Informations principales
Kenneth Joseph Arrow est un économiste américain né le 23 août 1921 à New York, aux États-Unis et mort le 21 février 2017 à Palo Alto, dans le même pays.
Il a obtenu, en même temps que John Hicks, le Prix Nobel d’économie en 1972 pour ses travaux sur la théorie du bien-être et sur les équilibres généraux de l’économie. De plus, il a reçu en 2004 la National Medal of Science, médaille décernée aux États-Unis par le président aux personnes qui ont apporté une contribution significative dans le domaine des sciences du comportement et des sciences sociales, de la biologie, de la chimie, de l’ingénierie, des mathématiques et de la physique.
Il est considéré comme l’un des fondateurs de l’École néoclassique moderne (qui correspond à celle qui suit la Seconde Guerre mondiale).
Les travaux de Kenneth Arrow ont eu un impact important dans la science économique. En effet, pendant plusieurs décennies, il a été l’un des économistes les plus influents de son temps. Il a acquis sa notoriété grâce à ses contributions multiples et variées à la théorie de l’équilibre général concurrentiel, à la théorie du choix social (notamment à travers son théorème d’impossibilité), à la théorie de la croissance endogène et à l’économie de l’information.
C’est lui qui a introduit en économie le concept de l’apprentissage par l’action, selon lequel les individus sur le marché deviennent de plus en plus rationnels et productifs à forcer de réaliser des échanges, car ils progressent en apprenant de leurs erreurs, ce qui permet d’obtenir des coordinations. C’est à ce titre qu’il avance la notion d’effet d’expérience qu’il va utiliser pour expliquer le changement technique dans la théorie néoclassique.
Par ailleurs, il a réussi à prouver en 1951, d’un point de vue mathématique, la généralité du paradoxe de Condorcet et son théorème d’impossibilité. Il a donc participé à développer la théorie du choix social.
Toute sa vie, Kenneth Arrow a été préoccupé par le problème des inégalités sociales, dans la mesure où il a connu la pauvreté pendant quelques années étant enfant, après la ruine de son père lors de la crise économique de 1929. C’est essentiellement cette raison qui l’a ensuite fait se situer à gauche de l’échiquier politique. Cependant, bien qu’il ait été sensible à l’œuvre de Karl Marx, il n’a jamais soutenu le communisme soviétique, ni les théories qui en découlent. Il se considérait comme un sympathisant du socialisme.
C’est à ce titre qu’il estimait que c’est la société qui est responsable du bien-être de tous ses citoyens et par conséquent, la meilleure manière d’atteindre cet objectif, selon lui, est de passer par la social-démocratie. Il s’est également montré critique envers le néolibéralisme aux États-Unis et l’individualisme que cela a engendré. Pour lui, il n’y a pas d’opposition entre la liberté et l’égalité, les deux sont compatibles.
Kenneth Arrow considérait que la crise financière et économique de 2008 était causée, au moins en partie, par l’asymétrie qui existait entre la distribution de l’information d’une part et la distribution du risque d’autre part.
Durant sa carrière, il a insisté sur le fait que l’économie n’était pas une science fermée sur elle-même et donc qu’il était nécessaire de prendre en compte l’histoire et les institutions pour mieux l’appréhender.
L’utilisation des mathématiques dans les sciences économiques est importante pour Kenneth Arrow
Selon Kenneth Arrow, développer une théorie revient à disposer d’un modèle qui permet de mieux comprendre ce qui se passe et ce qui arrive. Il estime que la microéconomie (qui étudie le comportement des agents économiques et de leurs interactions) dispose de théories, mais concernant la macro-économie, il juge qu’elle n’apporte que des généralisations empiriques (c’est-à-dire basées sur l’expérience) qui ont tendance à changer rapidement.
C’est pour cela qu’Arrow soutient que les mathématiques sont un grand appui pour penser clairement, sachant qu’il considère qu’il existe des problèmes qu’il n’est possible de poser de manière cohérente que d’un point de vue mathématique.
