la même ville.
Heilbroner est considéré comme un économiste non conventionnel. Il se définit lui-même comme un théoricien du social et un philosophe du monde, c’est-à-dire un philosophe préoccupé par les affaires mondiales, ce qui prend en compte, par exemple, les structures économiques. C’est à ce titre qu’il cherchait à mêler les disciplines économiques, historiques et philosophiques et qu’il se déclarait socialiste. Cela ne l’a pas empêché de reconnaître, après l’effondrement de l’Union Soviétique, que le capitaliste avait gagné et qu’il organisait les affaires matérielles de l’humanité de manière plus satisfaisante que le socialisme. Le modèle capitaliste préféré de Heilbroner est celui des États-providence scandinaves, très redistributifs (comme ce qui se fait en Suède par exemple).
Il a acquis sa notoriété grâce à la publication du livre Les grands économistes, publié en 1953. Cet ouvrage est une biographie des plus grands économistes, prenant en compte, entre autres, Adam Smith, Karl Marx et John Maynard Keynes. Il s’est vendu à plusieurs millions d’exemplaires, ce qui en fait l’un des livres d’économie les plus vendus au monde dans ce domaine.
Heilbroner a également mis au point une méthode de classification des économies, à savoir traditionnelle (c’est-à-dire principalement basée sur l’agriculture, ou de subsistance), dirigée (c’est-à-dire une économie planifiée, qui implique souvent l’État), de marché (c’est-à-dire capitaliste), et enfin, mixte (c’est-à-dire qui combine des éléments des précédentes).
Il a été élu, en 1972, vice-président de l’American Economic Association, organisation dont le but est d’encourager la recherche économique, d’éditer des publications sur des sujets économiques et enfin, d’encourager une parfaite liberté de discussion économique.
Les grands économistes, livre majeur de Robert Heilbroner
L’histoire de la pensée économique a été, pour Robert Heilbroner, un moyen d’analyser l’économie à grande échelle. En effet, son premier livre intitulé Les grands économistes, qu’il a écrit durant ses années de doctorat, s’est vendu à plusieurs millions d’exemplaires et a été traduit en une vingtaine de langues.
Dans cet ouvrage, il décrit et explique les travaux de ceux qu’ils jugent comme étant de grands économistes, comme Adam Smith, Karl Marx, Thomas Malthus, Joseph Schumpeter, David Ricardo, John Maynard Keynes ou encore Thorstein Veblen. Pour les rendre clairs et faciles à lire, il a volontairement utilisé une écriture compréhensible, et même souvent divertissante.
Le succès rencontré par cette œuvre s’explique vraisemblablement par son style d’écriture, mais également par le fait qu’il traite d’économistes aussi variés, que différents, et parfois même opposés dans leurs raisonnements. Ce qui l’a intéressé dans ces économistes, ce sont leurs analyses qui prennent en compte, en plus de l’économie, tout un ensemble de facteurs sociaux, politiques, psychologiques, etc. En effet, pour lui, c’est important de ne pas rester cantonné au seul domaine économique, mais de prendre aussi en compte les autres disciplines.
Des analyses de Karl Marx, John Maynard Keynes et d’Adam Smith, mais un manque d’objectivité de leur part
À travers ses travaux, Robert Heilbroner a élaboré un portrait et une synthèse de l’analyse économique réalisée par Karl Marx. C’est dans ce cadre qu’il se montre favorable à son approche dialectique (c’est-à-dire qu’il analyse la réalité à travers le concept du matérialisme), sa conception matérialiste de l’Histoire et son analyse du capitalisme. À l’inverse, il est plutôt contre l’engagement de Marx pour le socialisme en tant qu’objectif. En effet, assez rapidement, il a émis des doutes concernant la soutenabilité du socialisme.
Il complète ensuite ses travaux sur le socialisme et le marxisme par une analyse approfondie du capitalisme dans plusieurs ouvrages publiés dans les années 1980 et 1990. Il décrit le capitalisme comme un système sociopolitique transitoire qui est organisé autour d’un processus d’accumulation du capital et dont la logique est celle de la recherche du pouvoir et du prestige à travers l’accumulation en question.
