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Le marginalisme (aussi qualifié de Révolution marginaliste) est, d’un point de vue économique, un mouvement intellectuel. Il promeut une méthode d’analyse économique qui est basée sur le raisonnement à la marge, c’est-à-dire qui résulte de l’utilité marginale (qui correspond à l’utilité de la dernière unité consommée). Le marginalisme a façonné le courant néo-classique à la fin du 19ème siècle. Le marginalisme fait donc partie du néo-classicisme.
Cette théorie est le résultat des travaux qui ont été menés, chacun de manière indépendante, dans la seconde moitié du 19ème siècle par des économistes comme le français Léon Walras, le britannique William Stanley Jevons ainsi que l’autrichien Carl Menger.
Le marginalisme est souvent surnommé par le terme de Révolution marginaliste, car il a fortement contribué à la formation des écoles néo-classique et autrichienne.
Le développement du marginalisme provoque un important changement de paradigme pour la science économique. En effet, précédemment, l’école classique incarnée notamment par Adam Smith ou David Ricardo fondait la valeur d’un bien sur la base de la quantité de travail qui était nécessaire pour le produire. Les marginalistes proposent une nouvelle explication. Pour eux, la valeur d’un bien est déterminée par l’utilité marginale, c’est-à-dire que la valeur d’un bien dépend de l’utilité de sa dernière unité utilisée.
Ce changement est fondamental et va provoquer le passage de l'économie classique à l’économie néo-classique, étant donné que la valeur était basée sur une « théorie objective » et ensuite, avec ce mouvement, sur une « théorie subjective ».
Les notions essentielles du courant marginaliste
Le marginalisme peut être expliqué en trois notions essentielles. Ces notions sont l’utilité marginale, la productivité marginale et l’économie optimale.
L’utilité marginale
L’utilité marginale d’un bien ou d’un service correspond à l’utilité qu’un agent économique (tel qu’un ménage ou une entreprise par exemple) va tirer de la consommation d’une unité supplémentaire. Cette utilité marginale est décroissante, ce qui signifie que l’utilité marginale de la première unité est la plus élevée, la deuxième est ensuite un peu moins élevée que celle de la première, la troisième un peu moins élevée par rapport à la deuxième, etc.
Par exemple, avec le paradoxe de l’eau et du diamant, si l’eau vaut moins cher alors qu’elle est indispensable contrairement au diamant, c’est parce qu’elle existe en plus grande quantité. Cependant, un individu assoiffé va payer une somme très importante pour un verre d’eau, mais une fois ce premier verre d’eau consommé, puis un deuxième, etc, l’utilité marginale, qui était très importante avec le premier verre va décroître nettement au fur et à mesure. Concernant le dernier verre (c’est-à-dire juste avant l’état de satiété où la consommation ne va plus entraîner de satisfaction supplémentaire), il ne sera, du coup, demandé que pour un prix très faible.
D’un point de vue symétrique, du côté de l’offre, un individu qui possède encore beaucoup de verres d’eau après avoir bu jusqu’à ne plus avoir soif est prêt à les céder pour presque rien.
À l’inverse, le diamant est assez rare pour que la demande reste forte.
L’utilité totale d’un bien correspond à la somme des différentes utilités marginales des unités consommées du bien concerné.
La productivité marginale
Le raisonnement marginaliste ne s’applique pas seulement à la consommation, mais aussi à la production et aux facteurs qui s’y rapportent.
L’économiste britannique David Ricardo a cherché à comprendre le mécanisme de la rente foncière. Il en a déduit que la productivité des terres est inégale, ce qui signifie qu’elles ne procurent pas le même revenu foncier. Ce revenu, qui correspond à la rente ou au loyer de la terre, est directement lié au degré de fertilité des terres cultivées. Ricardo met en évidence la notion de rente différentielle qui annonce l’approche marginaliste.
Ce sont d’abord les terres réputées pour être les plus fertiles qui sont mises en culture. Ensuite, il y a une demande de plus en plus importante des besoins qui est causée directement par la croissance démographique. Cela implique de cultiver les friches réputées pour être les plus fertiles dans celles qui restent. La rente est donc déterminée par la différence de rendement qui existe entre une terre donnée et celui de la plus mauvaise terre agricole (qui est éventuellement disponible).
Il est possible de généraliser ce raisonnement. En effet, pour un facteur de production donné, il est possible de dire que tout facteur de production utilisé se valorise alors selon sa productivité marginale. Le raisonnement est également valide pour une combinaison de plusieurs facteurs de production donnés.
D’un point de vue pratique, l’analyse marginaliste étudie la variation d’utilisation et de rendement d’un facteur en prenant l’hypothèse que les quantités utilisées des autres facteurs demeurent constantes. Si on prend cette hypothèse et la loi des rendements décroissants de Turgot, cela signifie que la productivité marginale du facteur qui varie devient au final décroissante.