Les choix sociaux et le théorème d’impossibilité
Kenneth Arrow a publié lors de sa thèse une démonstration mathématique du théorème d’impossibilité, ce qui lui a permis de confirmer, et même de généraliser le paradoxe de Condorcet. Ce dernier avait établi qu’il n’était pas toujours possible, au sein d’une collectivité, de faire une hiérarchie des préférences. Arrow s’est alors demandé comment on pouvait passer de l’individuel au collectif, sachant que tous les acteurs sont considérés comme étant rationnels.
Arrow a étudié les fonctions de choix social qui correspondent aux méthodes qui permettent de passer des préférences individuelles aux préférences collectives (lors d’élections par exemple dans lesquelles le choix collectif ne correspond pas forcément au choix individuel). Concrètement, Kenneth Arrow a formalisé les travaux de Condorcet et a montré qu’aucune fonction ne respectait les hypothèses et théories néoclassiques telles que celles de l’universalité, de l’anonymat, de l’indépendance, pas de dirigeant autoritaire, etc.
Par exemple, s’il y a trois propositions correspondant à A, B et C (qui peuvent correspondre à trois décisions budgétaires ou à trois candidats à une élection), certains vont préférer A plutôt que B, d’autres B plutôt que C et les derniers C plutôt que A. Arrow explique que l’opération de transitivité des choix (c’est-à-dire quand le premier a un lien avec le dernier), amène à une équation qui sera du type A > B > C > A. Cela signifie donc que si A est préféré à B et B à C, alors A est préféré à C.
Le problème qui s’est présenté a été de savoir s’il était possible de passer d’une transitivité des choix individuels à une transitivité des choix collectifs, ces derniers étant considérés comme la réunion des choix individuels. Kenneth Arrow prouve que ce n’est pas possible, ce qui justifie l’expression « théorème d’impossibilité ». Condorcet était arrivé aux mêmes conclusions.
Sur la base de ce raisonnement, Kenneth Arrow considère que les décisions politiques ou économiques, qui sont prises à un niveau collectif, proviennent alors forcément d’un arbitrage imparfait, étant donné qu’il n’y a pas de mécanisme qui permet de passer des choix individuels rationnels à des choix collectifs rationnels. Ce résultat amène à réaliser une séparation entre l’aspect démocratique d’un État d’une part, et la légitimité de ses décisions d’autre part. Cela implique donc sur la lancée qu’il faut aussi remettre en cause l’interventionnisme économique.
Le théorème d’impossibilité pose donc d’importants problèmes sur le plan politique et économique, dans la mesure où cela remet en cause certaines vertus de la démocratie. En effet, en suivant ce théorème, les choix collectifs ne sont plus le résultat de l’expression d’une préférence collective, mais celui d’une sorte de rapport de force.
Le concept de l’équilibre général
Kenneth Arrow a été le premier en 1954, avec la collaboration de l’économiste français Gérard Debreu, à justifier mathématiquement la théorie de l’équilibre général qui avait été élaborée au préalable par Léon Walras. Arrow a démontré qu’il existait toujours, sous certaines hypothèses (en particulier la rationalité des agents), au moins un équilibre général concurrentiel, ce qui implique qu’il y a une égalisation de l’offre et de la demande grâce à travers les prix. Cela a permis de poser les bases des théories néoclassiques modernes.
Le point de départ de la théorie de l’équilibre général dans un système économique est la constatation que tout élément dépend de tout le reste. Par exemple, la demande pour un produit dépend bien entendu du prix de ce produit, mais également de tous les autres prix présents dans l’économie. La première intuition de cette réalité se trouve dans le Tableau économique de François Quesnay, qu’il a publié en 1758. Ensuite, Léon Walras a réalisé en 1874 la première formulation mathématique sous la forme d’un système d’équations linéaires.
Ces équations qui représentent l’offre, la demande et les conditions de production ont pour objectif de permettre de déterminer l’ensemble des prix et des valeurs de tous les produits et de tous les facteurs de production. À cette époque-là, Walras ne possédait pas les instruments mathématiques qui étaient nécessaires pour démontrer qu’une solution unique existait, c’est-à-dire qui montre qu’un ensemble unique de quantités et de prix permettent d’avoir l’équilibre entre l’offre et la demande, et cela, sur tous les marchés.
