Courant préclassique : La physiocratie

 

La terre constitue la richesse de la nation dans la Physiocratie
La terre constitue la richesse de la nation dans la Physiocratie

 

Les auteurs préclassiques ont existé avant les auteurs classiques

La science économique est réellement devenue un savoir autonome avec la publication en 1776 de la Richesse des Nations d’Adam Smith. Avant cette date, l’économie est sous la tutelle des sciences humaines et sociales, y compris durant la physiocratie. En effet, elle est sous la subordination de la philosophie et plus particulièrement de la morale à travers notamment les religions et la politique. L’économie est donc utilisée à travers d’autres domaines et non pas en tant que telle. Seul Adam Smith parvient à l’émanciper de cette tutelle, mais en plus à l’imposer aux autres savoirs. Aucun auteur avant lui n’a réussi à faire cela. Pour lui, le marché donne sa place à chacun, cela implique donc que le contrat économique s’impose au contrat social. Le mérite prend la place, et même remplace le privilège hérité.

C’est pour cela qu’Adam Smith est considéré comme le père fondateur de l’économie d’une manière générale et le créateur du courant classique. Cela signifie que les auteurs qui l’ont précédé ont le statut de préclassiques. Dans ce mouvement préclassique, plusieurs phases peuvent être distinguées dont la quatrième d’entre elles, qui suit la pensée économique antique, la pensée économique médiévale et le mercantilisme, c’est la physiocratie

La physiocratie va conduire (avec le mercantilisme avant lui) à l’émergence de l’économie politique. En effet, ces deux courants distincts vont faire franchir un nouveau cap à la pensée économique, après les raisonnements de l’époque antique et médiévale. Ils vont affirmer l’économie comme un savoir qui est nécessaire à la science politique. Ils vont établir et installer l’économiste comme conseiller du Prince. Ces deux courants vont s’intéresser à la puissance du pays qui passe selon eux, par la richesse de la nation. Ils vont, tous deux, positionner l’économie comme un savoir à la disposition du monarque. Dans les pensées antiques et médiévales, l’économie était subordonnée à la philosophie. Dans le mercantilisme et la physiocratie, l’économie est également un savoir secondaire, mais cette fois subordonnée à la science politique.

Même s’ils partagent des points communs, leurs raisonnements sont différents.

 

Le mercantilisme et la physiocratie, deux visions différentes

Pour les mercantilistes, la puissance politique d’un monarque se trouve dans sa capacité à s’imposer, voire même à dominer les autres pays. Les principaux moyens pour atteindre ce but sont l’économie, la diplomatie et la guerre. L’accumulation de métaux précieux comme l’or par exemple, est censée lui donner la capacité à lever une armée importante. Les deux moyens pour se procurer ces métaux sont le commerce et l’industrie dans lesquels l’État est un des acteurs majeurs. L’économie n’existe donc pas sans la présence d’un État interventionniste qui organise, réglemente, met à disposition des infrastructures et fixe les prix. Concrètement, pour les mercantilistes, l’État doit créer les conditions nécessaires à la création des richesses. Il s’implique d’une part comme acteur avec les manufactures d’État, et d’autre part comme régulateur avec la mise en place de règles protectionnistes.

Pour les physiocrates, à l’inverse des mercantilistes, la richesse des nations ne se trouve pas dans l’accumulation de métaux précieux, mais dans la terre. La puissance d’un pays se juge alors en fonction de l’étendue de ses territoires. Les conseils des physiocrates aux monarques sont donc très différents de ceux des mercantilistes. À l’inverse de ces derniers, ils prônent une intervention de l’État limitée afin de préserver l’ordre naturel. Cette préservation passe notamment par la réduction de divers impôts. L’État doit aussi laisser les acteurs économiques exercer librement leur activité.

 

La pensée physiocratique d’une manière générale

La pensée physiocratique s’est faite en réaction à la pensée mercantiliste en vigueur à l’époque. Elle s’est développée en France avec pour chef de file François Quesnay qui a fédéré le courant avec un groupe d’économistes français plutôt hostiles au mercantilisme. Concrètement, ils ont proposé la première politique économique libérale. Pour eux, l’État n’a pas à intervenir dans le domaine économique. Malgré des nuances entre eux, ils adhèrent tous à un certain nombre de grands principes économiques.