L’économie optimale
Les économistes marginalistes considèrent que l’analyse marginale est un gage d’efficacité. En effet, cette analyse explique que tout facteur de production va être employé précisément là où sa productivité marginale est la plus forte. Cela implique, d’un point de vue global, que l’économie entière mobilise ses ressources disponibles de la manière la plus efficace possible.
L’analyse marginale apporte aussi une réponse, qui est présentée comme logique, à certains dysfonctionnements. En effet, l’inégalité des revenus peut s’expliquer par la différence de productivité qui peut être constatée de manière objective d’une situation ou d’une combinaison de ressources donnée.
Le chômage existe, car le chômeur exige un revenu supérieur à sa productivité marginale effective pour revenir au travail.
Un facteur de production doit être utilisé jusqu’à ce que sa productivité marginale devienne égale à son coût marginal (c’est-à-dire le coût de la dernière unité utilisée du facteur en question). Tant que cet équilibre n’est toujours pas atteint, chaque unité supplémentaire du facteur utilisé rapporte plus qu’elle ne coûte.
La période qui précède la Révolution marginaliste
Le dernier quart du 19ème siècle est marqué par une rupture en ce qui concerne l’évolution des faits économiques, ainsi que par une importante révolution de la pensée.
La période entre 1860 et 1875 consacre un nouveau partage du monde entre les différents empires libéraux. La France va développer progressivement une politique de protectorat, c’est-à-dire mettre des États indépendants sous dépendance en échange d’une protection militaire. Elle va aussi développer une politique de colonisation envers certains pays nord-africains et asiatiques. D’autres puissances telles que l’Allemagne, la Russie ou encore le Japon adoptent des politiques similaires. Tous ces pays vont alors s’opposer, s’affronter, et même entrer en conflit. Cependant, un équilibre politique et militaire global sera trouvé en 1875.
Seule l’Italie, malgré des efforts considérables, n’a pas pu réaliser ses ambitions coloniales.
L’Amérique du Nord et l’Amérique du Sud ont, quant à elles, réussi à échapper à ce processus.
Ces impérialismes constituent une première phase dans le nouveau partage du monde. Elle sera suivie d’une autre période de développement avec la France, l’Angleterre, l’Allemagne et la Russie.
À côté de l'expansion de ces impérialismes traditionnels, une nouvelle puissance économique se développe, les États-Unis. La Guerre de Sécession s’est terminée en avril 1865 et la « Reconstruction de l’Union » débute. Toutes les transformations qui accompagnent cette période provoquent un flux important d’immigration en provenance des pays européens. Cela va aider l’industrie américaine à passer en trente ans, de 1864 à 1894, de la quatrième place à la première place dans le monde.
La croissance des impérialismes et le développement des États-Unis se font sur une nouvelle base économique appelée la domination de l’économie de marché.
Les problèmes de production qui étaient nés au moment de la Révolution industrielle sont réglés. En effet, un ordre technologique est désormais bien établi autour du machinisme (c’est-à-dire l’utilisation des machines) et du travail salarié en usine. Les échanges entre les différentes branches sont bien établis et de manière cohérente. Les modes de financement de l’industrie sont également stabilisés. L’accent est alors mis sur les échanges eux-mêmes. L’expansion des principales économies dominantes amène à la nécessité d’accroître les débouchés et les sources de matières premières.
Le bilan de ces changements est le développement des Empires, d’entreprises « anonymes » et engagées dans la mécanisation, dans la standardisation et les marchés. La banque devient plus proche des « petits riches », les rentiers ont des rôles importants et la thésaurisation (c’est-à-dire l’épargne) diminue. De plus, les grands secteurs industriels et financiers s’organisent avec des firmes possédant d’importants pouvoirs économiques et politiques.
Tout cela permet de consacrer l’apparition d’une nouvelle analyse économique centrée sur le marché, l’individu et l’entreprise.
Le développement d’un nouvel environnement intellectuel
La période entre 1858 et 1870 est aussi traversée par de nouvelles approches intellectuelles.
La diffusion des idées devient plus facile et plus rapide grâce au développement de la presse et des techniques modernes d’impression.
La circulation des idées est également facilitée et augmentée par le chemin de fer et les bateaux à vapeur.
Ces développements et raisonnements précédents permettent donc de rendre plus rapide et efficace la diffusion des informations et des idées dans le monde. Ils permettent d’insister davantage sur l’individu que sur la société.
Les nouvelles théories économiques vont être influencées par les sciences traditionnelles comme les mathématiques, la physique, etc.
Deux économistes français vont avoir une grande influence sur les nouvelles théories économiques, ce sont Jules Dupuit et Antoine Augustin Cournot.