Kenneth Arrow et Gérard Debreu ont d’abord commencé à travailler séparément, mais ont finalement joint leurs efforts en découvrant qu’ils arrivaient à des résultats similaires.
Arrow avait déjà apporté les preuves de l’équivalence entre l’équilibre concurrentiel et l’optimum de Pareto en 1951. Une situation est considérée comme Pareto-optimale quand il est impossible d’améliorer la situation d’un agent économique, sans détériorer celle d’un autre. Cela prouve donc que l’équilibre concurrentiel est efficace, sans pour autant dire qu’il est équitable (c’est-à-dire qui ne défavorise personne). Arrow estime donc qu’il est nécessaire qu’il y ait une redistribution des revenus, pas par une intervention dans le système des prix, mais plutôt par des transferts.
Pour Arrow, l’existence d’un équilibre général n’est pas un argument suffisant pour l’adoption du laissez-faire en tant que politique économique, comme le défendent les économistes et politiques les plus libéraux. Pour lui, c’est seulement un modèle qui permet de mieux percevoir ce qui ne fonctionne pas suffisamment bien dans un système de marché dans le monde réel.
Malgré le fait qu’il ait théorisé l’équilibre général concurrentiel, Kenneth Arrow était donc convaincu que la réalité économique était très éloignée des hypothèses apportées par ce modèle. Il considérait qu’elle était complexe et ne pouvait pas être réduite à de simples formules. Il pensait la même chose des individus. En effet, il estimait que l’incertitude, qui est liée à la liberté humaine, imposait de remettre en question un certain nombre de raisonnements économiques.
Le risque et l’incertitude
Kenneth Arrow estimait que l’incertitude, qui est liée à la liberté humaine, imposait de remettre en question un certain nombre de raisonnements économiques. C’est cela qui l’a poussé à consacrer une grande partie de son œuvre à explorer les conséquences du risque et de l’incertitude.
Il l’a notamment fait à l’occasion de ses recherches sur l’économie de la santé. C’est dans le cadre de ces dernières qu’il a publié un article en 1963 qui a joué un rôle pionnier dans ce domaine. Dans cet article, il montre comment l’incertitude et l’aversion au risque (attitude qui fait que l’on veut éviter le risque) créent une demande pour l’assurance santé, qui permet de se couvrir contre les risques en question. Cependant, il montre ensuite comment le hasard moral (ou aléa moral), qui correspond notamment au fait d’être moins prudent pour un individu quand il est assuré, mène à une surutilisation des soins médicaux.
À la fin, il démontre que ces problèmes ont tendance à disparaître quand tous les individus sont couverts par un système d’assurance unique.
Les asymétries d’information, l’aléa moral et la sélection adverse
Kenneth Arrow a apporté sa contribution au développement des concepts d’asymétries d’information, d’aléa moral et de sélection adverse, avec pour objectif d’expliquer les imperfections des marchés.
L’asymétrie d’information correspond à une situation dans laquelle, lors d’une transaction par exemple, une partie (généralement le vendeur) possède davantage d’informations sur le produit vendu que l’autre partie (à savoir l’acheteur). L’asymétrie d’information crée donc des incitations pour la partie qui est la mieux informée, pour en quelque sorte duper l’autre partie.
Arrow a aussi introduit les notions d’aléa moral et de sélection adverse qui ont ensuite été reprises dans le domaine de l’assurance.
L’aléa moral correspond à une situation d’asymétrie d’information dans laquelle une des parties n’a pas parfaitement connaissance des actions entreprises par l’autre partie.
La sélection adverse, quant à elle, correspond à une situation dans laquelle, à cause d’asymétries d’information, une offre faite sur un marché donne des résultats inverses à ceux souhaités.