Selon ces physiocrates, l’ordre économique est un ordre naturel qui est voulu par Dieu, c’est donc un ordre divin. Cela implique que les lois naturelles qui guident cet ordre doivent être respectées par tous, y compris donc par le monarque qui doit aussi les faire respecter.

La terre constitue la richesse de la nation, ce qui signifie que sa mise en valeur par le travail permet de créer de la richesse. C’est l’agriculture, et non le commerce, qui constitue le secteur essentiel de l’économie du pays. Concrètement, le pays met en valeur la terre qui produit alors que le commerçant transforme ou fait circuler les biens. Le travail de ce dernier ne valorise pas la terre. Pour les physiocrates, les commerçants et les artisans appartiennent donc à la classe stérile. Cela sous-entend pour eux que la bourgeoisie n’a en réalité pas le pouvoir économique qu’elle revendique et prétend avoir.

L‘ordre naturel se reproduit à l’identique et donc s’entretient. La classe productive qui est constituée des paysans met en valeur la terre, mais le rôle central revient à la classe des propriétaires de ces terres qui permet la création de la richesse grâce à la gestion des domaines agricoles.

Enfin, pour les auteurs de la physiocratie, l’intervention de l’État dans l’économie est inutile, car elle ne laisse pas faire les lois économiques. Cela peut assurer la prospérité, mais cette intervention est aussi négative, puisque les prélèvements d’impôts de plus en plus élevés nuisent finalement au bon fonctionnement du système. Ce système en question est représenté sous la forme d’un tableau comptable qui est exposé au monarque.

 

Dans la lignée de leur pensée, les physiocrates proposent un ensemble de réformes, notamment en matière fiscale et de libéralisation commerciale qui doivent permettre, selon eux, de sortir de l’interventionnisme mercantiliste.

Le courant physiocrate va durer environ une vingtaine d’années seulement. En effet, plusieurs tentatives de réformes économiques vont être avortées, notamment celles de Turgot, Contrôleur général des finances du roi de France Louis XVI. Cela n’a pas permis à ce courant de s’imposer en France, même si la source du libéralisme américain se trouve chez les physiocrates français. Cela vient notamment du fait que Pierre Samuel du Pont de Nemours a trouvé asile aux États-Unis pour fuir les excès de la Révolution française.

La physiocratie met en avant la nécessité d’étudier les faits économiques dans leurs interrelations. Cela poussera plus tard Joseph Schumpeter à considérer François Quesnay comme l’un des trois plus grands économistes, avec Léon Walras et Antoine-Augustin Cournot.

Cependant, la subordination de l’économie à la politique, autant chez les mercantilistes que chez les physiocrates ne permet pas, à cette époque-là, l’émergence de l’économie comme un véritable savoir scientifique, malgré leurs efforts.

 

Contexte historique de la physiocratie

La physiocratie repose sur une série d’hypothèses essentielles. Pour ses défenseurs, l’Homme est naturellement social, mais le contrat social n’existe pas. La société des Hommes est donc comme un univers avec un système bien ordonné, avec des lois sociales qui restent identiques et qui ne changent pas. Ces lois reposent sur le fait que les individus sont inégaux, parce qu’ils ont des capacités physiques et mentales différentes. Cependant, ils sont également égaux, mais du point de vue du droit naturel et divin. De ce fait, pour les physiocrates, seuls les sages doivent avoir le droit de s’occuper des choses publiques.

Cette démarche correspond finalement à ce qu’attendait la féodalité, l’organisation politique, sociale et économique du Moyen-Âge. Malgré la fin de cette période, des restes liés au féodalisme étaient encore vivaces. En effet, les auteurs de la physiocratie insistent sur la terre et sur les intérêts des propriétaires terriens, ils se focalisent aussi sur un pouvoir providentiel qui justifie une royauté d’inspiration divine. En ce sens, ils prônent aussi le respect de lois immuables et naturelles, ce qui revient à soutenir une classe sociale qui régresse face à une bourgeoisie industrielle et entreprenante.

Cette pensée correspond à l’attitude d’une partie du monde intellectuel français de la seconde moitié du 18ème siècle, qui, imprégné de ses savoirs, pensait qu’elle devait, de manière légitime, détenir le pouvoir.