Jules Dupuit (1804-1866) était Ingénieur des Ponts et Chaussées. Il travaille à partir de 1844 sur les tarifs des péages des chemins de fer pour aboutir à une théorie du monopole.
Dupuit a aussi étudié les représentations théâtrales et en a déduit un raisonnement. Il a constaté que les spectateurs viennent consommer un bien unique (c’est-à-dire une pièce de théâtre), mais ils vont satisfaire au final, des besoins différents. Certains de ces spectateurs viennent pour voir la pièce, mais d’autres pour tout autre chose, d’autres encore pour se faire voir. Dupuit va en déduire un principe qui est que la valeur d’un bien correspond à l’importance que chaque individu lui accorde. Cela signifie qu’il ne peut pas y avoir de théorie objective de la valeur qui est fondée, par exemple, sur des quantités de travail utilisées lors de la production, comme le pensent entre autres David Ricardo et Karl Marx. Pour Dupuit, il n’existe qu’une théorie subjective de la valeur qui est fondée sur l’utilité que chaque individu retire individuellement de la consommation d’un bien ou d’un service.
Antoine Augustin Cournot (1801-1877) est quant à lui spécialiste des calculs de probabilité. Il va considérer que dans une démarche scientifique, deux ordres s’opposent. Il y a d’une part, un ordre formel qui relève du relatif, de l’accidentel et de l’apparence, et d’autre part, un ordre rationnel qui relève de l’essentiel, du réel et de l’absolu. Cet absolu est un objet essentiel de la science qui doit distinguer les phénomènes qui se produisent de manière imprévue, de ceux qui s’expliquent logiquement. Cependant, la nature a quand même laissé une grande place au hasard.
Une des caractéristiques communes de ces nouvelles approches est leur opposition fondamentale aux doctrines socialistes et révolutionnaires. En effet, ces idées prennent comme point de départ et comme but le développement de l’individu libre, dans une économie libérale.
Elles vont permettre de donner naissance à la révolution marginaliste.
Trois auteurs séparés pour les mêmes résultats : William Stanley Jevons, Carl Menger et Léon Walras, fondateurs de la Révolution marginaliste
Aux environs de 1871, trois auteurs vont aboutir séparément aux mêmes résultats, et ce dans trois pays différents. Ces auteurs sont William Stanley Jevons, Carl Menger et Léon Walras. Ils sont considérés comme les fondateurs de la Révolution marginaliste.
William Stanley Jevons
William Stanley Jevons (1835-1882) est un économiste britannique. Il a travaillé dans des institutions monétaires et a été professeur dans plusieurs villes.
Il est attaché à une démarche formaliste. En effet, pour lui, l’économie doit d’abord être une économie appliquée. Il essaye de repérer des liaisons formelles entre deux événements. Par exemple, entre la hausse des prix et la découverte de mines d’or en Australie et en Californie en 1863, entre la production de charbon et la richesse de la société anglaise en 1865, etc.
Il a travaillé sur les tarifs des chemins de fer et en a déduit un certain nombre de réflexions.
Pour lui, l’économie ne peut qu’être une science mathématique et par conséquent, la seule méthode efficace est l’approche inductive (c’est-à-dire basée sur les faits pour en déduire des explications).
Selon lui, l’individu est le seul juge de la valeur d’un bien, en prenant en compte l’utilité marginale (c’est-à-dire l’utilité qu’il retire de la dernière unité qu’il consomme) qu’il en retire. De plus, il considère que chaque individu doit être rémunéré en fonction de sa productivité marginale (c’est-à-dire de la productivité de la dernière unité qu’il produit).
Avec ses raisonnements, William Stanley Jevons pense avoir démontré la supériorité du libéralisme sur le socialisme.
Carl Menger
Carl Menger (1840-1921) est un économiste autrichien. Il a également été professeur d’économie. Il est le fondateur de l’École autrichienne d’économie (École de Vienne). Sa principale œuvre a été la construction en 1871 d’une théorie qui montre comment les biens satisfont des besoins. Cette théorie insiste notamment sur les dernières unités consommées.
Cette approche a la caractéristique de raisonner sur les mouvements et variations « à la marge », ce qui explique le nom des marginalistes. Carl Menger s’est opposé à l’école historique allemande incarné par Gustav Von Schmoller en affirmant notamment que l’économie a un fondement individualiste et que par conséquent, seule une méthode déductive centrée sur l’individu est efficace.
Léon Walras
Léon Walras (1834-1910) est un économiste français et Professeur d’université à la Chaire de Lausanne. Il a publié à partir de 1873 son ouvrage « Éléments d’économie politique pure » dans lequel il développe l’idée que l’économie est, de manière essentielle, la théorie de la détermination des prix en prenant en compte un régime hypothétique de concurrence pure.