Selon Heilbroner, toute approche théorique se base sur une vision, qui précède le travail d’analyse. Cette vision comporte, entre autres, des préjugés sur la nature humaine, le besoin d’égalité, ou encore le besoin de hiérarchie. Il ajoute qu’elle ne peut pas être dissociée de la pensée économique et sociale et représente une nécessité psychologique, et même existentielle, car elle permet de mieux comprendre la réalité sociale. Pour lui, cette nécessité s’étend aussi au besoin de préparer des scénarios sur les futurs des sociétés. L’incertitude quant à l’avenir de la société engendre de l’anxiété qui ne peut être apaisée, selon Heilbroner, que par le recours à une analyse des futurs possibles basée sur la raison. C’est pour cela qu’il pense que les économistes doivent proposer des scénarios pour l’avenir.
C’est à partir de là qu’il explique les différents scénarios élaborés au fil du temps par les économistes philosophes jusqu’à John Maynard Keynes. Cependant, il précise que ces scénarios ont été ensuite abandonnés au profit d’analyses ne prenant pas en compte les dimensions politiques. Avec cette analyse, Robert Heilbroner veut démontrer l’illusion que représente, selon lui, une analyse économique désintéressée. En effet, il estime que les économistes ne sont pas objectifs, puisqu’ils traitent leurs sujets de recherche à partir de leur système de croyances, ce qui implique qu’ils sont moralement engagés dans les recherches en question. Il rejoint, à ce titre, les positions d’autres économistes institutionnalistes, comme par exemple, Gunnar Myrdal.
Cette vision s’oppose à la pensée dominante qui se réclame de la vérité scientifique. Heilbroner prend l’exemple de la disparition, dans le domaine de la recherche, du mot “capitalisme” qui est un signe, pour lui, de la non-prise en compte de l’ancrage social et politique de l’économie, mais également de l’utilisation abusive de la formalisation mathématique qui dissimule les rapports de pouvoir et les relations sociales inégalitaires.
Concernant Adam Smith, Heilbroner s’est toujours intéressé à lui et en propose une approche assez nuancée. En effet, à l’inverse de ceux qui le posent en défenseur absolu du libéralisme économique et des actions qui seraient uniquement intéressées, il estime, au contraire, que les problématiques morales et sociales engendrées par le développement économique l’ont toujours préoccupé. Il trouve même en Adam Smith une sorte d’économiste philosophe idéal.
Robert Heilbroner : un économiste prolifique
Robert Heilbroner a été, durant toute sa carrière, un économiste prolifique. En effet, il a mené des études sur des domaines aussi variés que la politique économique, le socialisme, le capitalisme, les conséquences environnementales du développement économique, ou encore la méthodologie économique. Son apport a été d’intégrer des explications psychologiques, voire même psychanalytiques, à la compréhension des différents comportements économiques. Il reprend par exemple l’idée de Karl Marx, selon laquelle l’accumulation du capital est à la base du capitalisme, mais il insiste cependant sur les déterminants psychologiques et psychanalytiques qui sont sous cette logique d’acquisition.
Selon Heilbroner, cette logique d’accumulation, qui donne du pouvoir et du prestige, permet d’expliquer son ancrage dans le capitalisme. Il s’agit en fait, selon lui, de satisfaire un besoin de domination dont la source se trouve dans l’enfance. Il explique que cette dernière est marquée par les relations de domination et de subordination qui viennent des contraintes imposées par les parents. Pour lui, c’est cette prédisposition qu’il juge quasi naturelle envers la hiérarchie, qui conduit certaines personnes, une fois qu’ils ont atteint l’âge adulte, à chercher à dominer et d’autres à accepter cette domination.
En plus du désir d’accumulation, motivée par la quête de pouvoir et de prestige, il définit le capitalisme par une coordination par le marché et par l’alliance du secteur privé et du secteur public, l’État jouant un rôle central. Cela signifie donc que le capitalisme n’est pas que le résultat de décisions privées.