Kenneth Arrow a principalement étudié les cas d’asymétries d’information dans le domaine médical à travers un article publié en 1963 intitulé Uncertainty and the Welfare Economics of Medical Care. Il constate dans cet article que les relations habituelles de marché sont inefficaces dans ce domaine.
Les deux théorèmes fondamentaux d’Arrow concernant l’économie du bien-être
C’est en 1951 que Kenneth Arrow présente les deux Théorèmes du bien-être qui lient entre eux un certain nombre d’hypothèses sur le fonctionnement économique (par exemple la concurrence pure et parfaite, l’homogénéité et la continuité des fonctions de production, etc) et la possibilité d’atteindre un état optimum dans l’allocation des ressources (ce qui est appelé optimum de Pareto).
Le premier théorème est généralement vu comme une confirmation analytique du concept de la main invisible d’Adam Smith, selon lequel la recherche des intérêts particuliers aboutit à l'intérêt général. Arrow indique que des marchés qui sont concurrentiels ont tendance à aller vers une situation qui permet une allocation efficiente des ressources.
Le théorème qu’il a développé indique que si les marchés fonctionnent bien, alors le résultat sera un optimum de Pareto, c’est-à-dire qu’aucun individu ne peut améliorer sa situation sans réduire celle de quelqu’un d’autre. Mais Arrow ajoute qu’il peut exister plusieurs optimums de Pareto, mais qu’ils ne sont pas tous désirables pour la société.
Le modèle d’apprentissage par la pratique
Kenneth Arrow est l’un des pionniers de la théorie de la croissance endogène, qui cherche à apporter des explications aux origines du changement technique (ce qui correspond essentiellement au développement et à la diffusion des innovations), qui est une des composantes de la croissance économique. Avant l’apparition de cette théorie, il n’y avait pas vraiment d’explication économique qui permettait d’expliquer pourquoi il survenait, et le changement technique était généralement considéré comme une variable exogène, c’est-à-dire indépendante des activités économiques. La théorie de la croissance endogène permet d’expliquer notamment pourquoi les entreprises innovent.
Concrètement, la théorie de l'apprentissage par la pratique est un concept de la théorie économique qui se réfère à la capacité des travailleurs à améliorer leur productivité grâce à la répétition régulière du même type d'action. Cela signifie donc que l’augmentation de la productivité est atteinte par la pratique. De plus, ce concept économique permet d’apporter des explications concernant l’amélioration de la productivité des différents facteurs de production dans le temps (grâce à la coordination entre les agents, à la correction des erreurs, etc).
Le concept d'apprentissage par la pratique a, entre autres, été utilisé par Kenneth Arrow quand il a apporté sa contribution au développement de la théorie de la croissance endogène dans le but d’expliquer les effets de l’innovation et du changement technique.
Kenneth Arrow a réalisé d’autres apports à l’économie
Kenneth Arrow a réalisé une analyse de la technologie dans un article de 1962 intitulé Economic Welfare and the “Allocation of Resources for Invention“ publié dans The Rate and Direction of Inventive Activity. Cet article a été l’un des fondements de l’analyse économique de la technologie. Pour lui, il est important de différencier l’investissement dans la recherche ou la connaissance et l’investissement conventionnel, dans la mesure où il juge le premier indivisible (qui ne peut pas être divisé), inappropriable (qui ne peut pas devenir la propriété de quelqu’un) et incertain.
Par ailleurs, Arrow a aussi travaillé dans les années 1970 sur la discrimination sur le marché du travail. Cela a abouti à trois chapitres dans plusieurs livres collectifs, dans lesquels il s’oppose entre autres à la thèse de l’économiste américain Gary Becker qui considérait que la discrimination n’était pas viable dans une économie de marché. Arrow à l’inverse soutient que la discrimination peut aboutir à un équilibre stable, mais sous certaines hypothèses.
Cependant, les deux auteurs sont d’accord sur le fait que seule l’entreprise qui pratique le moins de discrimination va survivre à long terme. En effet, ils estiment que l’entreprise qui recourt le moins à la discrimination pourra, à terme, racheter tous ses concurrents, grâce à un profit plus élevé.
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