Les objectifs politiques de Léon Walras sont affirmés, car ils visent à construire un « socialisme scientifique » qui serait un système moral constitué par une combinaison de spiritualisme et de matérialisme.
Pour lui, l’économie doit être libérée de toute littérature vague, cela signifie qu’elle ne doit pas mettre en lumière les causes des phénomènes économiques, mais en étudier les conditions de leur équilibre réciproque.
Il est essentiellement connu pour avoir développé, à partir de la notion de rareté, l’existence d’un équilibre général.
Différences, mais mêmes résultats
Ces trois auteurs cités sont différents. Menger est un libéral (du point de vue de 1870), Walras est un socialiste réformiste.
Jevons est inductif, alors que Menger et Walras sont déductifs.
Jevons est imprégné par la tradition empiriste et utilitariste anglaise (c’est-à-dire que l’utilité est imposée par l’expérience), Menger quant à lui est imprégné par le néokantisme (ou néocriticisme, c’est-à-dire le refus des systèmes de la métaphysique dogmatique), et Walras est influencé par le cartésianisme (c’est-à-dire issu de la pensée de René Descartes pour qui la raison est l’instrument de la connaissance).
Leurs environnements sociaux et intellectuels sont également différents, avec des types d’économies différents en fonction de leurs pays, avec des variations de richesses, de créativité, de productions intellectuelles, etc.
Cependant, ces trois auteurs ont apporté un corps d’analyse identique, entièrement nouveau et qui repose sur plusieurs points. Tout d’abord, une théorie subjective de la valeur fondée par l’utilité marginale des biens, une utilisation des lois et des principes mathématiques, un recours à la théorie de la concurrence et une défense du libéralisme, et enfin, une analyse en termes d’équilibre.
Ces auteurs supposent aussi que les facteurs productifs tels que le travail, le capital et la terre (et selon certains économistes le progrès technique) sont déterminés de manière exogène (c’est-à-dire par des critères extérieurs) et existent avec une offre donnée. Pour eux, seule l’affectation et la répartition des facteurs de production et des biens doivent être étudiés. Et enfin, l’équilibre est la situation normale de l’économie.
Avec ce raisonnement, ils s’opposent aux économistes classiques qui centraient leurs analyses sur la production d’un seul facteur de production, à savoir le travail et sur les conditions de la croissance.
Le fait qu’il y ait plusieurs facteurs de production s’oppose donc à leur unicité, l’équilibre est opposé à la croissance et le point de vue de la circulation des biens est préféré à celui de leur production.
Les apports d’autres auteurs à la Révolution marginaliste
D’autres théoriciens vont ajouter des notions au corps d’analyse précédent.
Vilfredo Pareto (1848-1923) est un économiste italien et Professeur d’université à la Chaire de Lausanne après Léon Walras. Il va notamment apporter la notion d’optimum en montrant que tout équilibre est optimal, et cela, pour chacun des agents concernés. Vilfredo Pareto va aussi produire une théorie sociologique fondée sur la distinction qu’il existe entre les élites et le reste de la population, ainsi qu’une théorie psychologique qui décompose les comportements humains en deux ensembles dominés par les « dérivations » (c’est-à-dire ce qui relève de l’intellect et de la rationalité) et par les « résidus » (c’est-à-dire les instincts, les sentiments et les passions).
Francis Edgeworth (1845-1926) est un économiste britannique. Il va proposer en 1881 la première formulation de la théorie du choix du consommateur. Cette théorie permet d’avoir une modélisation du comportement d’un agent économique en tant que consommateur de biens et de services.
Eugen von Böhm-Bawerk (1851-1914) est un économiste austro-hongrois. Il va développer la notion d’élasticité de Turgot, la notion de période et la théorie du choix du producteur. Il va également insister sur la théorie de la productivité marginale, ainsi que sur celle de la demande des facteurs de production.
Böhm-Bawerk va plutôt se situer à la marge de la révolution marginaliste parce qu’il va insister davantage sur les ajustements effectués au niveau des quantités que sur ceux qui mettent en œuvre les prix.
Les économistes Ramsey, Von Neuman, Morgenstern vont apporter à la pensée une vision plus critique fondée sur les théories mathématiques qui sont nées dans les années 1930 et 1940 (la théorie des jeux, probabilités, etc).
Les économistes Hicks, Veblen et Giffen vont étudier les effets pervers des lois de la consommation.
L’analyse marginaliste domine le monde des économistes (et en particulier anglo-saxon) de sorte que de nombreux autres auteurs pourraient être cités tels que Friedman, Samuelson, Clark, etc.
La Révolution marginaliste a été rapidement considérée comme le courant dominant et a même parfois été qualifiée d’école néo-classique pour exprimer l’existence d’un nouveau classicisme dominant.