Il y avait donc une hésitation, lors de cette période, entre la royauté absolue et davantage de démocratie. Cette hésitation est aussi le reflet d’une volonté d’avoir un gouvernement d’experts ou de savants qui est censé régler, de manière rationnelle, tous les problèmes économiques et sociaux.

Malgré certaines dérives, notamment durant les périodes de crise économique, les physiocrates ont eu le mérite d’apporter le premier vrai raisonnement macroéconomique général avec les notions de circuit et d’échange. Ce raisonnement sera la base des analyses systémiques de l’économie, traduites dans le Tableau Économique publié par François Quesnay en 1758 et en 1766. Il introduit, à cette occasion, le concept d’avances qui représente les dépenses d’équipement (ou « avances primitives« ), les dépenses d’aménagement des terrains qui n’étaient pas prises en compte dans le tableau (ou « avances foncières« ) et les dépenses courantes liées à la production agricole telles que les salaires, les engrais et semences, etc (ou « avances annuelles« ).

 

Le Tableau Économique de François Quesnay

Il existe plusieurs formulations de ce Tableau, dont une qui est la plus fréquemment utilisée.

Pour les physiocrates, il existe trois classes sociales distinctes, la classe productive qui travaille la terre, la classe des propriétaires fonciers, et celle des stériles (c’est-à-dire celle des artisans, des industriels, des commerçants, etc).

La classe stérile effectue des avances annuelles pour l’achat de matières premières. La classe des propriétaires fonciers effectue également des avances annuelles, mais pour l’achat de produits agricoles et de produits artisanaux et industriels.

Le produit net retourne alors aux propriétaires fonciers.

Sur la base de ce raisonnement, le programme politique des physiocrates était simple.

Il faut tout d’abord mettre en valeur l’exploitation des terres agricoles en favorisant les grands propriétaires terriens, en défendant les manifestations de prestige et les honneurs (comme des foires, concours, etc), en développant les baux agricoles de longue durée (9 ans), en distribuant les terrains communaux aux propriétaires en fonction des superficies déjà possédées (cela implique le rejet des ventes aux enchères), en établissant des droits de péage et des enclosures (c’est-à-dire des terrains clos), et enfin, en supprimant la vaine pâture (c’est-à-dire les terrains ouverts à tous).

Il faut aussi réformer le système fiscal en ne prévoyant qu’un seul impôt qui porte sur la terre, de sorte à inciter les propriétaires à les mettre en valeur.

Ensuite, il faut libérer l’industrie de toute charge ou impôt dans le but de faire baisser les prix des produits achetés par les agriculteurs.

Il faut également supprimer les corporations et les jurandes (c’est-à-dire les jurés au sein des corporations).

Enfin, il faut développer le libre commerce, car le bon prix correspond à celui de la concurrence.

Toutes ces recommandations ont été partagées par les membres de la Cour Royale, mais n’ont finalement pas été suivies d’effets (exceptés pour le développement des opérations de prestige et le développement des baux à longue durée). Les physiocrates vont connaître diverses difficultés.

 

Les difficultés auxquels sont confrontés les physiocrates

Les économistes physiocrates vont rencontrer un certain nombre de difficultés. Tout d’abord, ils vont être soumis à des tensions internes et à des dissidences. Après sa disgrâce en 1776, Turgot, qui était Contrôleur général des Finances va rompre avec ses amis. Pour lui, le commerce, l’artisanat et l’industrie sont productifs, car utiles à la société, contrairement à ce que la pensée physiocrate dit. Il considère même que la propriété n’est pas de nature divine, mais n’est que le résultat d’une évolution et d’une réalité historique.

Condillac, philosophe du 18ème siècle, partageait les idées physiocratiques, mais va rompre avec ses membres après s’être retiré dans une abbaye. Il va alors affirmer que toute activité est productive.

Le Marquis de Condorcet a d’abord été séduit par ce mouvement de pensée, avant de le remettre en cause en affirmant notamment l’importance du travail dans la production. Cette dernière idée l’inspirera pour rédiger son Rapport sur l’Instruction de 1792 qui va établir les fondements du système éducatif français d’après la Révolution.

Par ailleurs, les économistes de la physiocratie ont été violemment critiqués, par exemple par le frère de Condillac, l’Abbé Mably, qui va les critiquer au nom de l’égalité et de la justice sociale. Il va alors prendre la tête d’un groupe de religieux opposés à François Quesnay, ce groupe avait pour nom « les abbés« .

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