Dans son ouvrage intitulé L’avenir en tant qu’histoire : Les courants historiques de notre époque et la direction qu’ils prennent pour l’Amérique, publié en 1960, Robert Heilbroner prend ses distances avec les analyses du développement économique qui reposent sur les marchés. En effet, il considère que ce développement et dans ces conditions a une probabilité plus importante d’advenir dans les régimes centralisés et autoritaires, que dans les sociétés à économie de marché. C’est dans ce cadre qu’il met au point une méthode pour classifier les économies. Il y a, selon lui, l’économie traditionnelle, généralement basée sur l’agriculture et la subsistance, l’économie dirigée, c’est-à-dire une économie planifiée, qui implique souvent l’État, l’économie de marché, c’est-à-dire capitaliste, et enfin, l’économie mixte qui combine des éléments des précédentes.
Avec Peter Bernstein, Robert Heilbroner a développé une approche positive, à l’inverse de l’opinion dominante de son époque, de la politique fiscale qui était proposée par le président américain John Fitzgerald Kennedy. L’ouvrage qu’ils ont publié était consacré à l’analyse de la politique économique d’inspiration keynésienne et sera suivi de plusieurs autres publications. Selon Heilbroner, il est nécessaire de bien isoler, dans la masse de la dépense publique, celle qui sert à financer des infrastructures (comme les réseaux routiers, etc.) ou de la santé (comme la construction d’un hôpital, etc.) dont le financement n’est pas un problème, étant donné que cette dépense permet d’accroître la productivité de l’économie, ce qui aboutit, au final, à une hausse du revenu national.
Dans certains de ces derniers travaux, Robert Heilbroner a constaté qu’il y avait une progression structurelle de l’État et par prolongement, de la dépense publique dans les économies capitalistes et plus particulièrement aux États-Unis. Selon lui, la présence inévitable, mais nécessaire de l’État est une conséquence du développement du capitalisme. Il ajoute que le maintien de ce dernier en dépend même.
Par ailleurs, au-delà de l’histoire de la pensée économique et de l’analyse des politiques économiques, Robert Heilbroner s’est aussi penché sur le sujet du développement de ce qu’il appelle les pays non-développés. Il s’est également intéressé aux spécificités du capitalisme et du socialisme. Concernant l’évolution de la pensée économique moderne, il se montre de plus en plus critique en considérant notamment que les analyses proposées du capitalisme ne sont pas satisfaisantes. En effet, elles ne prennent pas en compte les rapports de pouvoir et de domination alors que, selon lui, ils font partie des fondamentaux du capitalisme.
La prise en compte de l’environnement
En 1974, Robert Heilbroner publie un ouvrage intitulé Une enquête sur les perspectives humaines. Ce travail est principalement consacré à l’analyse des conséquences du développement économique sur l’environnement. Il se préoccupe aussi du sujet de la croissance démographique (qu’il considérera ensuite comme un problème secondaire), et du risque nucléaire.
Heilbroner se montre pessimiste concernant la possibilité que la crise environnementale soit endiguée par les sociétés modernes. En effet, pour lui, cela suppose qu’il y ait un contrôle du processus accumulatif moderne, c’est-à-dire qu’il juge nécessaire de limiter l’accumulation matérielle.
Rejoignant une partie de la pensée de Karl Marx, il considère que le capitalisme provoque tout en ensemble de dégâts sociaux et environnementaux en poursuivant sa quête perpétuelle de nouveaux marchés et de nouvelles opportunités de profit. Dès la fin des années 1960, Heilbroner a beaucoup réfléchi à l’avenir du capitalisme et il estime qu’il y a peu d’issues favorables, dans la mesure où il estime que son expansion remet en cause l’équilibre écologique. À l’aube du 21ème siècle, il s’est inquiété du réchauffement climatique en prévoyant de sérieuses menaces pour la vie humaine dans ce nouveau siècle. Il n’aura cependant pas le temps de voir si ses prédictions étaient justes ou non, étant donné qu’il est mort au début de l’année 2005.